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Regard critique · Justice sociale

Logement

L’asbl Singa et ses colocations solidaires

Proposer d’intégrer des colocations bruxelloises à des personnes réfugiées, pour faciliter leur recherche de logement, c’est le défi que s’est lancé l’asbl Singa. Depuis 2017, l’association crée du lien entre les locaux et les personnes migrantes nouvellement arrivées à Bruxelles, à travers diverses activités.

© Adeline Thollot

Dans cette colocation à deux pas du parc de Forest, ils sont cinq à habiter ensemble: Romane, Lola, Naguy, Manon et, depuis peu, Clara. Lorsqu’un de leurs colocs leur annonce il y a plusieurs mois qu’il part vivre au Québec quelque temps, ils se mettent en tête de trouver une personne pour le remplacer. Ayant entendu parler de Singa par une connaissance, ils se tournent vers l’asbl pour trouver quelqu’un pour reprendre la chambre. Pendant ce temps, Clara est de son côté, logée dans un centre d’accueil où elle partage une chambre avec plusieurs autres personnes. Quand une assistante sociale du Samusocial lui parle du projet Comme à la Maison (CALM) qui propose aux personnes réfugiées d’intégrer une colocation, elle est tout de suite très enthousiaste. Après avoir entendu les besoins et envies de chacun quant à la vie en collectivité, l’asbl Singa les met alors en contact et organise une rencontre dans la colocation. Comme l’explique Lola, l’une des colocataires, «le courant est tout de suite très bien passé entre nous, c’était naturel. En plus, on a tous environ le même âge. Nos journées sont bien remplies et on a tous des activités en soirée, mais on a l’habitude de se retrouver tous ensemble pour un dîner de colocs, le mercredi soir». Colocataires depuis seulement quelques mois, une belle complicité règne entre eux. «Ça se passe super bien, il n’y a souvent pas grand monde dans la coloc durant la journée, sauf quand ils sont en télétravail, mais on se retrouve le soir», explique Clara.

Le projet CALM s’adresse aux personnes primo-arrivantes bénéficiant d’un statut de protection internationale: des personnes réfugiées ou bénéficiaires de la protection subsidiaire, comme établi par la convention de Genève, c’est-à-dire des personnes qui fuient une persécution ou la guerre. Au sein de l’asbl, il y a aussi des personnes en situation irrégulière, des demandeurs d’asile ou des personnes venues dans le cadre des études ou du travail, mais elles ne peuvent pas bénéficier du service de logement. Elles peuvent toutefois participer à toutes les autres activités organisées: cuisine, théâtre, course à pied, jeux de société ou encore yoga.

Une chambre à soi

Habituée des hébergements collectifs, Clara avait déjà vécu en colocation à deux reprises, une fois en Grèce et puis en Turquie: «Intégrer une colocation, c’était pour moi changer d’étape de vie. Depuis mon arrivée en Belgique, il y a deux ans, je n’ai vécu que dans des espaces partagés. Ici, c’est une colocation, mais j’ai ma chambre, mon espace privé et cela fait longtemps que ce n’était plus arrivé.» Si le projet CALM correspond aux envies de Clara, ce n’est pas le cas pour tout le monde. Certaines personnes, passées par plusieurs structures collectives, n’ont pas envie de loger chez des locaux ou au sein d’une colocation. Pour un grand nombre d’entre elles, vivre en collectivité n’est pas leur premier choix, elles préfèrent d’abord trouver un logement individuel.

Pourtant, comme le précise Lionel Defraigne, en charge du projet CALM au sein de l’asbl, «le but des colocations solidaires ou des chambres chez l’habitant, ce n’est pas de se sentir comme invité chez quelqu’un, mais bien d’être chez soi, dans son espace. Ce n’est pas un logement d’urgence, qui nous accueillerait seulement pour quelques nuits». L’asbl Singa propose soit des logements chez l’habitant d’une durée de six à neuf mois, soit des colocations sur du long terme. Que ce soit dans un cas comme dans l’autre, la personne est présente sur le bail et paie son loyer et les charges. Le chargé de projet précise: «On a beaucoup plus de demandes du côté des personnes réfugiées, on ouvre trois dossiers en moyenne par semaine, alors qu’au niveau des colocs, on est plutôt à trois propositions par mois. Je pense qu’il y a plusieurs barrières à cela: beaucoup de personnes sont intéressées par le projet, mais certaines appréhensions persistent quant aux différences culturelles. Les colocataires pensent souvent qu’en vivant avec un Occidental, de la même tranche d’âge, ils auront plus de points communs.»

