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Regard critique · Justice sociale

Le chiffre

«Le multilinguisme n’est pas seulement une norme, c’est une nécessité»

Avec plus de 180 nationalités différentes à Bruxelles, il ne faut pas s’étonner que cette diversité soit aussi présente dans le paysage linguistique régional. Car en tant que ville mondiale, bien que modeste en taille, Bruxelles se caractérise en effet par une diversité croissante de langues, faisant fi du carcan communautaire où elle est sommée de se développer. C’est ce que révèle le dernier Taalbarometer de la VUB. 

À la lecture de ce baromètre des langues, un constat: le nombre de langues parlées à Bruxelles augmente. La cinquième édition de cette étude flamande montre, après consultation de 1.627 personnes, que 104 langues différentes sont pratiquées sur le territoire régional. Outre la diversité que pointe l’étude, c’est surtout la rapidité avec laquelle ce changement s’opère. «Alors que le tout premier baromètre des langues de notre capitale relevait 72 langues différentes, il y en a maintenant 104, et probablement encore plus. Ce n’est pas vraiment surprenant, puisque Bruxelles est une ville où pas moins de 180 nationalités cohabitent actuellement», précise Mathis Saeys, chercheur à la VUB et auteur du dernier Taalbarometer.

Parmi les langues les plus parlées, le français – sans surprise – est en tête, bien qu’en baisse (95,5% en 2001 contre 81% en 2024), tandis que l’anglais occupe la seconde place et renforce même cette position (34,4% en 2018 pour 46,9% en 2024). «Une langue scolaire» et «la plus populaire parmi la plus jeune génération», selon l’étude. Mais aussi une langue lien entre les sous-communautés comme le prouve l’usage – bien qu’interdit officiellement – de la langue de Shakespeare dans les administrations. Le Taalbarometer a cherché à savoir en quelle langue se passait la communication lorsqu’un citoyen francophone fait face à un employé qui lui répond en néerlandais et inversement. Il s’avère que 3,5% des néerlandophones et de 13% des francophones passent alors à l’anglais. Dans le même ordre d’idées, les répondants disent avoir communiqué avec le personnel des hôpitaux bruxellois en pas moins de 33 langues autres que le français et le néerlandais.

La conscience du multilinguisme

«Les Bruxellois sont fortement conscients du caractère multilingue actuel de Bruxelles. Pour beaucoup, le multilinguisme n’est pas seulement une norme, c’est une nécessité pour participer à la société bruxelloise. La demande croissante de cours de néerlandais et la demande d’enseignement multilingue en sont des indications claires», poursuit Mathis Saeys. En effet, 86% des Bruxellois interrogés sont enclins à une telle éducation.

Parmi les langues les plus parlées, le français – sans surprise – est en tête, bien qu’en baisse (95,5% en 2001 contre 81% en 2024), tandis que l’anglais occupe la seconde place et renforce même cette position (34,4% en 2018 pour 46,9% en 2024).

En ce qui concerne le néerlandais, il arrive à la troisième position et progresse, passant de 16,3% en 2018 à 22,3% en 2024. «Les gens parlent non seulement plus le néerlandais, mais aussi relativement mieux.» Une augmentation à mettre en corrélation avec la hausse de francophones qui ont effectué leur scolarité dans l’enseignement néerlandophone, une proportion qui est passée de 1,6 à 3,5% pour le secondaire entre 2018 et 2024. Ce sursaut flamand est aussi dû à la fréquentation de cours de langue pour adultes et une pratique plus régulière dans des contextes professionnels, notamment. Par contre, cette hausse n’est pas attribuable à une amélioration de l’apprentissage du néerlandais dans les écoles francophones. Pour cause, parmi les jeunes Bruxellois issus de l’enseignement francophone, seuls 6,5% disent pouvoir parler correctement le néerlandais. Ils étaient encore 7,8% en 2018 et 20% en 2000. À l’inverse, environ huit jeunes sur dix, scolarisés à Bruxelles dans l’enseignement flamand, parlent un français «bon à excellent».

Le risque d’une dualisation

Ces trois langues sont considérées par l’enquête de la VUB comme des «langues de contact», et à Bruxelles, environ la moitié des habitants utilisent au moins deux de ces langues dans leurs échanges quotidiens. Par contre, dans le même temps, ce baromètre relève une augmentation de la part des Bruxellois qui ne parlent aucune de ces langues de contact. Entre 2000 et 2024, le pourcentage de ceux qui ne peuvent parler correctement ni le français ni le néerlandais a explosé, passant de 4 à 15,4%. Si l’anglais reprend en partie le rôle de langue-lien, il ne le fait qu’incomplètement. Ainsi, 10,5% des personnes interrogées ne peuvent parler correctement ni le français, ni le néerlandais, ni l’anglais, contre 3% en 2000. «Il s’agit principalement de ressortissants non européens d’âge moyen ayant un niveau d’éducation faible à moyen», constate Mathis Saeys. Le manque de connaissance de ces langues de contact signifie moins d’opportunités dans le contexte bruxellois, mais aussi un risque croissant de dualisation sociale vu l’ampleur d’un tel écart.

Entre 2000 et 2024, le pourcentage de ceux qui ne peuvent parler correctement ni le français ni le néerlandais a explosé, passant de 4 à 15,4%.

«La connaissance de ces langues de contact ouvre non seulement des portes dans le domaine social et des loisirs, mais facilite également la participation d’une personne à la société. La connaissance des langues de contact est cruciale dans la vie quotidienne de ceux qui vivent ou travaillent à Bruxelles. Cela est évident sur le lieu de travail, par exemple: ceux qui parlent plusieurs langues de contact sont éligibles pour plus de postes», relève le chercheur de la VUB.

Cette croissance du nombre de Bruxellois qui ne parlent ni le néerlandais, ni le français, ni l’anglais est souvent un effet de la fonction métropolitaine de Bruxelles. «Bruxelles est une ville dynamique qui grandit et vit grâce à la dynamique de sa population. Chaque année, plus de personnes étrangères viennent à Bruxelles que de Bruxellois s’installent à l’étranger (ce qui se traduit par un solde migratoire international positif). L’image linguistique actuelle offre un joli reflet de l’évolution démographique en cours à Bruxelles», rappelle Mathis Saeys.

Le principal défi est de reconnaître ce groupe croissant de Bruxellois. «Le groupe cible concerné arrive souvent à Bruxelles par différents canaux, d’une part, et participe, d’autre part, à la société bruxelloise au sein de ses propres réseaux ethniques et culturels. Des recherches plus approfondies devraient déterminer comment ces Bruxellois participent à la société dans leurs sphères formelles et informelles», conclut-il.

 

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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