302 384. C’est le nombre de citoyens flamands qui ont reçu un «zorgbudget» ou «budget soin» en Flandre en 2023, peut-on lire dans le rapport annuel du Vlaamse Sociale Bescherming, le département de l’administration flamande dédié à la protection sociale. Le gouvernement flamand a dépensé plus de 777 millions d’euros dans cette assurance autonomie, sans compter 80 millions en plus pour l’achat ou la location d’aide à la mobilité ou d’un fauteuil roulant.
Depuis 2001, la Flandre offre ainsi un complément à la sécurité sociale fédérale. Cette protection se concentre principalement sur l’accessibilité des soins de longue durée ou chroniques et le soutien pour les coûts non médicaux liés à des soins prolongés.
Le «zorgbudget» est l’épine dorsale de l’assurance autonomie en Flandre. Ce soutien financier, anciennement appelé «zorgverzekering» (assurance soins), est versé chaque mois à ceux qui en ont fait la demande et entrent dans les critères d’éligibilité. Personnes âgées placées en maisons de repos et de soins, personnes avec handicap ou patients nécessitant des soins à domicile… il existe différents cas de figure pour pouvoir avoir droit au budget des soins.
Le «budget soin» pour personnes nécessitant de lourds soins
Ce budget de 140 euros par mois est versé aux personnes qui requièrent une aide considérable, qu’elles vivent en maison de repos et de soins ou qu’elles fassent appel à des soins (professionnels) à domicile. Ce soutien a pour but de couvrir une partie des frais liés à cette assistance continue, souvent coûteuse.
Le «budget soin» pour personnes âgées avec des besoins spécifiques
Destiné aux plus de 65 ans, ce budget peut aller jusqu’à 710 euros par mois en fonction du niveau de dépendance de la personne et de ses revenus ou de ceux de sa partenaire. Il permet de couvrir les frais de soins liés à la vieillesse et constitue un filet de sécurité pour les familles confrontées à des dépenses de santé élevées.
Le «budget soin» pour personnes avec handicap
Ce «budget de soutien de base» de 300 euros mensuels est versé automatiquement aux personnes avec handicap, physique ou mental. Ici, aucune démarche n’est nécessaire: dès que les conditions sont remplies, les bénéficiaires reçoivent cette allocation.
La protection sociale flamande repose en partie sur une cotisation annuelle appelée «zorgpremie» (prime de soin). Si vous avez plus de 25 ans et vivez en Flandre, vous devez payer cette contribution fixée à 62 euros ou à 31 euros si vos revenus sont modestes. Ce sont souvent les mutuelles qui gèrent les dossiers via des «zorgkassen» (caisses de soin).
Quand une réforme sème la pagaille…
En 2021, le gouvernement flamand a mené une grande réforme du système. Il a revu la manière de redistribuer les «zorgbudgetten» souhaitant être plus équitable, en révisant les critères d’attribution des soutiens pour les personnes avec handicap. Résultat: environ 700 personnes ont vu leur allocation augmenter, mais 2.200 autres ont subi une réduction des aides, certains perdant même jusqu’à 10.000 euros par an… Les critiques n’ont pas tardé à fuser et plusieurs familles ont contesté cette décision devant la justice.
Le GRIP (Gelijke Rechten voor Iedere Persoon met een handicap), une organisation de défense des personnes avec handicap, a par exemple introduit une requête auprès du Conseil d’État contre cette réforme du gouvernement flamand.
À l’instar de plusieurs tribunaux du travail, l’auditeur du Conseil a confirmé en janvier 2024 que la réduction du budget violait le droit constitutionnel à une vie digne. Hilde Crevits, la ministre CD&V en charge du bien-être, a alors promis que les citoyens recevront le budget soin qui leur a été promis même si ça devait coûter «plus de 10 millions d’euros supplémentaires».
La décision était un soulagement pour des milliers de citoyens. Shanna Wauters, une Limbourgeoise de 39 ans qui souffre du syndrome d’Ehlers-Danlos, une maladie évolutive du tissu conjonctif, a aussi vu son budget réduit de 20% en 2021. Cette perte l’avait contrainte à réduire drastiquement les soins qu’elle pouvait financer, impactant gravement sa qualité de vie.
Fin 2023, elle annonçait dans les journaux du nord du pays son intention de recourir à l’euthanasie, submergée par des douleurs chroniques et un manque criant de soutien. L’arrêt du Conseil d’État est ainsi une bonne nouvelle qui lui redonnera un peu d’air pour envisager l’avenir de manière plus sereine.
