Un constat s’impose en Région bruxelloise : il n’y a pas assez de cours de français langue étrangère. Pourtant, la demande est chaque année de plus en plus forte auprès des associations, mais celles-ci doivent refuser du monde ou mettre des élèves sur liste d’attente.
« Tu peux me dire quel jour on est ? » C’est par cette question que Barbara Ntidendereza commence son cours de français. Depuis deux ans, elle est formatrice en FLE au sein du Piment1 à Molenbeek. Dans sa classe, ils sont six à suivre son cours. Ils ont entre 25 et 55 ans. Ce sont des femmes, des hommes. Chacun avec un parcours très différent. Certains ont des papiers, d’autres pas. Ils viennent d’Algérie, de Syrie, du Maroc, de Turquie ou d’Afghanistan. Au fil du cours, on découvre le verbe « aimer », l’occasion pour chacun de raconter son expérience, d’exprimer ses préférences.
Au sein du Piment, on propose autant des cours de FLE en cohésion sociale qu’en insertion socio-professionnelle. Mais comme beaucoup d’associations à Bruxelles, Le Piment doit refuser pas mal d’élèves. « On accueille une trentaine d’élèves, les places sont très vite prises, et on doit renvoyer les demandeurs de centre à centre. On se sent très mal parce qu’on renvoie plein de gens mais l’offre de cours est insuffisante à Bruxelles. »
Depuis cette année, les cours se donnent aussi en collaboration avec le CPAS de Molenbeek. « C’est un public très différent qu’on rencontre. La plupart sont dans l’attente de résolution de leur dossier administratif. Certains sont contraints parce qu’ils doivent prouver qu’ils sont dans une démarche d’insertion, d’autres ont aussi une démarche volontaire d’intégration et de socialisation », explique Barbara.
Pendant les cours, c’est d’abord un travail sur l’apprentissage d’un savoir-être de base. « On travaille surtout avec ce qu’ils nous donnent, c’est-à-dire avec les besoins qu’ils ont, leurs expériences aussi. On ne peut pas du tout utiliser un manuel comme dans un cours de langue traditionnel, ce n’est pas du tout adapté. Il faut accrocher, séduire, il faut leur faire comprendre l’utilité de cet apprentissage du français, que ce soit une démarche personnelle. »
Pouvoir se débrouiller seul, être autonome, se socialiser, voilà les premiers objectifs d’un cours de français langue étrangère. « Je pense qu’au départ, le but de nos cours, c’est de rendre les gens autonomes pour tout type de démarche. Quand ils ont fini ici, ils peuvent se débrouiller, aller à la commune, chez un médecin, prendre les transports en commun », souligne Carlos Pires, formateur depuis 20 ans au Piment.
Comme sa collègue Barbara, il partage ce même constat : trop de gens restent sur le carreau, faute de place. Toute l’année, il a des demandes pour des cours de français. « J’ai vu la demande évoluer. Au départ, c’était surtout un public féminin, surtout composé de femmes mariées turques, et entre-temps, on voit là où il y a des problèmes dans le monde, car on a accueilli coup sur coup beaucoup de Chiliens, d’Asiatiques, d’Africains, et depuis peu, des Afghans, des Tchétchènes ou des Syriens », ajoute-t-il.
Un lieu de choc
« Un cours de FLE c’est d’abord un lieu de choc, souligne Gaëlle Coulanges, coordinatrice au sein du Pavillon2 à Auderghem. « C’est le but de notre travail de faciliter les rencontres entre des personnes d’origine ou de culture différentes. Cela crée parfois des tensions, mais c’est aussi un lieu de négociation pour travailler ensemble, les choses se passent dans la rencontre avec l’autre. » En quelques années, l’association a vu la demande augmenter. Chaque jour, l’asbl reçoit entre quatre et six demandes. « C’est une évolution de la région : la pauvreté se déplace. On le voit à Auderghem, les gens essaient de sortir de la ville. Puis, les structures traditionnelles sont saturées, et des petites associations comme nous prennent de plus en plus de place car la demande n’est pas du tout couverte », poursuit Martin Winance, coordinateur. Face à ces demandes, l’association a souhaité se professionnaliser en développant son offre de cours avec ses 14 bénévoles. En cinq ans, le Pavillon est passé d’un cours de FLE à trois cours aujourd’hui.
