Beaucoup le fuient. Peu en ont une idée claire. Mais il est là, un peu partout. Le « film social », c’est-à-dire ancré et engagé dans son temps, a mille visages : de la comédie à l’œuvre noire, en passant par la romance et l’aventure. La programmation du 28ème Festival de Namur, clôturé le 4 octobre, en a encore démontré l’immense richesse et la poignante intensité. Mais, au fond, c’est quoi un « film social » ?
Beaucoup le fuient. Peu en ont une idée claire. Mais il est là, un peu partout. Le « film social », c’est-à-dire ancré et engagé dans son temps, a mille visages : de la comédie à l’œuvre noire, en passant par la romance et l’aventure. La programmation du 28ème Festival de Namur, clôturé le 4 octobre, en a encore démontré l’immense richesse et la poignante intensité. Mais, au fond, c’est quoi un « film social » ?
Il y a des films pour se sentir mieux. Et il y a des films qui rendent meilleurs. L’un et l’autre vont souvent de paire. Mais il faut parfois « endurer un film », comme disent les frères Jean-Pierre et Luc Dardenne.
Attention, le rire peut aussi nous mettre au diapason d’un cinéaste engagé. Josiane Balasko, scénariste, réalisatrice et actrice de « Demi-Sœur », vient de rappeler avec brio qu’une comédie accomplie peut aussi éclairer, sinon illuminer, des questions sociales bien affûtées. L’artiste était le « Coup de cœur », c’est-à-dire l’invitée d’honneur, du Festival international du film francophone (FIFF), qui s’est clôturé à Namur le vendredi 4 octobre.
Antoinette, la soixantaine, se perd dans les bois, en suivant un lapin. À la nuit tombée, elle rejoint innocemment une « rave party ». Les « bonbons » y ont, bien sûr, des vertus délirantes. Il y a quelque chose d’Alice au pays des merveilles et de la grande aventure dans ce nouveau scénario de Josiane Balasko (sortie en salles imminente). Nénette n’est « pas sur la même longueur d’onde que les autres », dit l’auteure. Un handicap mental lui a été diagnostiqué à la naissance. C’est par hasard que Nénette se trouve là, au milieu d’un clan de rock-métal, déboussolée par le récent décès de sa maman, son placement dans une maison de retraite et son espoir de retrouver son père.
Dans le même temps, Namur a découvert le documentaire « L’âge de raison », sur le cinéma des frères Dardenne, par leurs amis Alain Marcoen et Luc Jabon. Bien sûr, entre les frères Dardenne et Josiane Balasko, il y a un monde. Voire quelques galaxies. Le FIFF 2013 a souligné une fois de plus l’étendue de la gamme qu’emploie le cinéma social : le film d’amour pour « La vie d’Adèle » ou « Gabrielle » ; le thriller pour « Electric Indigo » ; la satire pour cette histoire de garçon efféminé dans « Les garçons et Guillaume, à table ! » ; le drame pour « Child’s pose » ; et même l’animation pour « Aya de Yopougon » (lire ci-contre). On en passe.
Après immersion dans le cru 2013 de ce cinéma multi- facettes, que d’aucuns ont cru ennuyeux, on cherche encore ce qui relie les films. La réponse affleure quand, à la fin d’une séance, près du piano du cinéma Eldorado ou sous le chapiteau qui fait face à la citadelle de Namur, les spectateurs partagent leur émerveillement. Parfois, chacun semble avoir rencontré derrière l’écran, comme en rêvait Verlaine, « quelqu’un qui l’aime et le comprend ». Finalement, à défaut de définir le film social, on peut au moins dire approximativement ce qu’est un bon film social. Il répond avec finesse à cette question grossière qu’on n’avait même pas osé poser : « Qu’est-ce que la beauté ? ».
La plupart des films présentés au FIFF sortiront en salles prochainement. Nombreux sont ceux qui méritent toute votre attention. Signe des temps, deux questions sont récurrentes dans la production 2013 : le thème du handicap et celui de l’homosexualité. Mais ce n’est pas tout. Morceaux choisis :
La vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche
Dans cette tourmente amoureuse, le caractère « hors-normes » lié à l’homosexualité se dissipe complètement. L’appel à la tolérance d’Abdellatif Kechiche est paradoxalement indélébile parce qu’inscrit en filigrane. Son histoire d’amour authentique prend aux tripes et rappelle au spectateur, quel qu’il soit, ses propres amours, hétéro ou homosexuelles. La maîtrise de l’image est grandiose, de sorte qu’il ne faut pas avoir peur des peaux grasses, des bouches pleines ou des pleurs, pour profiter aussi des nombreux instants de grâce.
Gabrielle, de Louise Archambault
Une autre histoire d’amour, venue du Canada, entre Gabrielle et Martin, qui sont atteints d’un léger handicap mental. C’est ce qui leur permet de se rencontrer et de se retrouver au sein d’une chorale qui accompagne Robert Charlebois. Leur quête de liberté est universelle.
