Le nouveau décret relatif à l’Aide à la jeunesse a été voté par les députés du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Son parcours fut long et tortueux. Le texte final est sensiblement différent de ce qui avait été proposé au départ. Moins polémique, peut-être un peu tiède, il contient tout de même des changements dans de multiples domaines. Revue de détail.
Après près de trois ans de discussions, de débats et d’empoignades, le nouveau décret de l’Aide à la jeunesse – ou «code» de la prévention et de l’aide à la jeunesse – a été voté, le mercredi 17 janvier, au moment de boucler ce numéro. C’est un événement important pour les professionnels du secteur, car ce texte brasse large et touche à plusieurs dimensions de l’Aide à la jeunesse.
Le soulagement est de mise dans l’équipe du ministre compétent, Rachid Madrane (PS). Car le psychodrame politique déclenché par Benoît Lutgen (CDH) le 19 juin 2017 a failli faire passer le «code Madrane» de vie à trépas. «Le texte risquait de ne pas être voté, raconte Alberto Mulas, directeur adjoint du cabinet de Rachid Madrane. Trois ans de travail auraient pu être balayés d’un coup.» Mais, bon gré mal gré, la majorité PS-CDH a subsisté. Le CDH en a profité pour demander des concessions au ministre.
D’abord, Rachid Madrane a fini par organiser des auditions de personnalités clés du secteur. Celles-ci ont eu lieu en octobre et novembre 2017. Ensuite, le CDH estime avoir décroché des amendements du texte. «Nous avions proposé, le 14 juin, des amendements à notre partenaire de majorité, et le ministre nous avait dit ‘non’, témoigne André Du Bus, député CDH. Ensuite, il a eu la sagesse de reprendre les travaux parlementaires. Cela a permis de rouvrir les travaux et d’amender le texte.» Ces amendements sont considérés comme des «compromis boiteux» par les adversaires politiques de la majorité – Écolo et MR – qui s’abstiendront le jour du vote. Le MR a même tendu la main à son partenaire wallon pour tenter de construire des «majorités alternatives» sur des points précis du texte, sans résultat concret.
«Le texte final correspond toujours à l’ambition de départ qui était de renforcer les grands principes protectionnels du décret de 1991.», Alberto Mulas, cabinet du ministre Madrane
Alberto Mulas reconnaît qu’il a fallu faire des «concessions raisonnables». Et malgré les modifications successives du code opérées à la suite des avis du Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse, du Conseil d’État et aux derniers travaux parlementaires, le chef de cab adjoint pense que «le texte final correspond toujours à l’ambition de départ, qui était de renforcer les grands principes protectionnels du décret de 1991».
Alors, à quoi va ressembler l’aide à la jeunesse après l’adoption de ce code?
Prévention, le retour
La prévention, c’est le dada de Rachid Madrane. Il n’a cessé d’affirmer qu’il fallait lui redonner ses lettres de noblesse. «La politique de prévention est une priorité» est le premier alinéa du premier article du premier livre du code. Mais, concrètement, comment se traduit cette ambition?
D’abord par la création d’un nouvel acteur: le chargé de prévention. Des moyens sont dégagés pour l’embauche de fonctionnaires. On en comptera un par arrondissement. La prévention était jusqu’à présent une compétence parmi d’autres des conseillers de l’aide à la jeunesse. Elle sera désormais entre les mains de ce nouvel acteur, dont le job reste encore un peu flou.
On sait que le chargé de prévention devra rédiger des diagnostics sociaux tous les trois ans, accompagner la réalisation d’un plan d’action et appuyer les services d’action en milieu ouvert (nouveau nom des AMO). Dans le texte initial proposé par Rachid Madrane, le chargé de prévention devait présider le Conseil de prévention, lieu de rencontre intersectorielle mis en place dans chaque division ou arrondissement. Une partie des associations du secteur craignait que ce chargé de prévention rime avec mainmise de l’administration sur la politique locale de prévention. Finalement, ce nouveau personnage partagera la présidence du Conseil de prévention avec un membre élu par le Conseil.
