C’est l’histoire d’une demandeuse d’asile albanaise dont la demande a été déclarée irrecevable par l’Office des étrangers(l’OE) le 9 novembre 2000. Elle ne l’a appris par hasard qu’en mars 2001, parce que la décision négative a été envoyée à son adresseinitiale bien qu’elle eût informé l’OE, par recommandé, de son changement d’adresse. Les délais étant écoulés, le Commissariatgénéral aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) refuse son recours. Problèmes : un dysfonctionnement à l’OE et une interprétation restrictive desdélais de recours (dans les trois jours) au CGRA.
C’est l’histoire d’un couple tchétchène. Il est auditionné à l’OE le 13 mars 2001. L’homme connaît mieux la languetchétchène que le russe ; pour la femme, c’est l’inverse. Pour l’interview, il reçoit un interprète russe, elle, un interprètetchétchène!
Une accélération préjudiciable
Ces exemples, parmi d’autres, sont tirés d’un rapport de 66 pages sur le fonctionnement de la procédure d’asile depuis janvier 2001, une réalisation commune duCBAR, de l’OCIV et du Ciré1, en collaboration avec leurs organisations membres et d’autres associations actives dans le domaine des réfugiés. L’idée estpartie d’un constat : au cours des derniers mois, les plaintes relatives à la procédure d’asile se sont multipliées et diversifiées. L’analyse dufonctionnement de la procédure d’asile a avant tout, selon les associations, révélé la limitation des droits des demandeurs d’asile et la perte dequalité dans le traitement des demandes d’asile en raison de l’accélération de la procédure à partir de l’année 2001. Uneaccélération dont, on s’en souvient, Pascal Smet, patron du CGRA, il y a à peine un mois se félicitait dans les colonnes de La Libre Belgique2 au nom du « managementefficace ». Et lorsqu’il lui était demandé si ce n’était pas là expédier les dossiers, le commissaire aux réfugiés réfutait : teldossier qui prenait naguère quatre ou cinq mois n’était en réalité étudié que « pendant maximum deux jours. »
L’associatif, lui, dit tout autre chose : « […] la sévérité accrue de la politique d’asile a atteint, dans la même mesure, les personnes qui ont besoin deprotection et celles qui abusent de la procédure d’asile. La mise en place d’effets dissuasifs est actuellement plus importante que l’octroi d’aide à ceux qui enont besoin. La situation est à ce point inquiétante que nous estimons qu’il y a plus de risques que jamais qu’un réfugié au sens de la Convention deGenève ne soit pas reconnu comme tel par les instances d’asile belges. » Et de pointer les divers « dysfonctionnements » : la procédure est trop rapide pour être dequalité; des demandeurs d’asile « disparaissent » pour des raisons techniques et administratives; la qualité des interviews et décisions « devient inquiétante »; lesdécisions sont de moins en moins individualisées (le principe des pays sûrs est applicable dans les faits)… Le rapport reproche aussi au CGRA de ne plus convoquersystématiquement les demandeurs d’asile qui ont introduit un recours et de prendre donc d’office la même décision que la première instance. « À quoi sertalors le CGRA? », s’interroge le Ciré.
Le CGRA en prend pour son grade
Mais ce n’est pas tout, poursuivent les trois organisations, la gestion globale fait aussi problème. Si l’OE a épuré son arriéré, le CGRA de soncôté ne traite que les dossiers introduits en 2001, et en recevabilité : les dossiers au fond restent en attente et l’arriéré d’avant 2001 est »gigantesque ». Ce qui revient à dire, et l’associatif ne s’en prive pas, que tous les moyens sont utilisés pour rejeter les « mauvais » dossiers alors que les « bons » (ceux desréfugiés ayant vraiment besoin d’une protection) sont mis au frigo. Le CGRA a ainsi laissé s’accumuler un arriéré de 41.000 dossiers dont 3.600introduits en 2001. « Ce sont les FINO », ironisent le CBAR et le Ciré (First In, Never Out).
Autre chiffre pointé par les associations : de 5.000 demandes d’asile en décembre 2000, on est passé à 2.000 par mois; mais le taux de recevabilité du CGRAest resté identique : 23,4%. Et de conclure : ou bien, il y a toujours autant de demandes injustifiées et la politique du gouvernement ne fonctionne pas. Ou alors, et c’estl’hypothèse du Ciré et du CBAR, il y a plus de réfugiés ayant besoin de protection qui viennent en Belgique mais à la suite d’une politique plus dure,ils sont moins nombreux à être reconnus. Bref, dénonce Bruno Vinikas, le président du CBAR, « la politique d’asile devient une politique d’immigrationzéro. » Solution pour les associations : réformer le droit d’asile, l’accélération étant préjudiciable aux candidats réfugiés.
Toutefois si l’associatif n’ignore pas que le projet de réforme du gouvernement est en rade, il ne désespère pas de relancer la donne par lobbying auprès dequelques parlementaires verts ou rouges privilégiés.
1 « De l’exil au droit d’asile, un vrai labyrinthe », rapport sur le fonctionnement de la procédure d’asile de janvier à octobre 2001, une initiative du Comitébelge d’aide aux réfugiés, d’Overlegcentrum Integratie Vluchtelingen et de la Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers. Le rapport estnotamment disponible auprès du Ciré, tél. 02 629 77 10 (Sophie Bultez).
2 In La Libre du 20 octobre 2001.
Archives
"Le droit d'asile mis à mal : l'associatif dénonce"
Agence Alter
19-11-2001
Alter Échos n° 109
Agence Alter
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