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« De rien, Saïd » : un cri pour rester humain

« Ce spectacle est dur, difficile mais très beau », annonce Isabelle Gillard, du Centre culturel du Brabant wallon (CCBW)1. C’est un cri. « Est-ce que çatouche quelqu’un ? », lance Jabir, un des acteurs, depuis la scène. Oui, ça transperce. Sur fond de décor réduit à un écran, un pupitre et une chaise,les comédiens, professionnels et amateurs, belges, marocains et d’ailleurs, se déplacent dans une pénombre qui permet aux spectateurs de se laisser emporter, accrochés parle roulis des mots pourtant loin d’être tendres. « L’indifférence est ta carapace, étranger. Insensible, distant, tu sembles hors d’atteinte des attaques et des rejets quetu ressens pourtant avec la vulnérabilité d’une méduse. C’est que l’écart où l’on te tient répond à celui où tu te loges toi-mêmejusqu’au noyau indolore de ce que l’on appelle l’âme, cette humilité qui, en définitive, est une brutalité nette. »2

01-08-2005 Alter Échos n° 134

« Ce spectacle est dur, difficile mais très beau », annonce Isabelle Gillard, du Centre culturel du Brabant wallon (CCBW)1. C’est un cri. « Est-ce que çatouche quelqu’un ? », lance Jabir, un des acteurs, depuis la scène. Oui, ça transperce. Sur fond de décor réduit à un écran, un pupitre et une chaise,les comédiens, professionnels et amateurs, belges, marocains et d’ailleurs, se déplacent dans une pénombre qui permet aux spectateurs de se laisser emporter, accrochés parle roulis des mots pourtant loin d’être tendres. « L’indifférence est ta carapace, étranger. Insensible, distant, tu sembles hors d’atteinte des attaques et des rejets quetu ressens pourtant avec la vulnérabilité d’une méduse. C’est que l’écart où l’on te tient répond à celui où tu te loges toi-mêmejusqu’au noyau indolore de ce que l’on appelle l’âme, cette humilité qui, en définitive, est une brutalité nette. »2

Dans la petite salle Columban à Louvranges, deux classes de fin de secondaire captivées écoutent Rahim, Jabir, Abdel, Sophie, Stéphane et les réfugiés duCentre d’accueil de Rixensart, dire l’exil, l’immigration, la guerre, New York, la mondialisation, l’appartenance, l’identité, l’état d’étrangeté, le quotidien, laréalité qui nous échappe. Des thématiques en filigrane de la démarche artistique du metteur en scène Rahim Elasri, un penseur bousculeur, « un abstraitsensuel bien ancré dans la réalité ».

«Je m’appelle Mohamed, je suis laveur de vitres. Mes enfants vont m’en vouloir d’être ce que je suis, d’être ce qu’ils sont.. »

« De rien, Saïd » s’inscrit dans la programmation 2002-2003 du CCBW « Une saison particulière. Un voyage dans l’intimité. » Il est proposé par l’asbl PilotGroupe 17, créée en 1995 par Rahim Elasri (théâtre, scripts vidéo et radio, documentaires), avec l’aide du Théâtre Varia3. Une première mouturede ce spectacle intitulé « Merci, Georges. De rien, Saïd » avait été joué au Botanique en 2000, pour être ensuite enrichi de textes d’auteurs et demembres du groupe, de l’actualité, des allers et venues des comédiens. La pièce s’est également gonflée d’une expérience menée au Centred’accueil de réfugiés de Rixensart, qui s’est concrétisée par une initiation à l’expression théâtrale de huit jours, en décembre dernier4.Au départ, un seul candidat réfugié devait rejoindre la troupe. Finalement, Rahim Elasri en a retenu six, le metteur en scène ne voulant pas de sélection drastiquecomme celle pratiquée par l’Office des étrangers. « Néanmoins, une connaissance minimum du français, et de ses nuances, était requise dans le choix desréfugiés stagiaires, explique Florence Burhin, coordinatrice du Service animation du Centre de réfugiés. Parce qu’au-delà du jeu, il y a eu des débats, despartages où chacun a pu parler de soi, se regarder dans les yeux, s’écouter. Les choses les plus simples et les plus humaines possibles ».

Loin d’apparaître comme des alibis sur le plateau, ce sont de véritables partenaires de scène qu’a rencontré la comédienne Stéphane Bissot. « Lethéâtre ne va pas leur donner des papiers mais ce seront quinze jours de souvenirs, d’émotions à emporter, où qu’ils aillent par après. Prenez les coulissesde filles, interdites aux garçons. Nous nous y sommes rencontré par la féminité, autour des petites choses pratiques de la vie de filles : comment fonctionne un tampax,comment s’épiler. Cela renvoie à l’image de soi. Pour ensuite aborder la virginité, l’excision, les raisons de la fuite, le viol d’une petite sœur. »

1. CCBW, rue Belotte 3 à 1490 Court-Saint-Etienne, tél.: 010 62 10 30. Les textes de la pièce, supports à la réflexion, y sont disponibles.
2. Extrait d’un texte de la psychanalyste roumaine, Julia Kristeva.

3. Au Théâtre Varia, rue du Sceptre 78 à 1050 Bruxelles, du 23 janvier au 1er février à 20h (relâche les 26 & 27 janv.) Réservations : 02 640 8258, www.varia.be
4. Une initiative Culture ouverte qui allie création artistique et émancipation sociale, dans la dynamique Art. 23.

Nathalie Cobbaut

Nathalie Cobbaut

Rédactrice en chef Échos du crédit et de l'endettement

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