Une communication de la Commission européenne met l’accent sur les entreprises sociales et propose un plan d’action pour soutenir l’entrepreneuriat social en Europe.
Il y a presque un an, le Vosec (Vlaams overleg sociale economie), SAW-B (Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises) et le SPP intégration sociale organisaient un séminaire dont l’ambition était de dresser le bilan de la présidence belge de l’Union européenne en matière d’économie sociale (voir [i]Alter Echos[/i] n° 311 du 7 mars 2011 : « https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=311&l=1&d=i&art_id=21110]Économie sociale : si l’Europe m’était contée[/url] »).
Au cours de l’année écoulée, la situation n’a cependant pas cessé d’évoluer. Pour preuve, la Commission européenne s’est fendue le 25 octobre 2011 d’une communication au parlement européen, intitulée « Construire un écosystème pour promouvoir les entreprises sociales au cœur de l’économie et de l’innovation sociale » et par laquelle elle entend, notamment, poursuivre l’objectif de « présenter un plan d’action à court terme pour accompagner le développement des entreprises sociales, acteurs-clés de l’économie sociale et de l’innovation sociale ». Un plan d’action composé de onze actions-clés, que la Commission se propose de lancer avant la fin 2012 (voir encadré).
En voici quelques-unes, ainsi que leur état d’avancement. L’ensemble des actions est consultable sur le site de la Commission européenne à l’adresse suivante : [url=http://ec.europa.eu/internal_market/social_business/index_fr.htm]http://ec.europa.eu/internal_market/social_business/index_fr.htm[/url]
– Action n° 1 : proposer un cadre réglementaire européen pour les fonds d’investissement solidaire, afin de faciliter l’accès aux marchés financiers des entreprises sociales. L’objectif sera de stimuler la création de fonds dédiés, leur permettant d’être actifs sur l’ensemble du marché unique.
Le 7 décembre 2011, la Commission a proposé la création d’un nouveau label intitulé « Fonds d’entrepreneuriat social européen » qui permettra aux investisseurs d’identifier clairement les fonds d’investissement dont l’objet principal est d’investir dans des entreprises sociales. Les gestionnaires de fonds pourront utiliser le nouveau label pour commercialiser leurs fonds dans tous les Etats membres de l’Union. Les fonds qui utilisent ce label devront investir au moins 70 % de leurs actifs (l’argent reçu des investisseurs) dans des entreprises sociales.
– Action n° 4 : introduction explicite d’une priorité d’investissement « entreprises sociales » dans les règlements FEDER et FSE à partir de 2014.
La Commission a adopté un ensemble de propositions législatives qui définiront la politique de cohésion de l’UE pour la période 2014-2020. Parmi elles, des propositions de règlement concernant le FSE et le FEDER. Et une place est ménagée à l’économie sociale puisque le règlement relatif au FSE prévoit que celui-ci soutiendra notamment « la promotion de l’économie sociale et des entreprises sociales ». Pour le FEDER, le règlement entend qu’il soutienne notamment la promotion de l’inclusion sociale et la lutte contre la pauvreté, ce qui inclut l’aide aux entreprises sociales.
– Action n° 6 : Créer une base de données publique des labels et certifications applicables aux entreprises sociales en Europe, pour en améliorer la visibilité et la comparaison.
Cette mesure est en préparation.
Une communication « historique » ?
Outre les actions-clés, cette communication est « historique » en deux points. Premièrement, elle marque un intérêt prononcé de la Commission pour les entreprises sociales, chose loin d’être garantie depuis plusieurs années. « On sent que la communication sert, pour la Commission, à redécouvrir l’économie sociale, il s’agit d’une sorte d’écolage, analyse Jacques Defourny, professeur ordinaire à HEC – Ecole de Gestion (département d’Economie) de l’Université de Liège et directeur du Centre d’économie sociale de l’Université de Liège1. Lors de la présentation de la communication, j’ai été surpris de l’implication du top de la Commission, je n’avais presque jamais vu ça. Cela dit, il ne faudrait pas qu’il s’agisse ici de mettre une petite touche sociale pour compenser le « tout-au-marché ». En cela, le discours de José Manuel Barroso était un peu interpellant puisqu’il a plutôt parlé d’innovation sociale, ce qui est vague. »
Et effectivement, dans ce domaine, le diable pourrait bien se trouver dans les détails. Rappelons en effet que le principe de l’économie sociale – sa définition – est parfois fort différent d’un pays à l’autre chez les 27 membres de l’Union ou dans le reste du monde. Et que ceci révèle des histoires, des sensibilités différentes. Des sensibilités qui parfois s’affrontent et qui ont « travaillé » lors de l’élaboration de la communication qui contient, deuxième point « historique », une définition de l’entreprise sociale. Or, d’après certains intervenants, les premières moutures de la communication faisaient la part belle à une conception plus anglo-saxonne du secteur, une conception de « Social innovation » insistant plus sur les solutions de marché « avec la vision de l’entrepreneur social comme une personne leader, exceptionnelle, du type de Muhammad Yunus2. C’est une approche intéressante, mais qui ne fait pas droit aux réalisations de l’économie sociale et solidaire européenne qui met en avant une dynamique collective », explique Jacques Defourny.
