Alter-Échos : Les troubles du spectre autistique, qu’est-ce que c’est ?
Marielle Weyland : D’après le DSM-5, l’autisme se caractérise l’altération de deux grandes sphères de la vie quotidienne de la personne concernée et de son entourage. Le premier domaine est celui de la communication et des interactions sociales et le deuxième ce sont les intérêts restreints, répétitifs et stéréotypés.
C’est un trouble neuro-développemental, on naît donc avec, c’est une construction du cerveau qui se fait différemment. Tous ces symptômes doivent pouvoir se retrouver dans la petite enfance. Le spectre autistique se définit aussi par son intensité ; on place une personne sur le spectre par rapport au soutien dont elle va avoir besoin.
AÉ : Comment se traduisent concrètement les deux altérations que vous citez ?
MW : Pour les troubles de la communication, les symptômes peuvent aller d’une personne totalement non verbale, qui éprouve d’énormes difficultés à communiquer avec les outils du monde neuro-typique (contact visuel, pointage et langage) à des difficultés de langage qui peuvent prendre plus de temps à déceler. Des difficultés à comprendre l’humour, les sous-entendus, mais aussi à exprimer clairement et adéquatement sa pensée en fonction de la situation et du contexte.
Pour ce qui est des intérêts restreints répétitifs, il peut s’agir d’intérêts qui se focalisent sur le sensoriel. Par exemple, une personne très stimulée par les lumières, et dont toute l’appréhension du monde sera orientée vers celles-ci, car elles stimulent son système nerveux. De l’autre côté du spectre, on peut trouver une personne dont l’intérêt restreint sera, par exemple, uniquement cantonné au domaine des chevaux ; il s’agira parfois d’une appréhension beaucoup plus théorique (emmagasiner un maximum de connaissances et de savoirs).
Marie Belenger : L’intérêt restreint est plus qu’un intérêt atypique : il va empêcher la personne de participer pleinement aux activités scolaires et de groupe. Pour le considérer comme un intérêt restreint, il faut qu’il y ait un impact négatif sur l’entourage de la personne, que ce soit dans les sphères familiales, scolaires ou amicales.
AÉ : Est-ce qu’on constate des différences dans les symptômes en fonction du genre ?
MW : Il est possible que l’on soit beaucoup plus sévère sur l’évaluation du besoin substantiel d’aide nécessaire pour un garçon parce qu’on va avoir certaines attentes qu’il ne va pas pouvoir rencontrer et qu’inversement, peut-être qu’une petite fille peut avoir un peu moins de besoin d’aide parce qu’elle va avoir d’autres ressources. La société tolère aussi peut-être mieux les petites filles qui sont seules dans leur coin et considère que c’est plus problématique quand c’est un garçon.
MB : Une fille qui tournicote tout le temps ses cheveux par exemple, c’est quelque chose qui est tout à fait accepté dans la société. C’est vraiment une question de perception de certains comportements qui vont paraître typiques ou pas assez atypiques. Il y a plein de gens neuro-typiques qui le font. Mais chez les filles autistes, c’est en le conjuguant avec d’autres comportements symptomatiques de l’autisme que l’on peut peut-être considérer ce comportement comme répétitif et stéréotypé.
MW : Des études montrent que les filles seraient un peu meilleures que les garçons au niveau de la compétence pragmatique, c’est-à-dire le langage mais aussi l’intonation et le sous-texte. Mais la recherche là-dessus est encore très nouvelle.
AÉ : A quoi est-ce dû selon vous ?
MW : Les études ne sont pas unanimes. D’un côté cela pourrait être expliqué par une différence dans l’expression des symptômes en fonction du sexe de l’enfant. D’autres pistes envisagent la possibilité que la société puisse créer cette différence.
Imaginons, par exemple, une situation où deux enfants autistes sont dans un parc et là, il y a une colère qui arrive parce que l’enfant est frustré. Comment va-t-on réagir à la colère du garçon et à celle de la fille ? Si on dit à un garçon « oh là là, il aura du caractère quand il sera plus grand » et que l’on dit à une petite fille « Tu es capricieuse, tu ne sais pas tenir », alors différents comportements seront renforcés.
La manière dont l’environnement réagit à cette situation est soumise à des biais de genre et pourrait expliquer un diagnostic tardif, lié à des attentes différentes en fonction du sexe attribué à la naissance de l’enfant. Ces réactions peuvent amener les personnes autistes à « camoufler », c’est-à-dire adopter des stratégies conscientes ou inconscientes pour cacher un trait associé à l’autisme. Le camouflage peut freiner ainsi le diagnostic, en particulier chez les femmes qui rapportent davantage camoufler que les hommes.
Pour les femmes, il y a une vulnérabilité face aux hommes. Énormément de violences sexuelles, de situation d’emprise. Le taux d’agressions sexuelles chez les femmes autistes est énorme. C’est vraiment une population vulnérable et en particulier quand elles ne sont pas diagnostiquées. Ayant moins de ressources autour d’elles, elles se retrouvent alors confrontées à ces situations de manière systématique. Les femmes autistes ont aussi plus de risque de se retrouver dans des situations de violence au sein de leur couple et donc des situations de séparation autour d’enfants qui sont très importantes.