Une «commission de surveillance» des IPPJ sera instituée.
L’autre grande nouveauté préventive concerne l’âge auquel les jeunes sont couverts par les actions des AMO. Le ministre proposait à l’origine de faire passer cet âge limite de 18 à 25 ans, afin de mieux faire coller la prévention à la réalité d’une adolescence plus étendue qu’auparavant. L’idée était d’accompagner les jeunes vers l’autonomie. Souvent, les jeunes suivis par l’aide à la jeunesse se retrouvent bien seuls face au CPAS à 18 ans, une fois qu’ils ont acquis la majorité. Ils ne savent pas toujours vers qui se tourner.
Une partie du secteur des AMO avait alors protesté, craignant que l’aide à la jeunesse ne se substitue à l’aide générale et que ce surcroît de travail ne se fasse au détriment d’autres classes d’âge. Le CDH s’est fait le relais de ces inquiétudes. Le parti humaniste a pris position contre l’extension des compétences des AMO.
De l’autre côté, certains services mettaient en avant le fait qu’ils acceptent d’ores et déjà de travailler avec ces jeunes. «Nous voulons mettre à jour le décret pour le faire coller à ce qui existe déjà de façon officieuse», explique Alberto Mulas.
Entre les deux partenaires de majorité, il a fallu trouver un terrain d’entente. On a donc coupé la poire en deux. Les AMO seront compétentes pour accompagner les jeunes jusqu’à l’âge de 21 ans révolus (donc jusqu’à 22 ans). Chez Écolo, Mathieu Daele salue une «avancée» pour «aider les jeunes à opérer la transition vers l’âge adulte», mais il regrette que l’on ait choisi un âge «en tapant au milieu, ce n’est pas très glorieux. Et puis les AMO n’auront pas un euro de plus pour faire face à cette nouvelle mission».
Signature d’un accord écrit dès 12 ans
C’était l’une des propositions fortes de la première mouture du code Madrane: abaisser l’âge auquel un enfant signe le contrat d’aide qui le concerne. «Nous voulions que les jeunes soient davantage des sujets de droit», affirme Alberto Mulas.
Lorsqu’un jeune est suivi dans le cadre de l’aide à la jeunesse, il l’est d’abord par un conseiller qui propose des mesures d’aide au mineur et à sa famille. Ces mesures d’aide font l’objet d’un accord soumis à signature, car nous nous situons dans le cadre de l’aide consentie.
Jusqu’à présent, les mineurs entre 14 et 18 ans devaient donner leur accord. Avant cet âge, les parents étaient les seuls responsables. Dans le projet de Rachid Madrane, il était proposé d’abaisser cet âge à 12 ans. De nombreux professionnels de l’aide à la jeunesse se sont inquiétés de cette disposition, trouvant au parlement des relais pour exprimer leurs craintes. Marie-Françoise Nicaise, du MR, se serait bien contentée d’une «obligation d’entendre l’avis du jeune. Là, il doit impérativement marquer son accord. On parle pourtant de mineurs fragilisés, parfois pris dans des conflits de loyauté, parfois érigés en enfants rois. L’obliger à signer un accord, c’est peut-être encore plus ‘l’adultifier’, lui faire porter une grande responsabilité sur ses épaules». Quant à Mathieu Daele, il aurait souhaité «que l’on se base sur les capacités de discernement de l’enfant et non sur un âge spécifique».
Le CDH non plus n’aimait pas cette disposition. Il a obtenu un changement à la marge: c’est bien à 12 ans que le consentement du jeune sera requis. Mais le mineur devra être accompagné d’un avocat lorsqu’il signera son programme d’aide.
Déjudiciarisation: les reculs de Madrane
En 2015, Rachid Madrane voulait pousser la logique de déjudiciarisation du décret de 1991 au maximum. Depuis que la Fédération Wallonie-Bruxelles est compétente dans le domaine de l’aide à la jeunesse (1991), la frontière entre les attributions des communautés (conseillers et directeurs) et le fédéral (juges de la jeunesse) est l’objet d’intenses disputes.
