Le dernier article de notre série sur les familles d’accueil est un témoignage. Celui d’Aline Deroisy, mère d’accueil de deux enfants depuis sept ans. Attachement, placedes parents d’origine, désir d’enfant… on comprend mieux ce qu’implique le fait de devenir famille d’accueil.
Aline Deroisy, avec son ex-compagnon, est « famille d’accueil ». Fathia et Brayan ont sept et huit ans, ils sont « ses » enfants. Ils ontdébarqué dans la vie d’Aline alors qu’ils n’étaient encore que des bébés. Fathia a été placée dans le cadre d’une aide consentie, donc avecl’accord de ses parents d’origine, sur proposition du Service d’aide à la jeunesse (SAJ). Brayan, lui, a été placé sur décision du directeur de l’Aide à lajeunesse, un placement contraint. Dans les deux cas, ces enfants étaient en danger.
La famille d’accueil leur offre un cadre rassurant pour évoluer loin des turpitudes qui ont entouré leur venue au monde. Accueillir des enfants, c’est leur donner de l’amour biensûr, de l’affection, mais c’est aussi faire en sorte que les enfants comprennent leur situation, sachent que leurs parents d’origine peuvent encore prendre des décisions, qu’ils fontencore partie du tableau. Pas toujours facile de trouver sa propre place dans ce schéma de famille éclatée.
Aline Deroisy l’affirme clairement, sans fausse pudeur, « dans notre cas, les parents d’origine sont inexistants, donc je considère que ce sont mes enfants. Je pense que j’aimeautant mes enfants que d’autres gens. Et puis, avec le temps qui passe, le lien se crée ». Elle n’hésite pas à qualifier l’expérience de« magnifique ». « C’est la meilleure chose qui me soit arrivée », ajoute-t-elle. Définir cette expérience semble assez évidentà Aline Deroisy. « C’est à un moment décider de partager un parcours pas facile avec des enfants. Je me bats avec eux, à leurs côtés etaprès, on verra bien. Quand ils arrivent, il faut accepter leur histoire, accepter qu’ils ont des parents, sans dire du mal d’eux, sans entrer en compétition. Cela étantdit, c’est clair qu’on prend le rôle de parents, moi je suis mère », répète-t-elle. Toutefois, elle a bien conscience que sa situation diffère de celled’autres familles d’accueil : « Nous sommes suivis par l’asbl Odile Henri1 qui nous a dit que, généralement, les familles d’accueil ont déjà eudes enfants avant d’accueillir. Et ce n’est pas notre cas, c’est vrai. » Lorsqu’on discute avec elle, Aline Deroisy ne cache pas que ce statut de « familled’accueil » est la conséquence d’un désir d’enfant. « On a longtemps essayé d’avoir un enfant, dit-elle. Puis on s’est renseigné sur l’adoption avantde se renseigner sur l’accueil. On a ensuite réfléchi pendant plusieurs mois, pour comprendre ce qu’était l’accueil, quelles en étaient lesconséquences. » Un cheminement qui ne s’est pas fait dans la solitude. Le service de placement familial Odile Henri a fait son travail d’information et d’accompagnement. C’est cequ’Aline Deroisy explique : « Il ne suffisait pas de dire qu’on avait envie d’accueillir. Il fallait en parler, passer des entretiens pendant plusieurs mois. L’objectif de cesentretiens était notamment de s’assurer qu’on comprenait bien la mission, le cadre. » Une fois les démarches administratives remplies et les entretiens terminés, lafamille est parée pour l’accueil.
« Accepter qu’ils aient d’autres parents »
Première rencontre avec Fathia, dans une institution. Aline s’en souvient, non sans émotion. « L’attachement avec ma fille, je l’ai eu très vite, en allant la voirau home où elle était placée. C’était un peu dur d’arriver là, de voir les autres enfants. Puis ils nous ont laissés sortir avec elle, puis passer desweek-ends. Le retour du premier week-end a été très dur, elle pleurait. » Quant à Brayan, son arrivée dans la famille a été moinsprogressive et l’attachement, le lien, a été plus long à se construire. « Il n’y avait pas de week-ends avec lui, explique-t-elle. Il est arrivé directement duhome. Et il avait des problèmes moteurs, des problèmes de strabisme. Il ne s’attachait pas spécialement quand il est venu chez nous…, mais au bout de deux mois, tout estallé mieux. »
Le lien se crée et se renforce au fil des années, mais les parents d’origine ne s’effacent pas. Leur ombre est toujours présente même si eux ne le sont plus. Lalégislation relative au placement d’enfants stipule clairement que le lien avec les parents doit être travaillé. Dans la réalité, ce n’est pas toujours aussi simpleavec des pères et des mères qui n’assument pas vraiment leur rôle. Quelle place trouvent les parents d’origine dans ce puzzle ? Pour Aline Deroisy, la première desdifficultés d’une famille d’accueil c’est « d’accepter le parcours des enfants, le fait qu’ils aient d’autres parents. » Dans son cas, cela fait cinq ans que ses enfantsn’ont plus rencontré leurs parents, qui n’ont pas manifesté de désir en ce sens. Une fois par an, des rencontres pourraient avoir lieu. Fathia est suivie par le Service d’aideà la jeunesse qui convoque parents d’origine et parents d’accueil. Les parents d’origine ne se montrent pas. Pour Brayan, la convocation est émise par le juge, elle est doncobligatoire. Les parents se rencontrent, mais sans l’enfant. Néanmoins, une porte est toujours ouverte. Si les parents souhaitent reprendre contact, ils peuvent le faire via l’asbl OdileHenri.
