Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) de Goma est l’un des quatre plus importants au monde avec ceux de Bagdad, Kaboul et de Khartoum. Prosper Sebuhire y est le responsable duBureau de rétablissement des liens familiaux, l’un des experts du « Tracing », ce programme qui permet de retrouver la trace des enfants ou parents séparés par laguerre ou les catastrophes naturelles.
Depuis 1994, Prosper Sebuhire n’a pas eu le temps de chômer, entre l’exode qui a suivi le génocide rwandais en 1994 (quasiment la moitié de la population rwandaise avait fuidans les pays limitrophes, et principalement en RDC), les déplacements de populations suite à la « libération » du Congo en 1996 et les différentesrebellions, des milliers de dossiers de familles séparées ont dû être traités. Les demandes de recherches viennent du monde entier : d’Europe, desÉtats-Unis, d’Australie… « On ne sait pas comment ils sont arrivés là, mais il y a même des Congolais qui se sont retrouvés en Nouvelle-Zélande», assure Prosper Sebuhire.
Des enfants sont ainsi séparés de leurs parents par des milliers de kilomètres et s’il n’y a pas toujours volonté de revenir dans le pays d’origine, il y a au moins unetrès forte envie d’avoir des nouvelles. « Ce sont en général des parents qui contactent la société nationale (Croissant-Rouge ou Croix-Rouge) du pays tierspour avoir des nouvelles de leur famille restée au pays mais aussi pour rassurer sur leur sort d’exilé. Le procédé est simple et existe depuis plus d’unsiècle : une lettre ouverte, appelée Message Croix-Rouge, ne contenant que des nouvelles familiales. Rien qu’entre 1998 et 2003, au plus fort des tensions en RDC, ce ne sont pas moinsde 1 338 000 messages Croix-Rouge qui ont été échangés entre civils congolais à travers le monde ! Sur la même période, le CICR a enregistréplus de 6 000 enfants séparés de leur famille et permis les retrouvailles pour une grande partie d’entre eux.
Selon Prosper, « pour le CICR, statutairement, c’est l’enfant qui devrait rejoindre ses parents. Quand il en fait la demande, on peut l’aider à rejoindre sa famille dans le cadred’un regroupement familial ». S’installer en Europe ou aux États-Unis, c’est le rêve de la majorité des gens dans des pays qui connaissent des guerres ou destraumatismes. Émilie Welam, déléguée CICR en charge du service de rétablissement des liens familiaux précise : « Ce qui caractérise par dessustout le CICR, c’est sa neutralité. Nous devons essayer de travailler sans tenir compte des politiques d’asile particulières à chaque pays. Notre seule et uniquepréoccupation, ce sont les besoins humains et l’intérêt supérieur de l’enfant. On ne catégorise pas les gens. Qu’ils soient réfugiés,déplacés, résidents, ex-enfants soldats, tout le monde peut passer par nos services, nous sommes là pour leur permettre de rétablir le contact. Déterminerqui a le droit au statut de réfugié, c’est l’affaire d’autres organismes et des gouvernements. »
Le travail de l’Agence de recherches du CICR consiste donc avant tout dans le rétablissement des liens familiaux, ce qui ne signifie pas de facto la réunification familiale.Ainsi, actuellement, le CICR Goma a reçu des demandes pour 179 enfants congolais réfugiés en Ouganda, dans les camps de Kyangwali, Kyaka et Nakivale. « Ce n’est pastoujours simple de réunifier, même si on trouve les parents. Certains enfants ne transmettent pas tout de suite les bonnes informations ou bien ils se laissent convaincre par les rumeursinquiétantes colportées par les nouveaux arrivés dans les camps. Parfois, ce sont les parents qui freinent. Ainsi, nous avions retrouvé une maman pour l’un de ces enfants,mais elle a refusé qu’il revienne au Congo, préférant qu’il tente sa chance comme réfugié en Europe », poursuit Émilie. Entre juillet et novembre 2009,32 enfants non accompagnés ont tout de même quitté les camps ougandais pour revenir dans leur famille au Congo, avec l’aide du CICR. Et ce 10 décembre, 17 autresactuellement en Ouganda pourront être réunifiés à leur famille au Congo. « Les réunifications ne sont possibles que lorsque la sécurité estrétablie dans la région. On ne va pas faire revenir un enfant si on estime qu’il court un danger ! Mais nous ne pouvons pas trop faire traîner les choses non plus : certainsenfants sont dans ces camps depuis plus d’un an. »