Plusieurs idées phares avaient été lancées par le ministre pour pousser l’avantage de la Communauté française. D’abord: la création d’un comité de conciliation (un organe administratif) pour contester les décisions du conseiller de l’aide à la jeunesse sans passer par un juge. Ensuite: l’extension des compétences du directeur de l’aide à la jeunesse (au détriment du juge) qui se serait vu confier la tâche de déterminer les mesures adéquates pour un jeune ayant commis un fait qualifié infraction, lorsque ces mesures se situaient dans le domaine de la guidance ou de l’accompagnement social.
Enfin, le ministre de l’Aide à la jeunesse proposait de limiter à neuf mois la durée de la phase provisoire des procédures concernant les mineurs délinquants. Le but était de ne pas faire poireauter trop longtemps des jeunes en attente d’un jugement sur le fond. La méthode était radicale: sans décision au bout de neuf mois, on laissait tomber les poursuites. La réaction fut vive du côté de la magistrature. Ils craignaient que des mineurs ayant commis des faits graves se retrouvent dans la nature sans qu’aucun jugement ait été prononcé sur le fond.
Le directeur de l’aide à la jeunesse pourra mettre fin aux mesures décidées par le juge de la jeunesse.
Trois ans plus tard, aucune de ces dispositions n’a été conservée comme telle. Exit le comité de conciliation. Oubliée l’extension des compétences du directeur de l’aide à la jeunesse. Seule la limitation de la phase provisoire a survécu, dans une version édulcorée. La phase préparatoire (donc avant l’examen au fond) est limitée à neuf mois prolongeables deux fois trois mois, lorsque c’est nécessaire pour «déterminer les faits qualifiés infractions». Et même cette limite de 15 mois est relative. Dans des circonstances «graves et exceptionnelles», on peut en faire abstraction. Il faut dire que certaines instructions nécessitent des enquêtes de longue haleine.
La seule avancée notable dont peut s’enorgueillir Rachid Madrane dans le domaine de la déjudiciarisation n’est pas spectaculaire. Le directeur de l’aide à la jeunesse pourra mettre fin aux mesures décidées par le juge de la jeunesse. Mais cette décision devra être homologuée par le juge.
Notons enfin que le juge de la jeunesse sera dorénavant contraint de consulter un service de l’administration dont le but sera de l’aider à prendre les décisions appropriées pour le jeune.
Des droits des jeunes affirmés
Les volets du code de l’aide à la jeunesse qui concernent les droits des jeunes font l’unanimité, ou presque, au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Dans le cadre de «l’aide consentie», l’accord ou la décision sera transmis par le conseiller aux personnes concernées (l’enfant, ses parents) dans les dix jours ouvrables, au lieu de 30 actuellement. La vraie nouveauté réside dans le droit qu’obtiennent enfants et familiers de consulter toutes les pièces du dossier qui concernent le mineur; une vieille revendication d’associations de lutte contre la pauvreté.
«Nous avons limité la limitation du dessaisissement. Cela permet d’être plus en phase avec les attentes de la société.», André Du Bus, cdH
C’est surtout dans les institutions publiques de protection de la jeunesse (IPPJ) que les choses vont changer. Certaines dispositions relatives à la fouille des mineurs placés en section fermée des IPPJ, aux mesures d’isolement, inscrites dans un simple règlement, figurent désormais dans le code. Une «commission de surveillance», présidée par le délégué général aux Droits de l’enfant, et dont les membres seront désignés par le parlement, sera instituée. Une telle commission permettra un contrôle externe indépendant sur ces lieux de privation de liberté.
Enfin, lorsqu’un jeune souhaite contester une décision qui le concerne, il peut aujourd’hui adresser une plainte au directeur de l’IPPJ. Le code prévoit désormais la possibilité d’introduire un recours externe auprès d’une future autorité qui reste encore à créer.
