Une proposition de loi portée par le CD&V entend inscrire les «enfants nés sans vie» en dessous de 180 jours de grossesse au registre des naissances. Le tout sur demande des parents. Pour le Centre d’action laïque, l’objectif de ce texte est de fragiliser le recours à l’avortement. Il met aussi et surtout le MR dans de sales draps.
L’accès à l’avortement est-il menacé en Belgique? Dans un dossier en mars 2014 consacré à l’interruption volontaire de grossesse, Alter Échos énumérait les différentes formes que pouvait prendre cette menace: pénurie de médecins pratiquant l’IVG, manque de militance de certains praticiens, poids accru d’associations opposées à l’avortement… Et relayait les inquiétudes d’acteurs «pro-choix», en pleine mobilisation. Aujourd’hui, c’est à nouveau le branle-bas de combat dans les rangs de ces derniers. En cause: une proposition de loi en discussion au sein de la commission Justice du Parlement. Portée par le CD&V, elle concerne ce que l’on appelle pudiquement «les enfants nés sans vie».
Un acte de naissance pour des embryons?
Pour comprendre ce qui se joue, il faut savoir que, à l’heure actuelle, un enfant mort-né à partir de 180 jours de grossesse fait l’objet d’une déclaration d’enfant sans vie avec mention facultative des prénoms. Un acte de décès est ensuite délivré par la commune. Le texte aujourd’hui sur la table introduit plusieurs modifications au sein du Code civil. Il maintient bien la limite de 180 jours mais propose une inscription spéciale au registre des naissances avec possibilité de donner un prénom et un nom. On ne parle donc plus d’acte de décès, mais bien d’acte de naissance. Deuxième point: la proposition de loi donne la possibilité aux parents de demander qu’une inscription au registre des naissances soit effectuée en dessous de 180 jours de grossesse. Pour Sonja Becq, qui porte le texte pour le CD&V, le but de cette proposition de loi est simple: il s’agit répondre à une demande de certains parents qui auraient besoin de ces mesures afin de faire leur deuil plus facilement. Depuis plusieurs années, des associations de parents militent effectivement en faveur de ce type de mesures.
Mais pour le Centre d’action laïque (CAL) ou la Fédération des centres de planning familial des Femmes prévoyantes socialistes, il y aurait bien plus que cela. L’objectif de cette proposition de loi serait de fragiliser le recours à l’avortement. Dresser un acte de naissance en dessous de 180 jours pourrait en effet donner un autre statut, même de manière symbolique, au fœtus ou à l’embryon. Le CAL dénonce d’ailleurs les confusions sémantiques qui émailleraient le texte du CD&V. «On confond enfant, embryon, fœtus et ce n’est pas un hasard», tonne Sylvie Lausberg, directrice de la cellule étude et stratégie du CAL. Pour le CAL, le but du CD&V serait de «sacraliser» l’embryon dès la conception. Une tendance que l’on retrouve dans certains pays européens parmi les plus «frileux» par rapport à l’IVG, comme la Pologne ou la Hongrie. Dans une pétition en ligne qu’il a lancée il y a un peu plus d’un mois – et qui a déjà recueilli près de 16.000 signatures –, le centre dénonce ainsi le fait que ce texte donnerait la personnalité civile au fœtus. Ce qui risquerait «de remettre en cause la loi qui dépénalise partiellement l’avortement. Tout avortement au-delà du seuil toléré, pour raison médicale par exemple, pourra être considéré comme un homicide».