Au quotidien, Aline ne parle pas beaucoup des parents avec ses enfants. « Ma fille en a beaucoup parlé, confie-t-elle. Elle dit aussi que c’est un regret pour elle de ne pasavoir été dans mon ventre. C’est d’ailleurs elle qui a demandé à nous appeler papa et maman. Elle a parfois des angoisses en se demandant si un jour elle devra retournerchez sa mère, ou bien elle s’interroge sur ce qu’elle deviendrait s’il m’arrivait quelque chose. » Dans ces moments difficiles de crainte et d’angoisse, le soutien apporté par leservice de placement familial n’est pas négligeable. Les visites à l’association Odile Henri ont lieu tous les trois mois. Au moment des questions existentielles de Fathia, unepsychologue a pu la soutenir.
Avec Brayan, les échanges relatifs aux parents se font sur des bases différentes, plus intériorisées. « Le petit n’en parle jamais avec nous, explique-t-elle. Onse demande s’il veut savoir… est-ce que ça va péter à l’adolescence ? Mais à l’asbl, il demande parfois des nouvelles de sa maman. Dans les deux cas, ils saventtrès bien où ils en sont, ils connaissent le principe et savent qu’ils ont d’autres parents. » Quant à ces fameux parents, Aline les a rencontrés plusieursfois, elle est catégorique, « il ne faut pas les juger, je pense que pour en arriver là, ils ont dû traverser beaucoup de difficultés. Et puis, ils ne sontpas des freins, ils ne font p
as de mal à nos enfants, c’est essentiel. »
« L’adoption : on aurait tous les droits de parents »
Officiellement, les parents d’origine restent les parents. Ils conservent le pouvoir de faire certains choix importants, comme le choix de l’école. Leur autorisation est censéeêtre nécessaire en cas de voyage à l’étranger. « Le fait que les parents doivent donner leur accord, par exemple, avant de partir en vacances àl’étranger, ça peut être lourd. Dans les faits, on demande au SAJ ou au SPJ et ça se passe assez simplement. Ils ne demandent plus aux parents car ceux-ci nerépondent pas. » Dans certains cas plus épineux, la nécessité d’obtenir une autorisation est contraignante, comme le raconte Aline Deroisy : « Monfils avait besoin d’une opération des yeux. Il fallait une autorisation des parents qui ne venait pas. Le juge a dû intervenir ». Après tant d’annéespassées à s’occuper de Brayan, se voir confrontée à ce type de difficultés a fait réfléchir Aline Deroisy sur son rôle. « C’estl’avocat, puis le juge qui ont soulevé que, comme les parents n’interviennent jamais, il faudrait demander leur déchéance. » Déchéance des parents… etdonc ligne droite vers l’adoption ? « On y a pensé, on y pense, nous répond Aline. Je suis ouverte à ça, mais on est dans une situation particulière.Etant une famille d’accueil séparée, cela complexifie les choses. Mais si ses parents sont déchus et qu’il est adoptable, pourquoi ne pas le faire ? Cela voudrait dire qu’onaurait tous les droits de parents. »
Tant que cette idée d’adoption reste une idée, la possibilité d’un retour en famille d’origine n’est jamais exclue. Aline Deroisy préfère ne pas y penser: « Je ne pense pas à leur départ éventuel. Mais je sais que Brayan et Fathia ne sont pas mes objets. Si un jour ils doivent rentrer chez leurs parents pour leurbien, je serais anéantie. Mais c’est comme ça, je le sais, il faudrait l’accepter. »
1. Asbl Odile Henri, rue de la Source 65 à 1060 Bruxelles – tél. : 02 538 45 87 – courriel : info@faoh.be