Les différents systèmes de crédit à la consommation constituent un engrenage important du surendettement des ménages wallons. Dans le cadre du voletpréventif de sa politique de lutte contre le surendettement, le ministre Detienne s’est interrogé sur les manières de prendre à rebours ces systèmes. C’est ainsiqu’il a au début de l’année confié à l’Observatoire du crédit1 une mission consistant à décrire ce qui existe en Belgique et dans les pays voisinscomme mécanismes alternatifs de crédit à la consommation destinés aux ménages à revenus modestes.
1. Le crédit à la consommation
En Belgique, révèle le Rapport général 2000 sur la consommation et le crédit aux particuliers édité cet été par l’Observatoire, le totaldes ouvertures de crédits à la consommation représente 250 milliards de francs, soit presque 5% de la consommation annuelle des ménages (année 99). La proportionmonte à 10% si on établit le rapport avec l’encours des crédits à la consommation (dont le total atteint 482,4 milliards). La partie de la consommation privéefinancée à crédit reste restreinte, contrairement à ce qu’on rencontre dans des pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne.
En Belgique, l’encours de crédit moyen s’élève à 6.080 euros par ménage, dont 1.171 euros sous la forme de crédits à la consommation. Le rapport entreendettement du fait du crédit à la consommation et revenu disponible atteint 8%. Et 57% du montant total des crédits à la consommation ouverts en 99 concernait des sommesde 100.000 francs ou moins, qu’on qualifie de « petits crédits ». Ce sont donc des établissements non bancaires qui dominent ce marché.
Que ce soit la vente à tempérament, l’ouverture de crédit, ou le crédit renouvelable grâce aux cartes de crédit, le crédit à la consommationconnaît des formes diverses et en expansion. Pour les ménages aux revenus les plus faibles, il est cher (taux nettement plus élevé que le « simple » découvert bancaire- encore faut-il y avoir accès) et risqué. De plus, pour le prêteur, il est un produit en fait peu rentable.
2. Le crédit social
Une approche sociale du crédit à la consommation constitue une arme préventive des situations de surendettement. Il réduit les coûts de la dette, offre uncontrôle sur le plan de remboursement et l’inscrit dans la réalité du budget. Il s’adapte au « projet de vie » de l’emprunteur. Pour l’Observatoire, 20% des ménages belgespourraient, au vu de leur faible solvabilité, être concernés directement par une formule de crédit social à la consommation.
Si on comprend facilement l’intérêt sur le plan des principes, on pressent aussi que les mécanismes de marché ne sont pas à même d’assurer la fourniture d’untel service. La question de la manière de l’organiser reste ouverte et appelle l’intervention publique.
3. Le Community Reinvestment Act américain
Une partie des banques et des organismes de crédit américains sont soumis depuis 1977 à une loi qui les oblige à développer leurs services dans les quartiers quel’État définit comme prioritaires vu la faiblesse des revenus de leurs habitants. Les banques « classiques » sont ainsi amenées à développer une offre decrédit social.
Ces institutions financières sont auditées régulièrement et classées en fonction de leur correspondance à des critères de réinvestissementcomme le maintien d’agences locales, la limitation du montant des prêts, etc. La fréquence des audits va de deux à cinq ans en fonction des résultats obtenus àl’audit précédent. Si les performances sociales d’une institution financière sont jugées mauvaises ou insuffisantes, la sanction n’est pas immédiate. Elle viendrades organismes fédéraux de contrôle du secteur, qui pourront de façon fondée refuser leur accord lorsque ces institutions demanderont à développer unnouveau produit ou une nouvelle branche, à fusionner, etc.
Les audits se font en concertation avec les communautés locales supposées bénéficier des stratégies de réinvestissement. Depuis 1996, ils prennent aussi encompte les stratégies de réinvestissement envisagées par les banques au lieu de se limiter à un simple contrôle a posteriori des performances sociales. Lescritères envisagés sont nombreux et variés, y compris, au-delà de la qualité de service à la clientèle privée défavorisée, laparticipation à la création de logements, le soutien au développement local et aux services sociaux, etc. La banque peut offrir son expertise, des dons, ou différentstypes de prêts.