Mineurs délinquants: moins d’enfermements
S’il a fallu toucher au décret de l’Aide à la jeunesse, c’est avant tout parce que la sixième réforme de l’État transférait aux Communautés la prise en charge des mineurs délinquants. Les Communautés devaient donc définir les mesures qui s’appliquent aux mineurs ayant commis un fait qualifié infraction.
Rachid Madrane n’a pas vraiment touché à l’arsenal législatif préexistant. Les différentes mesures prévues par la loi de 1965 relative à la protection de la jeunesse (offres restauratrices, projet écrit, rappel à la loi, surveillance, guidance, éloignement du milieu de vie, IPPJ) sont maintenues. Il inscrit toutefois une gradation claire entre ces mesures, de la plus «douce» (réprimande) à la plus coercitive (IPPJ en régime fermé). De plus, certains cumuls de mesures sont rendus possibles.
Le ministre de l’Aide à la jeunesse réaffirme ainsi que l’IPPJ doit être «l’ultime recours». Le placement en IPPJ de mineurs de moins de 12 ans sera désormais proscrit… sauf exception, lorsqu’un jeune entre 12 et 14 ans aura gravement porté atteinte «à la vie ou à la santé d’autrui».
C’est enfin au sujet du dessaisissement que le ministre était attendu. Sa proposition de départ visait à limiter de manière drastique le recours au dessaisissement par des juges de la jeunesse (lorsqu’ils estiment que le mineur de 16 à 18 ans doit être jugé par la justice pour adultes, disposition critiquée par les organismes de défense des droits humains, NDLR). Dans sa première mouture, le ministre de l’Aide à la jeunesse conditionnait le dessaisissement. Celui-ci ne devenait possible que si le mineur faisait l’objet de poursuites pour violences graves et qu’il avait fait un passage préalable en section fermée d’une IPPJ.
Cette proposition a braqué une partie du monde judiciaire. Au parlement, le CDH a demandé que l’on assouplisse ces critères jugés trop restrictifs. Résultat: des dérogations sont prévues au principe des deux conditions cumulatives, c’est-à-dire lorsqu’un fait est extrêmement grave (et qu’il correspond à une peine de réclusion de 10 à 15 ans dans le Code pénal) ou lorsque le jeune «ne collabore pas aux mesures provisoires ou s’y soustrait». «Nous avons limité la limitation du dessaisissement, dit André Du Bus, du CDH. Cela permet d’être plus en phase avec les attentes de la société. Dans le texte final, il n’y a plus de limite absolue au dessaisissement.» Pas sûr pourtant que cette «limitation de la limitation» rende plus lisible le texte. L’intention de départ – limiter le recours au dessaisissement – est en partie vidée de son sens par un système complexe de dérogations. C’est notamment l’avis de Marie-Françoise Nicaise qui aurait préféré «que l’on retire tout ce qui n’est pas clair, ce système de dérogations, pour le remplacer par un système simple où le dessaisissement, bien qu’exceptionnel, resterait une faculté en fonction de la gravité des actes.» Le parti de Mme Nicaise va s’abstenir. Sauf coup de théâtre, ces dispositions seront rapidement applicables, une fois les arrêtés d’exécution adoptés.
Le projet pour l’enfant, une nouveauté qui plaît
Tous les groupes politiques du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles saluent cette nouveauté. Dès l’entrée en vigueur du texte, les conseillers de l’aide à la jeunesse devront rédiger, pour chaque jeune bénéficiant d’une mesure d’aide, un «projet pour l’enfant».
Il s’agirait de faire une sorte de plan de long terme pour «garantir le développement physique, psychique, affectif, intellectuel et social de l’enfant». L’objectif de ce projet est aussi de faire le lien entre les différentes interventions, de tisser un fil rouge entre ces différents acteurs qui gravitent autour du jeune. Et donc, à terme, de créer davantage de cohérence.
«Aide à la jeunesse: ‘La Flandre veut sortir du modèle protectionnel’», Alter Échos n°453, 24 octobre 2017, Cédric Vallet.