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Environnement

Le box à vélo, ce nouvel objet urbain

Devenu un élément à part entière du paysage urbain bruxellois, le box à vélo est un symbole parfois clivant. Inégalement réparti sur la région, il reflète les enjeux politiques, sociaux, et urbains de la capitale.

Nicolò Tissier 25-03-2025 Alter Échos n° 522
(c) Jérémie Luciani

Une inconnue à son amie, devant une grande boîte métallique un peu étrange: «Oh, t’as déjà vu ce truc? C’est pour mettre ton vélo à l’abri quand t’as pas la place chez toi, ça m’intéresserait aussi!» Ce truc est un box à vélo, conçu pour permettre aux usagers de garer leur vélo en sécurité à l’extérieur. Cette scène, vue dans une rue près du square Ambiorix, dans la commune de la Ville de Bruxelles, illustre ce que Florine Cuignet nomme «l’effet d’appel». «Parfois le simple fait d’installer un box vélo dans une rue crée une nouvelle demande», explique la porte-parole bruxelloise du Gracq, une asbl qui défend les intérêts des cyclistes en Belgique francophone.

Comment cet objet est-il devenu, en quelques années seulement, un élément connu et reconnu du paysage urbain? Les Bruxellois l’ont vu pousser un peu partout dans leur région. Reprenons l’histoire depuis le début du chemin, en suivant notre inconnue du box pour ne pas se perdre.

À la source, on trouve un constat partagé par le milieu associatif et les acteurs publics: «Le vol de vélos est vraiment une plaie à Bruxelles», déplore Pierre Vassart, porte-parole de Cyclo Parking. La plateforme est en charge des box, qui arborent son nom et son adresse internet. Elle est rattachée à Parking Brussels, l’agence régionale de gestion du stationnement. Pour faire face à l’insécurité inhérente au fait de garer son vélo dehors quand on n’a pas de place chez soi, le box vélo s’est rapidement imposé.

« Le vol de vélos est vraiment une plaie à Bruxelles. »

Pierre Vassart, Cyclo Parking

Le projet Cyclo Parking est né en 2016, du partenariat entre l’agence régionale et l’asbl Cyclo, en réponse à un appel du FEDER, le Fonds européen de développement régional. À partir de 2021, Parking Brussels a repris seul en main la structure, qui regroupe 17 des 19 communes bruxelloises. Pour obtenir une place, les usagers remplissent un formulaire sur le site de la plateforme. Les demandes sont ensuite transférées aux communes par Cyclo Parking, qui suggère les endroits propices à l’installation de nouveaux box, les communes ayant le dernier mot.

15 euros symboliques

Sur la question du coût, notre inconnue du box n’aura pas trop de soucis à se faire, la location étant fixée au symbolique tarif de 15 euros par an. En revanche, les dépenses sont au cœur du sujet pour les acteurs publics. La fabrication et l’installation d’un box sont évaluées à environ 6.000 euros par Cyclo Parking. «Cela peut paraître cher, mais en comparaison le coût pour refaire l’asphalte d’une artère est bien supérieur», relativise l’échevin schaerbeekois de la mobilité Thomas Eraly (Écolo). Si selon lui l’argent n’est pas le principal frein, il y voit également «un lien avec la volonté politique».

La dimension politique est cristallisée par la question des subsides: comprendre le cofinancement d’un box par la Région. Le pouvoir bruxellois a décidé de ne les verser qu’aux box installés sur un espace initialement dédié aux voitures, comme une place de stationnement. Au contraire, si un box empiète sur le trottoir ou tout autre espace destiné aux piétons, la Région se refuse à co-financer. C’est le «principe STOP», qui veut que la priorité soit toujours donnée aux piétons. «C’est polémique», constate le Gracq, faisant référence aux tensions politiques qui animent les conseils communaux.