«Le but des colocations solidaires ou des chambres chez l’habitant, ce n’est pas de se sentir comme invité chez quelqu’un, mais bien d’être chez soi, dans son espace. Ce n’est pas un logement d’urgence, qui nous accueillerait seulement pour quelques nuits» Lionel Defraigne, en charge du projet CALM au sein de l’asbl

Un logement pour sortir des structures d’accueil

Trouver un logement n’a pas été facile pour Clara, originaire du Congo. D’abord demandeuse d’asile, son statut de réfugiée est reconnu par la Belgique, en novembre 2021. Une fois son droit de séjour octroyé, on lui annonce qu’elle a deux mois pour quitter le centre dans lequel elle était logée. «J’ai d’abord fait appel à des connaissances, puis je me suis aussi renseignée sur internet, mais c’était difficile de trouver par mes propres moyens. Les propriétaires acceptent principalement des personnes ayant un contrat de travail ou un garant», explique-t-elle. Lorsque les personnes migrantes arrivent en Belgique, elles doivent introduire une demande d’asile auprès de l’Office des étrangers. Pour les personnes n’ayant pas ou peu de ressources financières, l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil) procède à un dispatching des personnes demandeuses d’asile dans des structures collectives ou individuelles. Parmi les structures individuelles, on trouve les ILA (initiatives locales d’accueil), des logements gérés par les CPAS des communes, en partenariat avec Fedasil.

Une fois les personnes reconnues réfugiées, elles ont entre deux et quatre mois pour trouver un logement afin de libérer des places dans les centres d’accueil. Pour Lionel Defraigne, «trouver un logement en deux mois laisse peu de possibilités. On a lancé le projet CALM en particulier pour apporter une solution aux personnes reconnues comme réfugiées qui ont du mal à sortir des structures d’accueil, faute d’alternatives et qui en sont parfois expulsées». Il propose d’autres solutions, afin de faciliter la recherche de logement pour les personnes qui sortent des ILA: «Prolonger la durée de séjour dans ces structures d’accueil, mettre en place un système de fonds pour la garantie locative, afin de convaincre un propriétaire, supprimer le taux cohabitant, appuyer et renforcer le travail des ONG et des associations spécialisées qui accompagnent ces personnes dans les premières étapes de leur installation.» Selon Lionel Defraigne, toutes ces choses pourraient être mises en place à l’échelle globale.

Un modèle prometteur mais pas encouragé

Dans le processus d’installation, il faut d’abord trouver un logement pour pouvoir se domicilier et ainsi s’inscrire au CPAS de la commune dans laquelle on réside et recevoir un revenu d’intégration, pour pouvoir payer son loyer et vivre. Au-delà d’un revenu, bénéficier d’une adresse ouvre la possibilité de s’inscrire à une mutuelle, mais aussi comme demandeur d’emploi et de bénéficier de formations. Pour Lionel Defraigne, «le système est mal fait. Les propriétaires demandent une garantie locative, mais, si la personne n’a pas de revenus et que, pour en avoir, elle a besoin de se domicilier quelque part, c’est le serpent qui se mord la queue». Association française à la base, Singa existe chez nos voisins depuis 2012. Lorsque l’asbl décide de s’implanter en Belgique, elle se heurte à plusieurs difficultés administratives. En effet, le CPAS fait une différence entre une personne seule et une personne en colocation. Les travailleurs du CPAS estiment parfois que vivre sous le même toit équivaut à être pris en charge financièrement. Dans ce cas, la personne est déclarée sous un statut de cohabitant et verra son revenu d’intégration sociale réduit de 40%, comparé à une personne vivant seule. Ce n’est toutefois pas automatique, puisque cela est laissé à l’appréciation des travailleurs sociaux.

De plus, l’augmentation des prix de l’immobilier constitue une barrière financière. C’est pour cela que l’asbl s’est fixé un plafond en termes de loyer, qui tourne autour de 450-500 € toutes charges comprises. Depuis le 1er janvier 2022, le revenu d’intégration sociale (RIS) pour un cohabitant est de 714,86 € par mois, il est dès lors impossible de proposer des colocs excédant les 500 €. Malgré ces difficultés administratives et financières, le projet est sur de bons rails puisqu’il a déjà permis à de nombreuses personnes de trouver une colocation: neuf colocs solidaires ont été créées en 2019, 16 en 2020 et 33 en 2021.

En savoir plus

«L’insertion par le logement à Bruxelles: au plus près des victimes de la crise», Alter Échos n° 497, octobre 2021, Manon Legrand.

Adeline Thollot

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