La mixité, qu’elle soit de sexes, de générations, sociale ou de culture, est la dimension transversale qui traverse la politique de cohésion sociale. Une volonté qui semble difficile à traduire sur le terrain, si l’on en croit l’exemple de l’alphabétisation, où sept apprenants sur dix appartiennent à la gent féminine.
D’après l’étude menée en 2009 par Catherine Bastyns sur l’alphabétisation des adultes en Communauté française, le secteur bruxellois de l’alpha compte seulement 28 % de participation masculine. A Bruxelles, 35 % des groupes d’apprenants sont réservés aux femmes. Quant aux groupes mixtes, ils comptent également une majorité de femmes (64 %).
Les associations menant une action féministe justifient la non-mixité des groupes par un souci d’émancipation. « Je trouve que c’est bien d’être non mixte parce qu’on peut parler à l’abri des hommes et sortir en douceur les femmes de ces clichés. S’il n’y avait pas cet espace, elles resteraient enfermées chez elles », témoigne une formatrice dans le journal de l’Alpha.
Du côté de Lire et Ecrire1, qui coordonne une grande partie du secteur, on estime qu’ouvrir ses cours d’alphabétisation aux deux sexes relève du principe de l’égalité des chances. Même son de cloche du côté de la politique de cohésion sociale. Dans le programme 2011-2015, la mixité est reprise comme un principe de base qui doit traverser toutes les actions. Pour répondre aux critères de financement, les associations sont donc poussées à ouvrir plus grand leurs portes au public masculin. « On peut accepter qu’un groupe soit non mixte, si c’est temporaire et dans un but d’émancipation », commente Philippe Streckx, conseiller au cabinet Picqué, en charge de la Cohésion sociale à la Cocof.
Les groupes non-mixtes sont donc censés non seulement faire de l’alpha efficace, mais aussi de l’émancipation, observe Hélène Marcelle, sociologue qui a enquêté sur le sens de la mixité sexuée dans le secteur alpha bruxellois : « les cours mixtes suscitent moins de suspicion alors qu’il existe souvent une certaine mixité ségrégative au sein des groupes et une absence totale d’approche pédagogique co-éducative. A défaut d’être mixtes, les cours non-mixtes sont sommés par les autorités de la politique de Cohésion sociale de montrer une efficacité en termes d’éducation permanente ! Cela afin que les femmes deviennent des championnes de leur quartier ou plus simplement des actrices du changement social. Mais va-t-on vérifier de la même façon, dans un groupe mixte, que l’on fasse de l’émancipation effective ? Car, à présent, rien n’est prouvé que la mixité s’exporte aisément en dehors des quatre murs du groupe d’alpha ».
Mixité abracadabra
La mixité n’agit pas par magie. Sans un travail de fond, proximité spatiale ne rime pas automatiquement avec proximité relationnelle. Il ne suffit pas de mélanger des personnes d’origine culturelle et sociale différente dans un quartier pour que se créent des liens sociaux comme par enchantement. « On pense qu’en mélangeant les pauvres et les riches, ça ira mieux. On donne aux politiques du logement des objectifs qu’elles n’avaient pas avant. On leur demande de régler les conséquences des déséquilibres économiques et sociaux », analysait Françoise Noël dans les colonnes d’Alter (lire A.E n° 138 : https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=138&l=1&d=i&art_id=11605 La mixité sociale est une notion consensuelle et un concept-valise.
De la même façon, mélanger les femmes et les hommes dans un cours d’alpha n’est pas forcément émancipateur. Il n’est pas rare qu’au sein d’une classe, les hommes et les femmes laissent un banc d’écart entre eux pour créer une séparation ou décide carrément de se tourner le dos ! « On attend de la mixité qu’elle réalise de façon mécanique l’harmonie des sexes. La simple co-présence est supposée apporter une transformation des comportements de façon magique », observe Hélène Marcelle. Ce qui incite la chercheuse à distinguer la « mixité de co-présence » de la « mixité co-éducative ». « Il faut sortir de l’approche quantitative. Ce n’est pas la composition d’un groupe qui nous dit qui il est. Il faut revenir aux faits sociaux de genre in situ, à ce qui se passe dans les rapports entre les hommes et les femmes. Pour passer de la mixité de co-présence à la mixité co-éducative, il faut faire entrer la conscience de genre dans le contenu pédagogique, dans la gestion de la prise de parole, de la spatialité dans le respect des apprenants qui sont avant tout là − faut-il le rappeler − dans l’urgence d’apprendre la langue du pays. »
La mixité sexuée en pratique
En 2010, une animatrice de Bruxelles Laïque2 veut proposer un travail d’écriture autour de la carte postale. Rapidement, elle se heurte à un obstacle : certains hommes et certaines femmes refusent d’envoyer leurs vœux aux personnes de sexe opposé. L’animatrice décide alors de proposer au groupe des espaces de débat autour des questions de genre entre participants et entre les participants et l’animatrice. Un collègue masculin est associé à l’expérience. « On est revenu sur les évènements qui ont marqué l’histoire de l’égalité homme femme. Nous sommes partis du point de vue que le patriarcat est bien arrimé chez nous également, que ce n’est pas une question religieuse, mais de rapports sociaux. C’est une façon de sortir de l’opposition pour universaliser le propos. On peut dire que c’est une expérience positive, puisqu’aucun apprenant n’a quitté le groupe. Même si cela reste un sujet sensible », évoque l’animateur Christian Pollefait.
À Lire et Ecrire, on reconnaît qu’il faut réfléchir à l’aspect pédagogique, pour outiller les formateurs et les soutenir dans leurs difficultés. Pour Anne-Chantal Denis, directrice de la coordination bruxelloise de Lire et Ecrire « la base de la mixité reste dans la constitution du groupe. Mais cette mixité de présence est seulement un levier pour créer une mixité éducative. Il serait tentant de citer quelques bonnes pratiques qui peuvent faire recette, mais la question est plus subtile qu’une fiche pédagogique. C’est un chantier complexe ».
1. Lire et Ecrire Bruxelles :
– adresse : rue de la Borne, 14 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 412 56 10
– courriel : info.bruxelles@lire-et-ecrire.be
– site : http://bruxelles.lire-et-ecrire.be
2. Bruxelles Laïque :
– adresse : avenue de Stalingrad, 18-20 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 289 69 00
– courriel : bruxelles.laique@laicite.be
– site : http://www.bxllaique.be
Journal de l’Alpha n° 184 « Question de genre, la mixité en alphabétisation », mai-juin 2012.
« Le sens de la mixité et de la non-mixité dans la formation des adultes, le cas de l’alphabétisation francophone ». Hélène Marcelle, avril 2011.
Aller plus loin
Alter Echos n° 138 du 15.03.2003 : https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=138&l=1&d=i&art_id=11605 La mixité sociale est une notion consensuelle et un concept-valise
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Alter Echos n° 138 du 15.03.2003 : https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=138&l=1&d=i&art_id=11605 La mixité sociale est une notion consensuelle et un concept-valise