La loi prévoit différentes façons de pondérer les critères d’audit pour les différentes catégories de banques : grandes ou petites,spécialisées ou généralistes. Le système du CRA passe évidemment par une forte transparence sur une partie des données concernant les activitésfinancières des banques et organismes de crédit.
4. Les prêts délivrés par les Caisses d’allocations familiales françaises
Les CAF gèrent en France les allocations familiales et le RMI. Organisées localement, elles développent aussi un important travail social. Un des instrumentsdéveloppés consiste en prêts, dont notamment les « prêts liés à l’accompagnement social » auxquels un budget de près de 720 millions de francs (belges) aété consacré en 1999. Sans intérêts, ces prêts passent par une convention écrite : les modalités sont adaptées à la situationéconomique du ménage, qui doit être préalablement allocataire de la CAF, et le délai de remboursement s’étale sur un à trois ans. Le plan deremboursement peut être revu si nécessaire, et les mensualités peuvent être prélevées sur les allocations.
Ces prêts sont accordés pour effectuer une dépense précise (électroménager p. ex.), pour rembourser une dette ponctuelle (énergie p. ex.) ou pourcontribuer à la sortie d’une situation de surendettement. Leur finalité la plus courante est l’accès au logement ou le maintien dans son logement malgré desdifficultés passagères.
Ces prêts sont assez semblables à ce que pratiquent chez nous certains CPAS, de façon moins structurée, avec leurs allocataires.
5. Les banques de crédit municipales hollandaises
Aux Pays-Bas, le crédit social est assuré par des banques de crédit municipales qui proposent divers autres services (dont l’assainissement et la médiation de dettes,l’aide sociale, l’attribution de logements) et que gèrent les communes et certaines administrations.
Les montants sont faibles et sont prêtés après une enquête sur le budget du ménage, mais l’emprunteur ne doit pas
exposer la raison pour laquelle il contracte lecrédit. Les taux d’intérêts aussi sont faibles et dépendent du montant prêté. La durée maximale de remboursement est de 36 mois. Chaque prêt estgaranti par un service social, qui octroie le plus souvent une allocation et peut le cas échéant prélever sur celle-ci le montant des mensualités. La demande estintroduite auprès du service social, examinée avec lui, et ensuite transmise à la banque.
Un système de prêts similaires, mais à titre gratuit, est accessible pour certaines dépenses aux personnes auxquelles ce crédit social a étérefusé. Ces « aides-prêts » (leenbijstand) sont gérés par les services d’action sociale communale, homologues de nos CPAS. En cas de prélèvement desremboursements à la source, les centres proposent une formule d' »assistance complémentaire ».
6. Le Social Fund anglais
Le « Budgeting Loan Scheme » du Social Fund anglais a été créé en 1988 pour remplacer une série d’aides sociales ponctuelles. Le Fonds est inclus dans lesystème de sécurité sociale et les prêts sont réservés aux bénéficiaires d’allocations de chômage ou d’aide sociale. Le montant desprêts, sans intérêt, est plafonné à 65.000 francs. Une enquête est effectuée sur les besoins du ménage et sur le caractère essentiel de ladépense à couvrir. La procédure est simple et respectueuse de la vie privée, les décisions sont rapides, un second prêt peut être demandé alorsqu’un précédent est toujours en cours. Inconvénient spécifique à ce Fonds ; le fait qu’il peut exiger des remboursements hebdomadaires, lourds à assumer.
7. Les Credit Unions anglaises
Les Credit Unions sont des instruments financiers avant d’être des organisations sociales. Il s’agit d’associations locales d’épargne-crédit. Leur principe est celui du pot communou de la tontine : toute personne qui entre dans l’association y amène, en une fois ou de façon étalée, un minimum d’épargne – qui peut être faible. Cesmembres-épargnants-actionnaires ont également le droit de contracter des emprunts auprès de l’association. Ils mutualisent ainsi le risque des crédits. Le systèmerenvoie directement aux origines des banques populaires dont sont issues chez nous la Bacob ou Cera.
