Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

« Je ne savais pas où j’allais. Je voulais juste fuir. »

Nadine a fui le Rwanda en février 2007, à l’âge de seize ans. Elle est aujourd’hui en première année de médecine à Namur.

11-12-2009 Alter Échos n° 285

Nadine n’a pas fui son pays, le Rwanda, mais un homme, son beau-père. Elle est arrivée en Belgique en février 2007, seule et sans autre conseil que celui de «raconter son histoire ». Depuis, elle a obtenu le statut de réfugié et a commencé des études de médecine aux facultés universitaires de Namur.Rencontre.

C’était il y a presque trois ans, en plein hiver. À quoi peut bien penser une jeune fille de seize ans qui arrive pour la première fois sur le sol belgesans aucun contact dans le pays ? « Je n’ai pas vraiment eu le temps de penser ou de réfléchir. Il faisait très froid, j’étais seule et je ne savais pastrop ce qui allait arriver », se remémore Nadine Umuhoza avec un sourire pudique. En fait, Nadine ne savait pas non plus où elle allait atterrir exactement. Quand on regarde cepetit bout de femme, si menue et fragile, on n’ose imaginer ce qu’ont dû être ses premières heures en terre inconnue, dans des vêtements inadaptés auclimat. Pourtant, c’est à partir de ce moment-là qu’une certaine peur l’a quittée, malgré la brutalité de la situation. Elle raconte par bribes cequ’elle a déjà raconté des dizaines de fois. « Ce n’est pas facile de reparler de ça », s’excuse-t-elle.

Au Rwanda, elle vivait à Butare, un village élevé au rang de « deuxième ville du pays » en raison de son passé prestigieux et de sonuniversité, avec sa mère, sa petite sœur et son beau-père. « J’allais à l’internat à l’école et je rentrais à la maisonle week-end. Mon beau-père n’était pas quelqu’un de gentil. Un jour, je suis rentrée à la maison, ma mère et ma sœur s’étaientenfuies, je me suis retrouvée seule avec lui. Il m’a maltraitée. » Inutile de rentrer dans les détails. La jeune fille est terrorisée et dit ne pas pouvoir sedéfendre contre cet homme « qui avait un certain pouvoir car il faisait de la politique ». Elle trouve un soutien, puis une aide concrète auprès de son oncle. «J’ai pu partir grâce au frère de ma mère. Je ne suis pas arrivée ici directement, j’ai d’abord passé quelques jours au Kenya, chez un passeur puisj’ai pris l’avion. » Avec quels papiers ? Nadine se souvient avoir emporté ses livrets de classe et sa carte d’identité nationale. « Le passeur m’afourni un passeport… Je suppose qu’il s’agissait de faux papiers. Je n’ai pas posé de questions, je n’avais pas envie d’en poser. J’étais endanger et j’avais peur. Je ne savais pas où j’allais aller, la seule chose qui comptait pour moi, c’était de fuir. »

« Ils ne croyaient pas mon histoire »

Une fois arrivée en Belgique, le passeur la dépose devant le Petit Château où elle recevra rapidement des vêtements chauds et un minimum de réconfort. Lepasseur lui a dit de raconter son histoire. Ce qu’elle fera : devant un premier assistant social, puis devant un autre au Centre de premier accueil de Neder-Over-Hembeek, puis devant un agentde l’Office des étrangers. « Là, j’ai d’abord eu un avis négatif. Ils ne croyaient pas mon histoire. J’ai dû expliquer, encore et encore.C’est dur à vivre quand les gens ne te croient pas alors que toi tu sais ce que tu as vécu. Tu dois raconter ta vie à une personne que tu ne connais pas et qui a le pouvoirde te renvoyer. » Nadine voit aussi des médecins. Quand les mots ne viennent pas facilement, le corps prend parfois la parole de manière brutale. Nadine a des migrainesfréquentes et des difficultés à s’exprimer – « je suis allée voir un psychologue pour ça. » Et surtout, elle souffre d’une tumeur ausein gauche. « Les médecins m’ont dit que les blessures infligées par mon beau-père avaient aggravé le cancer. »