Des étoiles, de Diana Gaye
Un cousin d’Amérique rentre à Dakar pour quelques jours. Une jeune Sénégalaise part à la recherche de son mari en Italie. À travers divers parcours croisés, Diana Gaye tisse les réalités et les fantasmes de l’émigration au XXIème siècle.
Aya de Yopougon, de Marguerite Abouët et Clément Oubrerie
Après l’énorme succès de la BD (6 tomes), le film était très attendu. Il n’a pas déçu. Aya est une jeune femme d’Abidjan, du quartier de Yopougon plus exactement. Elle ne manque pas de caractère ni d’humour. Son français, teinté de couleurs africaines, nous « enjaille ». Aya a largement participé à « ambiancer » Namur, même si son propos rappelle la difficulté d’être une femme en Côte d’Ivoire et d’ailleurs, celle d’être un homme aussi.
Henri, de Yolande Moreau
Lorsque Rita (Lio) meurt brutalement, son mari Henri (Pippo Delbono), restaurateur carolo, se fait aider psychologiquement. Il rencontre alors Rosette, résidente d’un foyer pour handicapés mentaux. Le récit de leur relation illustre, selon les mots de Yolande Moreau, « la difficulté de vivre ». Saluée à Cannes également, cette tragédie est délicatement saupoudrée d’humour.
Child’s pose, de Calin Peter Netzer
Récompensé d’un Bayard d’or, plus haute distinction à Namur, et d’un Bayard de la meilleure comédienne, « Child’s pose » avait également reçu les honneurs à Berlin – l’Ours d’or, pas moins. Il faut bien s’accrocher au début, pour l’embardée ! C’est l’histoire d’un homme au volant d’une voiture qui heurte mortellement un enfant. C’est aussi l’histoire de sa maman, solide comme un roc, qui fait tout pour le remettre sur pieds..
Pour éclairer notre question – « C’est quoi un film social ? » – nous avons demandé à un jeune réalisateur bourré de talent. Jean-Julien Collette – retenez son nom ! – a présenté au FIFF un court-métrage culotté qui a presque inventé un genre : disons le « thriller social teinté d’humour noir », pour reprendre les mots de l’artiste. « Electric Indigo » traite de l’homoparentalité en 23 minutes, avec beaucoup de mordant. Il sortira bientôt sur nos petits écrans (RTBF, BeTv…). Rencontre.
A.E. : Qu’est-ce pour vous un « film social » ? L’étiquette a-t-elle du sens à vos yeux ?
J.C. : Un « film social » est un terme générique, parfois perçu comme péjoratif, qui désigne les films qui ont une réflexion sur notre mode de vie et sur notre place dans la société. C’est l’antithèse du film dit « commercial », sans réflexion sur la société, qui est aussi un terme générique galvaudé. Pour moi, ce terme est aussi général que de dire « musique classique ». Je l’utilise en l’associant à d’autres genres. Par exemple : un thriller social teinté d’humour noir. Ça, ça me parle vraiment.
A.E. : Pourquoi vous êtes-vous dirigés vers des films qui dépeignent des problèmes de société ?
J.C. :Parce que l’on vit encore, malgré les apparences, dans une société où les gens ont souvent peur de l’autre, et parce que certains problèmes contemporains n’ont pas encore été, à mes yeux, bien traités au cinéma.
A.E. : Pourquoi d’après vous tant de personnes fuient ouvertement les films qui ont l’ambition non-dissimulée de leur livrer un message ?
J.C. :Tout simplement parce qu’ils voient le cinéma comme un divertissement, un moment qui leur permet d’échapper à leur quotidien. Et donc, une histoire qui parle frontalement d’un problème précis ne peut que provoquer de l’urticaire. Si l’on veut intéresser un public qui ne cherche que le divertissement, les thèmes profonds doivent être traités en filigrane. Et si l’on a un message à faire passer de manière non-dissimulée, autant être facteur, non ?
A.E. : En quoi le cinéma est-il un moyen privilégié pour ce type d’engagement ?
J.C. : Le cinéma doit, pour intéresser le public, parler de thèmes universels. On peut parler d’un problème local et être universel, mais il faut créer de l’empathie. Les plus grands cinéastes y arrivent en associant spectacle et engagement. C’est le but à atteindre pour un auteur qui veut toucher un public. Et c’est seulement à ce moment-là que le cinéma est un moyen privilégié pour parler de choses profondes, lorsqu’il s’adresse à un public plus large et non à une poignée d’aficionados..
https://www.youtube.com/watch?v=psqYN-r0MY8]Electric Indigo.
https://www.youtube.com/watch?v=Xcqk_h83iwE]
http://www.bandes-annonces.ca/catalog/movie/Gabrielle_louise_archambault]
http://vimeo.com/68994793 Henri. http://www.premiere.fr/Bandes-annonces/Video/Henri-Extrait-VF]
Aya de Yopougon.
https://www.youtube.com/watch?v=k_ZyAfYlmeU]Child’s pose.
Remarque: Il peut être nécessaire de cocher “sous-titrage”, selon les cas.