Y aurait-il deux lectures possibles des chiffres relatifs à l’emploi et au chômage selon que l’on se trouve du côté de Joëlle Milquet, nouvelle ministrefédérale de l’Emploi1, ou dans le camp du Collectif solidarité contre l’exclusion (CSCE)2 ? À l’heure où l’élue CDH joue la carte dupositivisme pour la défense de sa note de politique générale pour l’emploi, le CSCE, lui, vient de publier un rapport dénonçant les abus et mensongesprésumés du plan d’activation des chômeurs…
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la note de politique générale de Joëlle Milquet (CDH) fait parler d’elle. Alors que les députés de la majorité ont,péniblement, voté en sa faveur le 6 mai, après plus de deux semaines de palabres, des voix s’élèvent également du côté du Collectifsolidarité contre l’exclusion pour mettre en doute certains points défendus, dans la note, par la nouvelle ministre fédérale de l’Emploi à propos du pland’accompagnement des chômeurs. Si les reproches qui lui sont adressés à ce sujet ne sont pas neufs et concernaient déjà les politiques menées par sesprédécesseurs, il n’en reste pas moins que le CSCE s’est fendu récemment d’un communiqué de presse dont le titre (« Joëlle Milquet, super ministre de l’Emploiou de l’Exclusion ?») renvoie au dernier rapport, publié en mars de cette année par le Collectif et qui dénonce les effets pervers supposés du plan.
« Depuis la mise en place du plan d’activation des chômeurs en 2004, le nombre de sanctions et d’exclusions a littéralement explosé », affirme ainsi Yves Martens,du Collectif solidarité contre l’exclusion. Une conclusion à laquelle la ministre fédérale de l’Emploi ne semble pas être arrivée puisque sa note de politiquegénérale affirme que le bilan global de l’activation des chômeurs est « largement positif » et que, bien loin de constituer une machine à exclure, cettepolitique n’a mené qu’à 7 458 sanctions en 2007 contre 7 539 exclusions du temps de l’article 80. Pour rappel, jusqu’en 2004, avant la mise en place du plan d’activation deschômeurs, l’article 80 permettait à l’Onem d’exclure du chômage les chômeurs cohabitants ayant dépassé une fois et demie la durée moyenne duchômage dans leur région.
Des chiffres manipulés ?
Réagissant à ces chiffres, Yves Martens renchérit : « Ces chiffres illustrent à merveille le génie du nouveau système. On y a multiplié lesdifférents types de sanction de sorte qu’il est désormais possible de faire une présentation tronquée de la réalité en manipulant et agençant cesdifférents « postes » à l’envi. Le chiffre de 7 458 sanctions en 2007 ne représente en fait que les personnes sanctionnées suite aux deuxième et troisièmeentretiens prévus par l’activation et ne prend pas en compte les dizaines de milliers d’autres personnes sanctionnées d’autres manières… » Pour rappel, laprocédure actuelle d’activation des chômeurs consiste en trois entretiens espacés de minimum quatre mois. Si la première entrevue mène au constat que le chercheurd’emploi n’est pas assez actif dans ses recherches, un contrat détaillant une liste d’actions à mener par ce même chercheur d’emploi est signée. Le deuxièmeentretien sera alors l’occasion de vérifier si le contrat a été respecté. Dans le cas d’une réponse négative, une sanction de quatre mois (suppression totaledes allocations pour les allocataires d’attente et les cohabitants, diminution au niveau du revenu d’intégration pour les isolés ou les chefs de ménage) sera appliquée auchercheur d’emploi et un nouveau contrat sera rédigé. Une évaluation de celui-ci sera faite au troisième entretien et, dans le cas où celui-ci serévèle négatif, l’exclusion définitive du chômage sera alors prononcée.
Il existe cependant d’autres cas de figure pouvant mener à des sanctions et qui, eux, ne sont pas repris dans les chiffres cités par la note de politique générale. Lessuspensions « Article 70 » (suspension indéterminée pour non réponse à une convocation), le refus d’indemnisation pour non disponibilité sur lemarché de l’emploi, les sanctions visant le « chômeur par suite de circonstances dépendant de sa volonté » ou encore les sanctions administratives sont aunombre de ceux-ci. « Si l’on veut bien prendre en compte toutes les personnes sanctionnées pour ces raisons et qu’on les additionne aux chiffres cités précédemment,on arrive en fait, selon les chiffres même de l’Onem, à 144 685 refus ou sanctions pour l’année 2007. Un chiffre qui est largement plus élevé que les 7458 sanctionscitées un peu partout. Il y a là une forme de manipulation des chiffres. Sortir du chômage ou être exclu des statistiques ne veut pas dire que l’on a trouvé unemploi… Il est de plus patent que la plupart des types de sanction ont vu leurs chiffres augmenter entre 2004 et 2007 et ce, même pour des postes que l’on ne présente pas commeétant directement liés à l’activation des chômeurs », affirme Yves Martens. Ainsi, à titre d’exemple, les sanctions administratives, pas ou peu liées auplan d’activation, seraient passées, selon le Collectif solidarité contre l’exclusion de 13 319 sanctions en 2004 à 27 081 en 2007. « Un effet logique d’une politiquegénérale d’exclusion », conclut Yves Martens.