Quatre box par an et par commune sont financées entièrement par Cyclo Parking, les autres dépendant de l’action communale, avec ou sans les subsides de la Région. L’installation matérielle des box est opérée par la structure. Elle prend aussi en charge le coût annuel d’entretien, incluant réparations et nettoyage, d’environ 127 € par box. Aujourd’hui, plus de 1.100 box sont proposés sur l’ensemble des 161,38 km2 de la Région Bruxelles-Capitale. À raison de cinq places par box, cela représente plus de 5.500 places, pour une population de 1,25 million d’habitants1.

Liste d’aaaaaaattente

L’intérêt de notre inconnue pour les box à vélo est représentatif d’un phénomène plus global, tant ceux-ci rencontrent un énorme succès auprès des Bruxellois, en particulier depuis 2020. «On a eu un réel emballement au moment de la crise du Covid», raconte Pierre Vassart. En effet, l’engouement des Bruxellois pour le vélo après plusieurs mois de confinement a fait exploser les demandes de box et donc la durée des listes d’attente. C’est le moment où Cyclo Parking a connu un réel bond et où les communes ont accéléré les installations. Si elle s’est stabilisée depuis deux ans, la demande reste très importante avec 10.000 candidatures en liste d’attente. «Elle a arrêté d’augmenter, mais elle ne diminue pas non plus, constate Pierre Vassart. Alors que l’on continue chaque semaine d’installer à tour de bras!» Schaerbeek constitue une bonne illustration de ce phénomène: avec plus de 170 box, la commune fait figure de meilleur élève de la région, et pourtant 1.800 demandes restent en suspens.

« Le stationnement des vélos devient petit à petit aussi problématique que celui des voitures. »

Thomas Eraly, échevin schaerbeekois de la mobilité

Le temps d’attente pour obtenir une place est évoqué dans toutes les discussions des riverains sur le sujet, et leurs groupes Facebook regorgent de témoignages pour chaque commune. Les délais vont jusqu’à deux ou trois ans. «C’est inacceptable», dénonce Claire Pelgrims, chercheuse en urbanisme à l’ULB, qui voit un frein évident à la promotion des box et du vélo en général. Lorenzo, néo-Bruxellois croisé devant un box, patiente depuis un an et demi: «J’attends d’avoir une place avant de prendre un vélo, le jour où je reçois un mail, je vais me l’acheter direct.»

Mais alors que faire pour répondre à cette demande profonde d’un nombre croissant de citoyens, auquel pourrait bientôt s’ajouter notre inconnue? Si on lui demande, elle répondra sûrement qu’il suffit d’installer plus de box. Logique, mais pas si simple à faire, car les box soulèvent la question du manque de place dans l’espace public. «Où est-ce qu’on peut les mettre? Le stationnement des vélos devient petit à petit aussi problématique que celui des voitures», constate l’Écolo Thomas Eraly. Une illustration, pour Claire Pelgrims, de «la pression politique sur le thème du stationnement à Bruxelles».

L’appel des grands espaces

«C’est la diversité des solutions qui est intéressante», estime Florine Cuignet, du Gracq, qui milite pour «un réseau de stationnement sur l’ensemble de la région.» Calquée sur le modèle néerlandais, l’idée serait de créer différents espaces de stationnement temporaire, comme de grands parkings sécurisés tels qu’on peut les voir dans les gares, au sein d’un abonnement commun qui inclurait les box vélos, destinés au long terme. Cyclo Parking partage le constat et dit s’être «rendu compte qu’on ne pourra pas régler le problème qu’avec les box». Pierre Vassart rajoute que, «faute de pouvoir mettre des box partout, il faut multiplier les initiatives». Parmi elles, les grands espaces voulus par le Gracq. Deux projets de méga-parkings pour vélos ont déjà été installés à la Bourse et à De Brouckère. Mais cette solution est également freinée par l’inévitable manque d’espace.

