La Jeune Province est le seul territoire sans abri de nuit. Une situation qui traîne depuis 2016 et qui risque malheureusement de traîner encore, faute de compromis politique…
En 2016, la Wallonie décidait d’imposer un abri de nuit dans chaque province et dans chaque ville de plus de 50.000 habitants. Face à cette nouvelle donne, la députée Anne Lambelin (PS) a pris le dossier en main et tente, depuis deux ans, de trouver un abri pour l’abri, rencontrant associations, autorités locales et provinciales. Après avoir réalisé une identification géographique de la problématique du sans-abrisme en Brabant wallon, le projet aurait avancé, selon la socialiste. Une commune aurait même été retenue pour l’accueillir: Ottignies-Louvain-la-Neuve, la commune étant la plus touchée par la problématique du sans-abrisme. «En contactant tous les CPAS de la province, on a remarqué que le besoin était important à Ottignies, où il y a déjà un accueil de jour, assuré par Un Toit, un cœur, saturé de demandes.»
«Il faudra insister sur la nécessaire responsabilisation de toutes les communes du Brabant wallon pour que le CPAS d’Ottignies n’assume pas, à lui seul, ce projet.» Anne Lambelin (PS)
Anne Lambelin veut trouver une solution d’ici à la fin de la législature régionale. «Il est temps qu’on sorte de l’urgence et qu’on dispose d’un abri de nuit qui pourrait centraliser les besoins dans notre province. Souvent, les SDF doivent recourir aux services proposés à Bruxelles ou à Charleroi. Il n’y a pas de raison qu’on fasse appel à d’autres régions, saturées par ailleurs…» En attendant, les inconnues semblent encore nombreuses, notamment sur l’aspect financier. «Il sera nécessaire de mobiliser toutes les sources de financement possibles, qu’elles soient publiques ou privées, car les aides prévues par le décret ne permettront pas de financer l’entièreté du projet. Il faudra insister sur la nécessaire responsabilisation de toutes les communes du Brabant wallon pour que le CPAS d’Ottignies n’assume pas, à lui seul, ce projet.»
La députée wallonne souhaite également un projet de suivi social, sous la forme d’un éventuel relais social intercommunal. «L’un ne va pas sans l’autre si l’on veut que le projet se pérennise. Le relais social est d’ailleurs un élément sur la table, mais, à mes yeux, cela freine actuellement le projet d’abri de nuit. Du coup, je me demande s’il ne faudrait pas foncer sur ce premier relais et construire un réseau sur cette base par la suite.»
Loin d’un compromis
Au niveau politique, chaque parti y va de son avis sur le sujet. Dans la presse, le cdH rappelait sa volonté de créer deux abris de nuit, un à Nivelles et l’autre à Ottignies. «Cela n’aurait demandé que 40 cents par citoyen. De telle façon, toutes les communes auraient été sur un pied d’égalité, indiquait André Antoine. Force est de constater que, malgré tous les efforts d’Anne Lambelin, on n’a toujours pas trouvé de solution1.» Réplique de l’intéressée: «On m’a laissé la responsabilité de ce dossier. C’est un peu facile de me critiquer, mais aucun parti n’est parvenu à un consensus. Il faut accélérer désormais, d’autant qu’il y a des pistes de plus en plus concrètes sur la table. Nous avons identifié un bâtiment potentiel sur la commune d’Ottignies–Louvain-la-Neuve et nous avons, également, la possibilité de nouer un partenariat avec l’AIS, l’agence immobilière sociale.»
Au niveau des autorités provinciales, le député MR Tanguy Stuckens confirme que les réflexions sont toujours en cours pour avancer sur certaines pistes. «Ce n’est pas facile au regard du territoire du Brabant wallon qui est particulièrement hétérogène avec des zones rurales, d’autres plus urbaines et des réalités sociales qui y sont assez différentes.»
À l’entendre, le député serait favorable à un abri de nuit «flexible». Une option, avec ses avantages et ses inconvénients, reconnaît-il. «Mais ce serait une réponse à taille humaine, avec un accès plus souple et des équipes volantes en fonction des besoins à travers le Brabant wallon. Dire qu’un abri à Ottignies–Louvain-la-Neuve résoudra les problèmes de Nivelles ou de l’est de la province, c’est complètement débile. Des dispositifs flexibles, liés à des types d’hébergement plus légers, répondraient davantage à une réalité du terrain, ce qui n’empêche pas qu’il puisse y avoir un abri plus important au centre de la province.»