AÉ : Est-ce que ça rend le diagnostic des filles difficile ?
MW : Oui, car certains critères de diagnostics peuvent être faussés par l’apprentissage de certains comportements genrés. Par exemple, dans les outils de diagnostic comme l’ADOS (qui consiste en un entretien semi-structuré avec l’enfant), des activités sont proposées où on laisse l’enfant jouer et on observe ses comportements. Pour les jeunes autistes, le jeu de « faire semblant » est très compliqué. On propose donc des jeux avec une poupée à qui il faut donner le bain ou dont il faut fêter l’anniversaire (pour les enfants plus âgés) … Ce que j’observe dans le cadre de ma recherche, c’est que les petites filles sont très fortes pour faire ça. Elles sont davantage entraînées à ce type d’activités et donc plus adéquates quand elles ont grandi avec un parent qui a renforcé tous les biais de genre attachés au sexe féminin.
MB : Mais on voit, chez l’enfant autiste, que ce seront toujours les mêmes scènes qui sont répétées, de façon très stéréotypée. La petite fille n’a pas compris que c’était un jeu, elle répète juste ce qu’elle fait avec son parent.
MW : C’est là où le diagnostic pluridisciplinaire est crucial. Il y a des outils mais ils ne détiennent pas la vérité. Cette petite fille qui sait faire l’anniversaire de cette poupée va avoir un score positif pour cette compétence, elle ne pourra pas être prise en compte au niveau de la cotation dans le diagnostic. Mais le clinicien note que ce qu’elle a fait a été très stéréotypé, répété, peu spontané donc potentiellement symptomatique de l’autisme.
AÉ : Ces difficultés engrangent-elles un diagnostic tardif chez les filles ?
MB : Oui, l’âge moyen pour un garçon c’est 3 ans, pour une fille c’est 9 ans. Les filles diagnostiquées plus tard vont alors souvent avoir des difficultés plus internes qu’externes. Elles vont peut-être être moins hyperactives, avoir des comportements qui vont être moins impactant pour l’entourage.
MW : Les petites filles qui sont diagnostiquées plus vite le sont parce qu’elles ont une symptomatologie autistique très importante, assez comparable aux garçons. Elles ressemblent à ce qui est décrit dans le DSM-5 or celui-ci est basé majoritairement sur une description de garçons autistes. Cette réflexion est assez éclairante et à creuser. Il est possible qu’il faille que les traits autistiques d’une petite fille soient très marqués pour qu’elle arrive en centre de référence.
MB : Il faut donc parfois être attentif aux comorbidités que l’on retrouve beaucoup chez les filles. Ce qui est souvent diagnostiqué chez les filles et qui s’avère parfois lié à l’autisme ce sont les troubles du comportement alimentaire. Dans l’autisme, l’anorexie peut se traduire par le faire de garder une illusion de contrôle sur une vie entière quand la personne n’en a plus. Mais, on peut souffrir de TCA sans être autiste bien sûr.
AÉ : Quelles sont les conséquences pour celles qui ne sont pas diagnostiquées ?
MB : De l’anxiété, de la dépression, un risque de suicide et de marginalisation. Davantage de risque de finir dans la rue ou en prison. Cela est dû au fait que tout comportement atypique, non ancré dans la société amène à des plus grandes chances d’être en prison.
MW : Il y a aussi une plus forte prévalence aux addictions, une forte précarité parce qu’un plus faible taux d’emploi. Même en cas de diagnostic d’autisme, il peut y avoir de la dépression et de l’anxiété. Mais quand on n’a pas de diagnostic, ce risque est exponentiel.
MB : Pour les femmes, il y a une vulnérabilité face aux hommes. Énormément de violences sexuelles, de situation d’emprise. Le taux d’agressions sexuelles chez les femmes autistes est énorme. C’est vraiment une population vulnérable et en particulier quand elles ne sont pas diagnostiquées. Ayant moins de ressources autour d’elles, elles se retrouvent dès lors confrontées à ces situations de manière systématique. Les femmes autistes ont aussi plus de risque de se retrouver dans des situations de violence au sein de leur couple et donc des situations de séparation autour d’enfants qui sont très importantes.
AÉ : Comment pourrait-on remédier à ces biais ?
MB : La recherche sur le genre dans l’autisme est encore très récente, il faudrait donc continuer la recherche dessus. Mais il est difficile de trouver des filles autistes diagnostiquées. Même quand on essaie d’orienter l’entièreté de sa recherche sur l’autisme féminin, on n’est pas capable de trouver des participantes féminines. Ce n’est pas qu’on ne veut pas les étudier, c’est qu’on ne sait pas les étudier. Tant que la recherche n’avance pas, il sera difficile de connaitre la symptomatologie des filles mais tant que les diagnostics ne sont pas donnés il restera compliqué de les étudier.