Laurent Minguet est un homme d’affaires liégeois. Voilà un entrepreneur wallon qui a réussi : il est aujourd’hui milliardaire ! Adulé par les uns, conspué par les autres, ce « fort en gueule » laisse peu de gens indifférents en raison de ses positions tranchées. Sur son blog « Now Future », il vient de publier un article intitulé « La dispersion de l’habitat wallon n’est pas soutenable ».
Alter Echos : En quelques mots, quelle est votre activité professionnelle ?
Laurent Minguet : Je suis entrepreneur. J’ai notamment fondé une société qui fut une success story[x]1[/x]. Depuis une dizaine d’années, j’ai réinvesti dans beaucoup de secteurs en étant guidé par un fil rouge : le développement durable (économies d’énergie, énergies renouvelables, bâtiments basse énergie). Aujourd’hui, j’ai une activité importante dans la promotion immobilière, notamment à travers le groupe Horizon, qui construit essentiellement des logements bioclimatiques dans la philosophie des écoquartiers. Par ailleurs, Je suis président du Cluster Tweed[x]2[/x], qui est le cluster Technologies wallonnes Energie Environnement et Développement durable, et je suis membre de l’Académie royale de Belgique dans la classe technologie et société.
A.E. : Vous estimez que la dispersion de l’habitat wallon n’est pas soutenable[x]3[/x]. Quels sont vos arguments ?
L.M. : Ce constat n’est pas neuf ; la Région wallonne l’a déjà mis en avant il y a de nombreuses années. L’habitat doit idéalement être situé près des services : bus, gares, magasins, administration communale, raccordement à l’eau et à l’électricité etc. Construire un écoquartier au milieu de nulle part – comme ce fut le cas avec le Sart-Tilman à Liège – n’a pas beaucoup de sens. Le problème essentiel, aujourd’hui en Région wallonne, est qu’il n’y a pas, dans son document de base qu’est le CWATUPE (Code wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme, du Patrimoine et de l’Énergie), de règles qui incitent à mettre en pratique une politique de non-dispersion du logement. La volonté politique y est bien souvent mais il manque de lois en ce sens. Je constate que si l’on veut densifier les noyaux d’habitat et donc construire sur des terrains vierges à proximité des services existants, c’est beaucoup plus compliqué qu’aller construire au beau milieu de la campagne. La conséquence en est que les promoteurs construisent généralement dans des zones plus reculées. Disperser l’habitat coûte aussi financièrement des sommes importantes à la collectivité et donc au citoyen. Globalement, la dispersion de l’habitat entraîne des difficultés en termes d’énergie, de transports publics, d’accès aux services publics et autres, de pollution due à l’usage intensif de la voiture, de construction de réseaux routiers onéreux, de distribution de l’électricité, de l’eau et du gaz, et de vie sociale.
A.E. : Selon le Bureau du Plan et l’Observatoire du logement, la Wallonie devrait construire 400 000 logements d’ici à 2050 pour héberger le million d’habitants supplémentaires que comptera alors le sud du pays. Vous estimez qu’il faut densifier les zones d’habitat près des services. Vu ces chiffres, ne faut-il pas aussi parallèlement songer à construire de nouveaux quartiers dans lesquels des services seront intégrés ?
Oui, pourquoi ne pas créer de nouvelles villes à dimension humaine… Mais si ça se fait, comme ça été le cas à Louvain-la-Neuve, il faut un nombre d’hectares optimum pour que la ville soit à la fois agréable et suffisamment dense pour qu’il s’y trouve des commerces de proximité, des services à la population etc. Cette démarche n’est pas incompatible avec la densification des noyaux d’habitat existants. Cependant, j’insiste sur ce point, il faut au moins 10 000 habitants – et donc au moins 4 000 logements compte tenu d’une moyenne de 2,5 habitants par logement – pour qu’un tel projet soit viable, notamment pour les commerces qui s’y implantent. Regardez les difficultés que rencontrent des villages de 2 000 ou 3 000 habitants pour que des commerces ou des activités économiques puissent s’y développer.
L’une des causes de la dispersion de l’habitat, c’est à vos yeux la trop grande autonomie des communes. Mais ce n’est pas la seule…
La première cause est qu’il n’y a pas de règle dans le CWATUPE, au niveau régional, qui privilégie la densification des noyaux d’habitat. Ceci est renforcé par la décentralisation accrue du pouvoir au profit des communes. Celles-ci n’utilisent pas suffisamment ce pouvoir dans le but de densifier les noyaux d’habitat. Les raisons sont ici généralement de type électoraliste : les élus communaux n’ont pas envie de se fâcher avec tel ou tel quartier qui serait sujet à une densification de son habitat. J’estime toutefois que le droit de la rue devrait s’effacer devant la nécessité d’une politique cohérente en termes d’habitat. Le problème de fond avec les communes, c’est qu’il n’existe pas de réel contre-pouvoir, ce qui est pourtant vital dans une vraie démocratie. Je m’explique : lorsqu’une décision communale va à l’encontre du bien-être collectif, il faudrait un mécanisme pour la contrecarrer. Or ce n’est pas le cas. Prenez le cas de nombreux plans communaux d’aménagement (PCA) ; ces initiatives communales ne peuvent en aucun cas être annulées par le ministre de tutelle, même lorsque ces PCA sont désastreux. Le problème est le même avec les zones d’aménagement communal concerté (ZACC), où certaines communes abusent de leur pouvoir.
Que devrait-on changer dans le CWATUPE pour faire face à la problématique de la dispersion des logements ?
D’emblée, je tiens à préciser que tout n’est pas à rejeter dans le CWATUPE ; on y trouve des règles assez fines en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Mais il est difficile de faire des règles qui s’appliquent à tous les cas de figure. Cela étant, pour avoir une politique logique et cohérente, il faudrait que l’article 1er du CWATUPE, qui concerne « l’utilisation parcimonieuse des sols », fasse l’objet d’une révision ; on devrait y ajouter des mesures plus précises du style « cet article 1er implique ceci et cela ». En outre, il faudrait mettre en place un réel contre-pouvoir régional qui permette de s’opposer aux communes qui négligeraient ces implications. Aujourd’hui, tout citoyen peut introduire un recours lorsqu’un dépôt d’urbanisme est déposé où que ce soit ; la Région, elle, ne dispose pas d’un tel droit ! A ce titre, l’inaction de certaines communes devrait aussi être considérée comme une faute ; je parlerais ici volontiers de « non-assistance à Région en danger » !
1. Dans les années ’80, Laurent Minguet a fondé la société EVS, spécialisée dans le broadcast. Elle fut introduite en bourse en 1998. En 2004, il a été nommé Manager de l’Année.
2. Cluster Tweed :
-site : http://clusters.wallonie.be/tweed-fr/
3. « Now Future » :
– blog : http://nowfuture.org