Ceci alors que la note de politique générale de la ministre prévoit de proposer dans les mois qui viennent, « un nouveau plan d’accompagnement d’envergureencore plus efficace, plus personnalisé, plus responsabilisé pour chacun des intervenants dans le même esprit que celui qui a été conclu en 2004… ». Un plan,qui, selon le Collectif solidarité contre l’exclusion, prévoirait, entre autres, la généralisation de l’obligation, pour tous les demandeurs d’emploi de moins de cinquanteans, de signer un contrat leur imposant des obligations en termes de recherche d’emploi. Rappelons qu’à l’heure actuelle, seuls les chercheurs d’emploi dont les efforts de recherche d’emploin’ont pas été jugés suffisants sont dans l’obligation de signer un tel contrat.
Un impact sur les CPAS
Un des effets les plus remarqués de l’emballement supposé des sanctions prononcées par l’Onem serait le nombre croissant de personnes s’adressant aux CPAS afin debénéficier du revenu d’insertion sociale après s’être vues privées de leurs allocations de chômage. Véritable transfert de responsabilité dufédéral vers les communes, le phénomène serait en « phase de grande croissance », selon Ricardo Cherenti, conseiller à la Fédération desCPAS de Wallonie3 qui, pour étayer ses propos, s’appuie sur une étude menée par le service Insertion professionnelle de la Fédération. « Il ressortde cette étude réalisée auprès de vingt et un CPAS que le taux de personnes prises en charge par les CPAS après une sanction de l’Onem a connu une hausse de 580 %en deux ans, passant, de 2005 à 2007, de 373 à 2163 personnes. » Une hausse qui, selon Ricardo Cherenti, « semble se confirmer en 2008, même si nous ne disposons pasde chiffres à l’heure actuelle ».
Quoiqu’il en soit, le débat n’a pas fini de faire couler de l’encre et risque de rattraper une Joëlle Milquet quelque peu malmenée ces derniers temps et qui, malgré denombreuses tentatives de notre part, n’a pas commenté les chiffres avancés par Yves Martens et Ricardo Cherenti. Rattrapée sans doute, à sa décharge, par un certaindossier BHV…
Rappelons que sa note de politique générale n’est passée, ce 6 mai en Commission des affaires sociales de la chambre, que par la grâce d’un vote majorité contreopposition (avec l’abstention de la NVA…) après plus de deux semaines de palabres. En cause, la possibilité, évoquée par la note, de prévoir une prime de 75 eurosdestinée aux travailleurs d’une Région allant travailler dans une autre Région. Une mesure fort peu appréciée par les partis flamands, de la majorité commede l’opposition, qui estiment qu’une prime fédérale pour la mobilité des chômeurs est une manière de nier une éventuelle régionalisation de lapolitique de l’emploi.
Frictions communautaires en plein marasme pré- ou post-BHV ? On peut le penser puisque la note est finalement passée et que Joëlle Milquet joue désormais la carte del’apaisement : elle déclarait dans Le Soir du 7 mai que la prime de 75 euros était un « (…) exemple que j’ai donné dans une interview, mais je ne suis pasabsolument attachée à cette prime. » Un quotidien dans les pages duquel elle affirme également, à propos de sa note : « Ce sont des notes assezgénérales, et au-delà de la crispation communautaire, je n’ai entendu aucune critique de fond. » Reste que les critiques émises par le CSCE à propos du pland’activation des chômeurs sont un fait. De même que celles exprimées entre autre par la Fédération wallonne des entreprises d’insertion4, concernant lapossibilité, également évoquée par la ministre fédérale de l’Emploi, d’étendre le système de titres-services à la garde d’enfantsà domicile en dehors des heures d’ouverture des garderies reconnues…
1. Cabinet de Joëlle Milquet, ministre fédérale de l’Emploi et de l’Égalité des chances :
-adresse : av. des Arts, 7 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 220 20 11
– site : http://www.belgium.be
2. Collectif solidarité contre l’exclusion:
– adresse : rue Philomène, 43 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 218 09 90
– courriel : info@asbl-csce.be
3. Fédération des CPAS de Wallonie :
– adresse : rue de l’Étoile, 14 à 5000 Namur
– tél : 081 24 06 11
– courriel : commune@uvcw.be – http://www.uvcw.be
4. Fédération wallonne des entreprises d’insertion sociale :
– adresse : rue du Téris, 45 à 4100 Seraing
– tél. : 04 330 39 86
– courriel : federation@atoutei.be
– site : http://www.atoutei.be