«Dire qu’un abri à Ottignies-Louvain-la-Neuve résoudra les problèmes de Nivelles ou de l’est de la province, c’est complètement débile.» Tanguy Stuckens (MR)
Le député provincial regrette par ailleurs le manque de concertation avec la Région. «Dans le décret, rien n’est indiqué pour savoir qui a la responsabilité de quoi, ni même sur le financement, d’autant que le subside régional est loin de couvrir les frais d’infrastructure et de fonctionnement de l’abri. Pour une réalité aussi complexe et difficile, il n’y a eu ni concertation ni méthodologie pour répondre aux réalités du terrain.»
Du côté d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, l’accueil d’un abri de nuit n’est pas une nouveauté. En 2012, la commune avait déjà ouvert une telle infrastructure pendant l’hiver. Elle avait vu arriver des personnes qui émergeaient d’autres communes. Et rapidement, celle-ci avait dû fermer, la commune n’ayant pu supporter seule la prise en charge des SDF. C’est pourquoi, pour le président du CPAS, Jacques Duponcheel (Écolo), l’implantation d’un abri de nuit doit avant tout s’inscrire dans une réflexion plus globale, à l’échelle provinciale. Il déplore cette focalisation sur sa commune d’un certain nombre de CPAS. «C’est une manière de dire: ‘Nous n’avons pas de problèmes, regardez plutôt vers Ottignies.’ Or, le sans-abrisme n’est pas un problème local. D’autres communes du Brabant wallon sont confrontées à cette réalité. Que se passera-t-il, si un soir, il y a un afflux massif de SDF à l’abri de nuit? Faudra-t-il accueillir uniquement les SDF dépendant du CPAS d’Ottignies? On a pris le problème à l’envers, en se focalisant sur la recherche d’un immeuble dans une commune alors que c’est un relais social intercommunal qu’il faudrait mettre en place…»
Frustration et incompréhension
Sur le terrain, les associations attendent de voir quel sera le compromis trouvé, tout en reprochant d’être insuffisamment consultées par les politiques. À Louvain-la-Neuve, l’abri de jour d’«Un toit, un cœur» accueille depuis dix ans des SDF jusqu’à 16 h 30 seulement. Une véritable frustration pour l’association qui ne peut assurer l’accueil de nuit, notamment en hiver. Si Evelyne Louveaux, fondatrice d’Un toit, un cœur, réclame un abri de nuit depuis longtemps, elle reste sceptique sur la méthode utilisée par les autorités. «Ce futur abri de nuit doit répondre aux besoins des publics que nous accueillons. Les choses avancent, mais je ne sais pas dans quel sens. Je ne comprends pas que nous ne soyons pas informés ni associés à la réflexion.»
De son côté, Didier Gruselin, directeur de la maison d’accueil les Quatre-Vents à Nivelles, dénonce l’agitation politique autour de la création de cet abri. Le nom de sa maison d’accueil a d’ailleurs été nommément cité dans un communiqué de presse du cdH, prétendant que l’association était prête à accueillir ce futur abri de nuit. «Nous avons été instrumentalisés dans ce dossier alors que nous avons clairement annoncé aux mandataires politiques que nous étions dans une position d’attente. À notre niveau, il est clair que les différents acteurs de ce dossier se trompent sur les priorités à donner.» À ses yeux, il ne sert à rien de vouloir un abri de nuit sans avoir posé la question de la gestion de l’urgence sociale dans la province. «Le Brabant wallon ne dispose pas d’un relais social2 comme la plupart des autres provinces, relais reprenant les services publics et associatifs compétents pour agir contre le sans-abrisme. Un tel relais passe en revue les réalités locales et soutient financièrement les grands axes d’une politique concertée en la matière», rappelle le directeur de la maison d’accueil qui déplore aussi qu’en l’état actuel des débats, des acteurs aussi importants que les maisons d’accueil n’aient jamais été invités à s’exprimer. Didier Gruselin en appelle aux décideurs pour que le Brabant wallon se dote d’un tel outil. «De la naissance d’une coordination sociale professionnelle de la problématique naîtra naturellement un abri de nuit, en tenant compte de la réalité de notre territoire.»
À côté du Brabant wallon, Mouscron reste la dernière grande ville wallonne où il n’existe aucun abri de nuit. «C’est un besoin qui a été mis en avant par le secteur dès 2016. On a pu trouver des solutions en attendant, avec d’autres structures d’accueil locales», précise la bourgmestre Brigitte Aubert (cdH). Le dossier a bien avancé, assure-t-elle. «C’est un bâtiment de la ville qui accueillera l’abri de nuit destiné à deux femmes et sept hommes. Il sera ouvert huit mois par an, avec l’espoir qu’il soit opérationnel d’ici à novembre prochain. La pierre d’achoppement concerne encore le personnel accompagnant. L’idéal serait de pouvoir engager trois personnes.»
1 La Dernière Heure, «Antoine: ‘Les SDF n’ont pas besoin de polémique’», Y. N., mercredi 7 mars 2018.
2 Structure qui coordonne les services publics et associatifs existant dans la région.