Les lignes bougent enfin sur le front des droits sociaux européens. En témoigne l’annonce de la mise en place d’une Autorité européenne du travail. Mais encadrer de la sorte le marché de l’emploi de l’Union permettra-t-il réellement d’avancer vers une Europe plus sociale?
Pour quatre Européens sur cinq, la libre circulation est le droit le plus important parmi ceux mis en place dans l’Union. Un droit qui permet de voyager au-delà de ses frontières, de s’installer à l’étranger mais aussi de travailler dans un autre pays européen. Car, dans les faits, les travailleurs européens n’ont jamais autant voyagé. Ils sont 17 millions à vivre et travailler dans un autre État membre que celui où ils sont nés. C’est deux fois plus qu’il y a dix ans.
La libre circulation des travailleurs et la libre prestation de services dans l’Union sont donc deux piliers fondamentaux du projet européen. Pourtant, au fil des années, ces piliers n’ont cessé de se fissurer sous les coups de plusieurs abus: concurrence déloyale entre travailleurs, détachements en cascade, conditions de vie des travailleurs innommables… C’est que les lois européennes mises en place pour gérer le marché du travail sont appliquées au niveau national. Un niveau qui éprouve des difficultés à s’adapter à un marché de quelque 237 millions de travailleurs mobiles. «Traditionnellement, on laisse le contrôle et le monitoring de ce marché du travail aux États membres. Le problème, c’est que les entreprises ne connaissent pas de frontières et les inspections des pays sont limitées à leur territoire national, explique Séverine Picard, conseillère juridique à la CES, la Confédération européenne des syndicats, il faut trouver un équilibre entre le comportement peu scrupuleux de certaines entreprises et ce que les autorités publiques essaient de faire. On assiste donc à un accroissement de la fraude sociale transfrontalière et à de la concurrence inéquitable sur les salaires.»
Les lignes bougent
Face à ces constats, les lignes bougent. En témoignent les initiatives récentes de la Commission visant à garantir une mobilité équitable des travailleurs au sein de l’Union européenne: adoption et révision de la directive sur le détachement des travailleurs, établissement de la plateforme européenne de lutte contre le travail non déclaré, travaux autour de la révision de la réglementation en matière de coordination des systèmes de sécurité sociale… avec comme point d’arrivée la très récente présentation du paquet «équité sociale» et la proposition de règlement sur l’Autorité européenne du travail. Elle assurera un double objectif, comme l’expliquait Marianne Thyssen, commissaire européenne à l’Emploi, dans une carte blanche communiquée aux médias européens, «le rôle de cette future autorité sera d’aider les citoyens à connaître leurs droits et les États membres à les faire respecter. L’Autorité européenne du travail permettra aux citoyens et aux entreprises de trouver leurs marques sur un marché du travail de plus en plus européen en facilitant l’accès à l’information. Elle servira aussi à renforcer la coopération entre les États membres pour s’assurer que les autorités nationales travaillent ensemble à faire respecter les règles communes…» Un objectif d’information doublé d’une prérogative de contrôle donc. D’un côté, son rôle sera semblable à celui d’Europol qui favorise la coopération entre les différents services de police en Europe, sauf qu’ici, ce sont les services d’inspection du travail qui seront amenés à collaborer. Son objectif est également d’apporter un soutien aux inspections visant des entreprises soupçonnées d’abuser du système des travailleurs détachés. Et de l’autre côté s’ajoute donc un rôle d’information afin, notamment, de renseigner les entreprises et les salariés actifs dans un autre pays européen que le leur. Elle fournira également une information sur les formations et les offres d’emploi. Elle devrait voir le jour en 2019 et, auparavant, être acceptée par le Conseil de l’UE et le Parlement européen.
Pour quatre Européens sur cinq, la libre circulation est le droit le plus important parmi ceux mis en place dans l’Union.
Dans la lignée, début mars, les négociateurs du Parlement européen, du Conseil et de la Commission ont communiqué qu’ils s’étaient entendus sur un accord pour la réforme du travail détaché. Enfin, la Commission travaille à un numéro de sécurité sociale européen qui devra servir d’identificateur numérique. Ces derniers mois, les contours de l’Europe sociale se sont affirmés petit à petit.
Le chemin vers l’Europe sociale est encore long
Jean-Claude Juncker promettait au début de son mandat qu’une fois celui-ci terminé, l’Europe pourrait se targuer de présenter un «triple A social». L’instauration de cette autorité est clairement un palier important en vue de réaliser cet objectif. Mais est-il suffisant? Car si l’instauration de cette autorité est majoritairement saluée, la critique énoncée consiste à se demander si ses prérogatives sont suffisantes pour améliorer la gestion du marché de l’emploi européen. Cette autorité devra, certes, encourager la coopération entre les autorités nationales, mais elle n’est dotée en réalité d’aucun pouvoir d’inspection. Ensuite, les différences qu’il existe au niveau des droits sociaux sont telles au sein des différents pays de l’Union que le rôle de régulateur de cette Autorité semble quasiment impossible.
Séverine Picard déplore également le manque d’implication des partenaires sociaux dans la gestion de cette autorité: «Nous aimerions que les partenaires sociaux aient un rôle actif, ce qui n’est pas le cas pour le moment. La proposition de la Commission limite ces partenaires à un rôle consultatif qui n’a lieu qu’une fois par an.»
Enfin, la question du lieu risque également de susciter les débats, comme ce fut le cas avec la bataille que s’étaient livrée les pays européens en vue d’accueillir l’Agence européenne du médicament délocalisée dans le cadre du Brexit.