… et a des conséquences tragiques
Malheureusement, cet arrêt de la Cour est tombé trop tard pour Joke Mariman, une femme de 43 ans atteinte d’une grave maladie dégénérative. En fauteuil roulant électrique, elle avait besoin d’aide pour presque tout, depuis les toilettes jusqu’aux boissons du réfrigérateur.
Le budget de 35.000 euros par an que Joke recevait de l’Agence flamande pour les personnes handicapées (VAPH) était insuffisant pour payer les soins vitaux. Ses aides-soignantes étaient présentes jusqu’à 18 heures en semaine et la prise en charge s’arrêtait dès 12 h 30 le week-end. Sans surveillance, elle ne pouvait plus manger au risque de s’étrangler et se couchait donc souvent le ventre vide.
Joke a demandé une augmentation de budget à la VAPH, qui l’a acceptée: elle avait alors droit à 20.000 euros supplémentaires par an pour ses soins. Mais elle devrait attendre avant de recevoir la somme.
«Ils m’ont placée dans le groupe de priorité 2, ce qui signifie concrètement que je dois attendre cinq à dix ans pour obtenir une augmentation de mon budget, expliquait Joke à la VRT en décembre 2022. Je n’ai plus le temps d’attendre. Alors je l’aurai quand je serai dans le cercueil.»
Dix mois plus tard, en septembre 2023, Joke a mis fin à ses jours par euthanasie parce que son budget soin était insuffisant.
Une attente qui n’en finit pas
Les données de 2023 montrent que le budget soin est surtout dépensé dans la catégorie des personnes «nécessitant de lourds soins». Plus de 90% des bénéficiaires (276.209 personnes) du total ont reçu 140 euros/mois.
Pour les personnes âgées (65+), 85.485 personnes âgées ont reçu un budget pour les aider. Enfin, 7.002 personnes ont reçu ce montant mensuel pour handicap.
Dans le même temps, le délai du traitement des dossiers était interminable pour des milliers de demandeurs. En 2023, plus de 17.600 personnes attendaient encore une réponse à leur demande de «zorgbudget». La liste des priorités les plus urgentes (priorité 1) comptait par ailleurs encore 261 personnes, avec un temps d’attente moyen de 12 mois.
1,1 milliard supplémentaire
Afin de rattraper l’arriéré, le nouveau gouvernement flamand a promis d’augmenter le budget de l’aide sociale de 1,1 milliard d’euros d’ici à la fin de la prochaine législature. L’injection est particulièrement importante pour les soins aux personnes avec handicap, qui peuvent compter sur un investissement de 478 millions d’euros en 2029.
Le bien-être était déjà l’un des départements les plus financés du gouvernement flamand avec plus d’un quart (26,17%) de son budget total. L’exécutif flamand entend par ailleurs simplifier les procédures comme on le lit dans son accord de gouvernement: «Nous travaillons sur une procédure de demande intégrée et simplifiée où chaque citoyen se voit attribuer rapidement un budget en fonction de ses besoins en matière de soins.»
Une promesse déjà formulée lors de la précédente législature 2019-2024: le gouvernement avait indiqué vouloir créer un «type unique de budget de soins avec un outil d’évaluation unique (BelRAI)». Cependant, cette réforme n’avait pas été mise en œuvre.
De son côté, l’Association des villes et communes flamandes (VVSG) rappelait dans son mémorandum préélectoral l’importance d’investir dans l’assurance autonomie: «Il faut que les soins restent abordables pour tous. De nombreuses personnes renoncent aux soins à domicile et en maison de repos en raison de leur coût élevé, ou bien elles réduisent les soins. Les budgets de soins de la protection sociale flamande constituent un levier important pour contrer ce phénomène.»
L’autonomie, une question de dignité humaine
Avec le vieillissement de la population, l’accès aux soins est une thématique qui va gagner en importance au fil des années. Alors que la Wallonie envisage de mettre en œuvre une assurance autonomie, une analyse des faiblesses et des points forts du «zorgbudget» en Flandre pourrait faire avancer les discussions.
Un point ne doit seulement pas être oublié: que ce soit dans le nord ou le sud du pays, garantir à chacun la possibilité de vivre dans la dignité est un droit constitutionnel, comme l’a rappelé le Conseil d’État face la à réforme du gouvernement flamand de 2021.
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