Détail qui a son importance: tous les intervenants à qui nous avons parlé mentionnaient tout de même un seuil minimal de grossesse permettant de faire une demande d’acte de naissance. La proposition de loi du CD&V aurait ainsi proposé un seuil limite de 85 jours de grossesse. Mais lorsque nous l’avons interrogée, Sonja Becq a démenti cette information. «Nous ne parlons pas encore de limite minimale, la discussion est ouverte. Nous voulons entendre ce que les parents souhaitent.» Pourrait-on dès lors se diriger vers des actes de naissance pour des embryons de deux semaines? Si l’information devait se vérifier, voilà qui donnerait en tout cas du grain à moudre aux inquiétudes du CAL. Notons que, en Flandre, un décret daté du 16 janvier 2004 prévoyait la possibilité d’inhumer ou d’incinérer les restes d’une fausse couche après une durée de grossesse de 12 semaines entières. En juin 2014, ce délai de 12 semaines a été supprimé. Dorénavant, l’embryon ou le fœtus, à la suite d’une fausse couche, peut être inhumé ou incinéré quelle que soit la durée de grossesse…
Le MR tiraillé
Face à ces inquiétudes, Sonja Becq se défend de toute tentative de remettre l’avortement en cause. «Personnellement, je n’ai jamais fait le rapprochement entre ce dossier et celui de l’avortement. Et nous ne voulons pas donner de personnalité juridique à l’embryon. Pour avoir une personnalité juridique, il faut être vivant. Nous ne faisons que travailler avec ce que nous avons, le registre de l’état civil. Il n’existe pas d’autre registre en Belgique.» Plus généralement, l’élue CD&V dit également sentir une différence de sensibilité sur ce sujet entre francophones et néerlandophones. Au point de créer un malaise au sein de la majorité gouvernementale? Rappelons que l’accord de gouvernement au niveau fédéral prévoyait qu’il serait «légiféré sur la question du nom et de l’enregistrement des enfants mort-nés». Malgré cela, certains au sein du MR notamment se sentiraient mal pris par la proposition du CD&V. «C’est la merde», nous dira même une source proche du dossier. Il se chuchote ainsi que le haut de la hiérarchie du Mouvement réformateur serait en train de chercher une solution alternative. En solitaire, tant les partenaires flamands semblent plus conciliants vis-à-vis du CD&V.
Une solution, évoquée également par le CAL, serait de sortir l’avortement du Code pénal. Pour rappel, la fameuse loi de 1990 dépénalisant partiellement l’IVG en Belgique n’autorise pas l’avortement mais suspend les poursuites légales si un certain nombre de conditions sont remplies. Aujourd’hui, l’IVG en Belgique fait donc toujours partie du Code pénal. L’en sortir pourrait garantir sa pérennité, malgré la proposition de loi du CD&V. Est-ce cela que le MR est en train de négocier avec son partenaire de majorité dans une sorte de marché donnant-donnant? Du côté de Sonja Becq, on déclare en tout cas chercher un accord au sein de la majorité. Mais on ne se prononce pas sur ce qui pourrait se passer en cas de désaccord persistant avec le partenaire libéral. Pourrait-on se diriger vers une majorité alternative, soutenue depuis l’opposition par le CDH, voire quelques Écolos issus de l’aile catholique des verts? Du côté du CDH, on fait remarquer que le parti humaniste a aussi un texte sur la table à ce sujet. «Mais nous n’allons pas aussi loin que le CD&V, nous dit-on. On ne parle pas d’acte de naissance mais de possibilité – entre 140 jours et 179 jours – d’inscrire l’enfant à la demande des parents dans un registre spécial tenu dans la commune de l’institution hospitalière.» Face à ce constat, le parti fait remarquer qu’il pourrait «appuyer le texte du CD&V, mais il est encore un peu tôt pour nous prononcer. Il y a tout de même quelques différences entre nos deux propositions».
Ce scénario pourrait également se vérifier dans l’hypothèse où certains élus MR décideraient de jouer aux frondeurs malgré un accord entre leur parti et le CD&V. Pour rappel, les statuts du MR permettent à ses élus de voter en leur âme et conscience dès lors qu’il s’agit de questions éthiques. La majorité – et le MR – pourrait se déchirer sur cette question…
Aller plus loin
Alter Échos n°377, «Belgique: l’accès à l’avortement menacé?», Julien Winkel, mars 2014
Alter Échos n°377, «L’Europe face aux lobbies conservateurs», Cédric Vallet, mars 2014
Alter Échos n°377, «Parcours et chute du rapport Estrela», Maïli Bernaerts, mars 2014