« La définition de l’entreprise sociale par la Commission européenne »
Une entreprise sociale, acteur de l’économie sociale, est une entreprise dont le principal objectif est d’avoir une incidence sociale plutôt que de générer du profit pour ses propriétaires ou ses partenaires. Elle opère sur le marché en fournissant des biens et des services de façon entrepreneuriale et innovante et elle utilise ses excédents principalement à des fins sociales. Elle est soumise à une gestion responsable et transparente, notamment en associant ses employés, ses clients et les parties prenantes concernées par ses activités économiques
Par « entreprise sociale », la Commission vise ainsi les entreprises :
- pour lesquelles l’objectif social ou sociétal d’intérêt commun est la raison d’être de l’action commerciale, qui se traduit souvent par un haut niveau d’innovation sociale ;
- dont les bénéfices sont principalement réinvestis dans la réalisation de cet objet social ;
- dont le mode d’organisation ou le système de propriété reflète la mission, s’appuyant sur des principes démocratiques ou participatifs, ou visant à la justice sociale.
Ce sentiment de décalage amena le « lobby de l’économie sociale » à peser sur la Commission, avec un résultat satisfaisant. « La définition reprend maintenant de gros éléments de l’économie sociale. Il y a donc du chemin qui a été parcouru », explique Marie-Caroline Collard, directrice de SAW-B3. Une opinion que l’on retrouve également du côté de Social Economy Europe4, l’organisation qui représente les entreprises d’économie sociale au niveau européen. « La Commission est même arrivée à faire un exercice que nous aurions eu du mal à réaliser, notamment du fait de la diversité des conceptions au sein des 27, explique Alain Coheur, président. Ici, nous avons une appréciation de ce qu’est une entreprise sociale de manière transversale, large, et dans laquelle la responsabilité sociale des entreprises (RSE) aura du mal à s’engouffrer, ce qui est une bonne chose. » Une RSE qui, notons-le, a aussi obtenu sa propre communication de la Commission, le même jour que celle concernant l’entrepreneuriat social…
Quelques bémols tout de même
Cela dit, la communication ne se limite bien évidemment pas à cette définition. Elle contient, on l’a dit, onze actions. « L’action insistant sur les fonds structurels est importante, mais ce sont de grandes orientations et c’est donc aussi au sein des Etats que les choses vont se jouer. L’économie sociale se doit donc d’être au taquet, nous irons chez les ministres responsables pour voir ce qu’ils comptent faire », note Marie-Caroline Collard qui insiste aussi sur l’importance de l’action concernant les fonds dédiés (action 1) tout en ne se montrant pas très enthousiaste pour le principe de labellisation. « Labelliser des entreprises, des processus, cela me paraît un peu compliqué. » Notons que SAW-B regrette également, dans une analyse intitulée « Entreprise sociale et Union européenne : opportunité pour l’économie sociale ? »5, que la communication « cantonne la finalité des entreprises sociales à l’emploi et à l’inclusion sociale ».
Jacques Defourny, quant à lui, déplore que l’accent soit trop mis sur les instruments financiers. « La Commission devrait plutôt jouer un rôle démultiplicateur, reconnaître le pluralisme du troisième secteur et inviter les Etats à faire une plus grande place à l’économie sociale dans la réflexion stratégique sur les évolutions économiques », précise-t-il avant de s’étendre sur la question de la suite du parcours de la communication. « C’est une déclaration d’intention, il va encore y avoir du tirage. Rien n’est gagné, mais ce qui est acquis, c’est qu’on parle des entreprises sociales au top de la Commission », conclut-il.
1. Université de Liège au Sart Tilman :
– adresse : bd du Rectorat, 3 Bât. B33 Bte 4 à 4000 Liège
– tél. : 04 366 27 51
– site : http://www.ces.ulg.ac.be
2. Muhammad Yunus est un économiste et entrepreneur bangladais connu pour avoir fondé la première institution de microcrédit, la Grameen Bank, ce qui lui valut le prix Nobel de la paix en 2006.
3. SAW-B :
– adresse : rue Monceau Fontaine, 42/6 à 6031 Monceau-sur-Sambre
– tél. : 071 53 28 30
– site : http://www.saw-b.be
4. Social Economy Europe :
– adresse : rue Saint-Jean, 32-38 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 515 06 61
– courriel : contact@social.economy.eu.org
– site : http://www.socialeeconomy.eu.org
5. Disponible sur le site de SAW-B : http://www.saw-b.be/cms/europe.php#K9