Chaque Credit Union a sa propre politique : rémunérer plutôt l’épargne ou offrir des crédits à taux le plus avantageux possible. Les conditions sont dans tousles cas plus favorables que celles du marché. Malgré cela, le système peut tenir la route même à très petite échelle parce qu’il ne doit pasrémunérer de marge de profit, parce que les coûts de fonctionnement sont réduits du fait d’une gestion surtout bénévole, parce que la relation est durable etresponsabilisante, et parce qu’il existe un lien commun entre les membres (qui proviennent d’un même quartier, d’une même entreprise, d’une même association). La pression socialeinformelle régule donc en partie le système.
On comptait, en 1999, 659 Credit Unions au Royaume-Uni, rassemblant plus de 200.000 membres. Plus de la moitié ont moins de 200 membres et moins de 3,25 millions d’épargne. Leurdéveloppement est récent (années 80) et lent du fait d’une législation très restrictive. Dans d’autres pays caractérisés par une aussi forte exclusionbancaire, le mouvement est nettement plus important. Ainsi, les Credit Unions irlandaises drainent 40% de l’épargne privée.
L’accès au crédit est évidemment maximum à partir du moment où l’épargne a été amenée dans l’association : pas d’évaluation de lasolvabilité, pas de garantie, pas de stigmatisation, pas de méconnaissance du fonctionnement. 90% des demandes sont acceptées. L’épargne est en outre incitée etl’argent est directement réinjecté dans l’économie dans la proximité des épargnants.
Le Royaume-Uni est caractérisé par une très forte exclusion bancaire, et de nombreuses solutions locales plus ou moins atypiques s’y sont développées. Le rapport enmentionne une à titre d’exemple, imaginée par la Société de logements de Cambridge pour prendre à rebours le problème des locataires défaillants. Ellea simplement constitué un fonds de garantie de 1,6 million grâce auquel elle offre plusieurs produits, dont un compte d’épargne et un prêt d’un montant maximum de quatrefois celui de l’épargne.
8. Et en Belgique
Le rapport passe aussi en revue une série de prêts sociaux pratiqués en Belgique francophone. Ils ne sont pas tous des prêts à la consommation, mais leursmodalités et mécanismes peuvent s’en rapprocher.
Sont ainsi passés en revue : les prêts sociaux de la Province de Liège, les prêts sociaux du CPAS d’Havelange, les prêts logement (non hypothécaires) de laProvince de Hainaut, les crédits hypothécaires à taux sociaux de la SWL, le prêt Jeunes propriétaires de la Région wallonne, et les prêts des Fonds dulogement wallon et bruxellois.
Il faut aussi signaler que dans la foulée, le ministre Detienne2 est en train d’étudier la faisabilité d’une formule de prêt social. Le dernier chapitre du rapport enébauche les objectifs et les modalités. Ces prêts pourraient se rapprocher du système hollandais : une garantie régionale, un réseau de services sociaux encontact avec la demande, un organisme de crédit social qui gère techniquement les flux financiers et est soumis à un Comité d’acceptation des crédits.
Sur son financement et surtout sur les opérateurs sur qui reposerait le dispositif, une étude de faisabilité est actuellement en cours en vue de démarrer l’an prochain uneexpérimentation.
1 Nadine Fraselle, Av. Général Michel 1A à 6000 Charleroi, tél. : 071 33 12 59, fax : 071 32 25 00, e-mail : info@observatoire-credit.be, site Web : http://www.observatoire-credit.be
2 Cabinet, rue des Brigades d’Irlande 4 à 5100 Jambes, tél. : 081 32 34 11.
Archives
"Le crédit accessible aux personnes à revenus modestes : des pistes alternatives"
Thomas Lemaigre
03-12-2001
Alter Échos n° 110
Thomas Lemaigre
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