Autre exemple de cette explosion de la demande, celui du Comité général des Marolles3, l’asbl a mis en place des cours de FLE depuis 2008 en proposant deux cours le jour et un le soir. Auparavant, il n’y en avait pas du tout, l’association s’occupait uniquement des questions d’économie d’énergie ou de rénovation de biens. « On a accueilli des habitantes du quartier qui ne trouvaient pas de cours dans d’autres associations. Elles sont venues nous le demander, et on a mis en place les cours petit à petit », explique Charlotte Vanmaldegem, formatrice en FLE. Mais comme toutes les associations, le Comité général des Marolles se retrouve aujourd’hui aussi avec une liste d’attente. « On accueille beaucoup de primo-arrivants, des sans papiers aussi. On se retrouve avec des gens qui veulent des cours à tout prix car les CPAS obligent de plus en plus leurs bénéficiaires à suivre des cours de français. Mais l’offre n’est pas suffisante », déplore François Vanhaelen, formatrice en FLE.
3 000 personnes sur liste d’attente
Ce manque de place, c’est un constat que partagent les acteurs du secteur. L’asbl Lire et Écrire4 a mesuré l’ampleur du phénomène. Ainsi, entre 2009 et 2010, à Bruxelles, l’association comptait près de 8 000 personnes inscrites pour des cours alors que 3 000 restaient sur une liste d’attente. « Cela fait des années que nous dénonçons le fait que la demande de cours est largement excédentaire alors que l’offre est insuffisante à Bruxelles », dénonce Anne-Chantal Denis, coordinatrice générale de Lire et Écrire. En tant qu’opératrice, l’asbl assure aussi des formations en FLE pour les travailleurs du secteur, salariés ou bénévoles et vient en soutien dans une quarantaine d’associations avec lesquelles elle a des conventions.
« Ce qu’il faudrait, c’est une augmentation des places d’accueil, mais aussi une offre intensive en cours de FLE. Que ce soit en lien ou non avec l’activation des chômeurs. Car très souvent, l’offre varie entre quatre et huit heures par semaine dans une asbl pour un cours. C’est insuffisant car les personnes demandent davantage de temps de formation pour avancer plus rapidement », conclut la coordinatrice générale de Lire et Écrire.
- Le public est majoritairement composé de femmes
- Le public est principalement composé d’adultes (25-40 ans)
- Le public est composé, à près de 90 %, de personnes nées à l’étranger.
Parmi les plus de 110 000 primo-arrivants identifiés en RBC au 01/01/2010 :
- 25 450 sont issus de pays où le français est parlé
- • 71 600 sont issus de pays où le français n’est pas parlé (dont 21 100 issus de l’UE15 ; 27 300 issus de l’UE12 ; 23 200 issus de pays tiers)
- 12 800 sont issus de pays du Maghreb (dont une partie seulement peut être considérée comme parlant français)
Sources :
Rapport d’évaluation 2012 du CRAcs-CBAI (Centre Régional d’Appui à la Cohésion sociale),
Alexandre Ansay, Maïté de Hemptinne, Jonathan Unger, Vanessa Vindreau.
État des lieux de la situation des primo-arrivants en Région de Bruxelles-Capitale, Alexandre Ansay (CBAI), Thierry Eggerickx (Démo-UCL), Elisabeth Martin
(Démo-UCL), Quentin Schoonvaere (Démo-UCL) et Jonathan Unger (CBAI).
1. Le Piment :
– adresse : rue de la Colonne, 56 à 1080 Molenbeek
– tél. : 02 218 27 29
2. Maison de Quartier « Le Pavillon » :
– adresse : rue de la Stratégie, 3 à 1160 Auderghem
– tél. : 02 733 66 58
3. Comité Général d’Action des Marolles :
– adresse : rue de la Prévoyance, 56 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 511 54 68
4. Lire et Écrire Bruxelles :
– adresse : rue de la Borne, 14 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 412 56 10