Photo tracing, radio tracing… et persévérance
La situation est encore beaucoup plus complexe lorsque les enfants sont orphelins ou s’ils étaient trop jeunes au moment de la séparation d’avec leurs parents pour se souvenir desnoms et des lieux. « Nous vivons par exemple toujours les conséquences du génocide rwandais. Certains des enfants non accompagnés rwandais dont nous cherchons les famillesaujourd’hui étaient tout juste bébés en 1994. Pour ces enfants qui ne connaissent pas leurs origines, on utilise le radio « Tracing » ou alors pour des cas plusrécents le photo « Tracing », un système de recherches basé sur des affiches où sont imprimés les portraits de ces enfants non accompagnés.Quinze ans après la fin de la guerre, des centaines d’enfants rwandais recherchent toujours leurs parents. « Nous avons encore 421 dossiers en attente de nouvelles. Cela prend dutemps car on travaille aussi avec des méthodes d’écoute active », confirme Dan Rukeba, du service Tracing à Kigali. « La politique gouvernementale aété de placer ces enfants non accompagnés dans des familles adoptives, mais il y a eu des rejets, leur situation est souvent très dure. Nous faisons le maximum pourretrouver les familles, mais plus les années passent, plus c’est compliqué. » Des réunifications transfrontalières entre la RD Congo, le Rwanda ou encore leBurundi ont tout de même eu lieu depuis le début de cette année, signe qu’il y a encore un espoir de retrouver des membres de famille de ces enfants séparés delongue date.
Si à Kigali les effectifs ont sensiblement diminué avec les années, le service de recherche du CICR de Goma dispose encore d’une équipe de neuf personneset près de 65 volontaires sur le terrain, répartis dans vingt antennes. Elle travaille aussi avec cinq radios locales pour le « radio tracing », dispose de deux avions etassure deux liaisons hebdomadaires entre Goma et Kinshasa pour réunir les familles.
À la mi-novembre, le CICR de Goma avait encore 775 dossiers en cours. Environ 300 enfants non accompagnés et enfants sortis des forces et groupes armés ont pu retrouver leurfamille depuis le début de l’année. Des chiffres qui ne sont guère en baisse. « Quand la paix s’installe dans un pays, que l’on sort de crise, le CICR peut céder saplace aux sociétés nationales », explique Prosper Sebuhire. Un passage de témoin qui n’est pas encore à
l’ordre du jour pour Goma.
Les méthodes
Pour rétablir les liens familiaux en zones de conflit où le plus souvent, les moyens de communication traditionnels ne fonctionnent plus, le CICR dispose de milliers decollaborateurs basés à Genève, dans les zones de conflits et des relais dans les services de recherche des sociétés nationales de la Croix-Rouge et duCroissant-Rouge. Les méthodes utilisées :
• Mise en place d’un réseau de communication Croix-Rouge/Croissant-Rouge (messages Croix-Rouge, téléphone, radiodiffusion et internet via le site « Rétablir lesliens familiaux ») : www.croix-rouge.be
• Recueil des informations sur diverses catégories de victimes de conflits armés et de la violence interne.
• Recherche active d’informations sur des personnes dont on est sans nouvelles et dont les familles ignorent le sort.
• Médiation basée sur la neutralité entre les familles et les parties à un conflit pour savoir ce qu’il est advenu des personnes portées disparues.
• Organisation ou facilitation du regroupement des familles.
• Émission de titres de voyages du CICR pour les personnes qui, à la suite d’un conflit, se retrouvent sans papier d’identité.
Voir l’ensemble du dossier.