Pour optimiser les box existants, Cyclo Parking cherche en principe à s’assurer que les places attribuées sont utilisées régulièrement. La vérification s’opère grâce aux données des serrures électroniques, qui donnent accès aux box via un badge ou l’application mobile Airkey. L’idée serait de retirer leur place aux locataires qui n’en ferait usage qu’une ou deux fois par an. Mais cette politique n’est pas vraiment appliquée dans les faits, en plus de poser des questions d’utilisation des données et de respect de la vie privée.

«L’usage du vélo au quotidien est très marqué socialement»

Qui est notre inconnue? Selon Cyclo Parking, il n’y a «pas vraiment de profil type». «Les box s’adressent à tout le monde, tous ceux qui veulent pratiquer le vélo dans les meilleures conditions», assure l’échevin Thomas Eraly. D’un point de vue sociologique, la pratique du vélo n’est pourtant pas neutre. «L’usage du vélo au quotidien est très marqué socialement», détaille Claire Pelgrims. «Ce sont plutôt des gens des classes supérieures et éduqués qui font du vélo, plutôt des hommes.» Mais la chercheuse précise que «dans les programmes publics d’apprentissage du vélo auprès de publics précarisés, la question du stationnement revient beaucoup, surtout chez les femmes, donc c’est vraiment un enjeu».

La typologie des communes et des habitations est souvent avancée. «Quand un quartier est très dense, et la population importante, c’est beaucoup plus compliqué», résume le Gracq. «La majorité des bâtis bruxellois ne sont pas faits pour pouvoir y garer son vélo», explique Claire Pelgrims. L’experte en urbanisme évoque les logements des quartiers précarisés «où on ne peut pas se permettre de perdre des mètres carrés dans l’entrée pour y laisser les vélos».

Grandes différences entre petites communes

En fonction de la commune où elle habite, l’inconnue n’aura pas la même chance d’obtenir une place pour son vélo. La répartition inégale des box, d’une commune à l’autre, est le fruit de facteurs urbains, sociaux, et politiques. Reste à savoir quel obstacle sera le plus important, la saturation de l’espace dans son quartier ou le trop peu de box installés par sa commune?

Pour une région urbaine comme Bruxelles, les chiffres de l’Institut bruxellois de statistique et d’analyse (IBSA) au 1er janvier 2024 sont évocateurs. Prenons une petite commune et une grande: Jette et Anderlecht. Alors que cette dernière a une superficie de 17,7 km2 (11% de Bruxelles-Capitale) et 126.000 habitants, elle ne propose que 55 box3 pour 275 places. En comparaison, Jette et ses 54.000 habitants ne pèsent que 3% de la superficie régionale avec 5 km2, mais la commune a installé 86 box4 pour 430 places! La différence est encore plus flagrante en prenant en compte la densité de population, à savoir le nombre d’habitants par kilomètre carré. Schaerbeek et Molenbeek-Saint-Jean ont quasiment la même densité, avec 16.500 et de 16.350 habitants/km2. Mais alors que Schaerbeek propose 170 box (850 places), Molenbeek n’en a que 26 (130 places). Jette propose ainsi plus de trois fois plus de box que Molenbeek, pour la moitié de sa population.

Objet clivant, aimé ou détesté, le box vélo s’est imposé dans le paysage bruxellois, mais va-t-il continuer de grandir? Le contrat régional de Cyclo Parking se finissant en 2026, son avenir est en suspens et dépendra des choix politiques de la future majorité bruxelloise. En attendant, l’inconnue croisée dans la rue est repartie enthousiaste après avoir noté l’adresse du site de Cyclo Parking. Elle l’ignore encore, mais la route risque d’être longue.

  1. D’après les chiffres de l’IBSA (Institut bruxellois de statistique et d’analyse) au 1er janvier 2024.
  2. Pour vélos classiques, la commune compte également 16 boxs pour vélo cargos, ce qui en fait la meilleure commune dans le domaine.
  3. Et six box à vélos cargos, la deuxième commune dans le domaine.

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