Durant la procédure de demande d’asile, elle est hébergée dans un centre pour Mena du côté de Ciney où elle restera un an – « Je suiscontente de ne pas avoir été placée à Bruxelles, je préfère les petites villes… comme Butare. » De temps en temps, son tuteur l’inviteà passer un week-end en famille. « J’ai eu beaucoup de chance avec mon tuteur, il était très chouette, humain. J’ai des amis qui ne voient quasiment jamais leurtuteur, seulement une fois l’an, à l’Office des étrangers et c’est tout. » Car les amis de Nadine, ce sont surtout des jeunes qui, comme elle, ont vécu ouvivent toujours ce parcours de Mena. « On se comprend… » De sa souffrance d’être « non accompagnée », elle ne dira rien. Juste que depuisqu’elle est en Belgique, elle a essayé d’avoir des nouvelles de sa mère et de sa sœur, notamment en passant par la Croix-Rouge, mais elle n’a pas retrouvéleur trace. « Je pense qu’elles ont aussi quitté le Rwanda, mais j’ignore où elles se trouvent. Je me dis que ma mère doit savoir que je suis ici, en Belgique.Du moins si elle a gardé le contact avec son frère… »

Aujourd’hui, Nadine vit seule dans son studio, elle va bien et a entamé des études de médecine aux facultés universitaires de Namur – «c’était le rêve de ma maman que je devienne médecin », glisse-t-elle. Elle bénéficie d’une aide du CPAS et d’un coup de pouce d’uneassociation pour ses frais scolaires. Elle se débrouille, travaille durant l’été et dit ne pas avoir besoin d’un soutien particulier pour surmonter ses traumatismespassés. « Je n’aime pas m’étendre sur ma vie et mes problèmes. Bien sûr, comme tout le monde, j’ai des coups de blues, mais je me dis qu’il ya bien pire ».

Survivre au trauma

Par définition, les Mena qui arrivent chez nous cumulent les facteurs à risque sur le plan psychique. Ils sont en exil, fuyant pour des raisons de pauvreté, de danger ou depersécution. Ils se retrouvent seuls pour gérer leur existence et doivent justifier leur présence. Ça fait beaucoup pour un seul homme, a fortiori un adolescent. «Que ce soit pour les mineurs d’âge ou les adultes, le suivi psy est insuffisant dans les centres d’accueil pour les réfugiés. Le suivi médical tout court estinsuffisant. Dans certains centres, on compte un seul médecin pour deux cents personnes », regrette Philippe Woitchik, ethnopsychiatre. Souvent consulté comme expert sur lestraumas liés aux migrations, il n’hésite pas à prendre les consignes de l’OE ou du CGRA à rebrousse-poil. Les demandeurs d’asile doivent dire lavérité ? « Mais s’ils mentent, on peut penser que c’est parce qu’ils ont une réelle envie de s’int&eacute
;grer. Face à un agent del’Office des étrangers, quand le discours est trop parfait, on pense que c’est préparé. Quand il y a des flous, on dit que c’est incohérent. Biensûr, certains ont appris à mentir. Mais pour d’autres, les « incohérences » sont la conséquence logique du trauma et du stress subi », poursuit Philippe Woitchik.Et d’expliquer que le phénomène est observable par imagerie médicale : lorsque le stress augmente, le taux de cortisol augmente également et provoque desdégâts au niveau de la mémoire. « Il n’est pas exclu que cela provoque aussi des blocages sur le plan du langage. Et chez les Mena, le stress est d’autant plusaigu qu’ils craignent d’être expulsés. » Pour le spécialiste, il faut aussi prendre garde aux syndromes post-traumatiques qui peuvent survenir des annéesaprès le trauma : « en Belgique, plusieurs réfugiés rwandais rescapés du génocide ont connu des « pétages de plomb » terribles, un homme est alléjusqu’à massacrer sa famille », poursuit-il. « C’est pourquoi il est important de chercher des tuteurs de résilience pour les gosses, pour les aider àsurmonter leur trauma. Et ne jamais oublier que la victimisation secondaire ou tertiaire1 est souvent bien plus insoutenable que la victimisation primaire. »

Cet article fait partie de notre dossier spécial Mena (publié en décembre 2009).
Voir l’ensemble du dossier
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1. Exemple concret :
• victimisation primaire : subir une agression ;
• victimisation secondaire : ne pas être cru lorsque l’on témoigne de cette agression devant un officier de police ;
• victimisation tertiaire : ne pas être cru par les médecins, etc.

aurore_dhaeyer

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