Réduire sa facture énergétique à quelques euros par mois ? Ce n’est plus une utopie mais le pari des constructions passives. Un pari que lessociétés de logements sociaux commencent, tout doucement, à adopter.
Réaliser des économies de manière intelligente : voilà, très simplement résumé, l’objectif de la construction basse énergie ou mieuxencore, de la construction passive. Intelligente car il s’agit non seulement de réduire la facture énergétique mais aussi de préserver l’environnement,certaines constructions – dites « neutres en carbone » – parvenant en effet à un standard « zéro émission de CO2 ». S’il fallaitcomparer ce qui n’est pas comparable, on pourrait estimer que l’amélioration des comportements (diminution de la température de 1° C, utilisation de rideaux plusépais, coupure du chauffage pendant la nuit, etc.) permet de diminuer sa facture d’une dizaine de pour cent1 tout au plus, alors que les économies engendrées parune rénovation basse énergie ou passive de son logement, peuvent atteindre plus de 90%.
Si les normes actuelles en matière de construction imposent de tenir compte des coûts énergétiques de l’habitat en exigeant un coefficient d’isolationthermique précis, le K55, (voir encadré ci-dessous), il est possible et souhaitable – pour des raisons économiques autant qu’écologiques – d’allerbeaucoup plus loin. Le principe est enfantin : il consiste à réduire à néant les pertes de chaleur en chassant les ponts thermiques par une isolation exemplaire et leplacement de châssis hautement performants. Dans ces bâtiments à l’étanchéité optimale, il faut dès lors veiller au renouvellementmécanique de l’air, sans perte de chaleur, par l’installation d’un système de ventilation à double flux avec récupérateur de chaleur2.Enfantin, mais coûteux… Si ce type de constructions relève du bon sens, il reste encore difficile à mettre en œuvre pour les Sociétésimmobilières de service public (SISP) dont les réalités budgétaires ne s’accommodent pas toujours avec le long terme. À Mouscron, une société delogements a finalement renoncé à participer au projet Elea3 prévoyant la construction de trente-quatre logements durables (en K27). « Il leur manquait 10% dubudget », regrette Magali Viane, responsable du projet. Un choix sans doute regrettable lorsqu’on étudie le retour sur investissement. Sans viser le passif à tout prix, lestandard « basse énergie » apporte déjà une réponse mesurable et rentable à moyen terme : en tenant compte du prix actuel du baril de pétrole, lesurcoût engendré par la construction serait récupérable en maximum dix ans. Rappelons, par ailleurs, que dans le nouveau contrat de gestion de la Sociétéwallonne du logement (SWL), le ministre wallon du Logement, André Antoine, a imposé que le gain de 6 % de baisse de TVA [de 12 % jusqu’ici] sur les travaux réalisés dansle secteur soit affecté à l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments. Il y aura donc des moyens supplémentaires.
L’AMO, un ami qui vous veut du bien
« Pour chaque investissement dans de l’économie d’énergie, il est possible de calculer un temps de retour, mais cela demande de tenir compte d’unesérie de facteurs fluctuants, comme l’augmentation du coût de l’énergie ou l’inflation, et de paramètres inhérents au projet, comme les primes etsubsides différents d’une région à l’autre », explique Eric Myngheer, responsable de la cellule Aide à la maîtrise de l’ouvrage (AMO) de laSociété du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB)4. Si l’on ajoute que les primes peuvent fluctuer entre le début du projet et l’appeld’offres, la prévisibilité s’en trouve encore réduite. Et il y a fort à parier qu’avec une législation de plus en plus contraignante pour lesmaîtres d’ouvrage, le montant des primes incitatives ira plutôt à la baisse. Pourtant, Eric Myngheer reste convaincu de l’utilité de passer rapidement au basseénergie ou au passif. « Aujourd’hui, investir dans du durable peut être rentable dès cinq ans. Mais il faut pouvoir sortir les fonds, ce qui reste impossible pour lespersonnes à faibles revenus. Il n’y a pourtant pas d’autre choix : si rien n’est fait, d’ici dix à quinze ans, les ménages les plus précaires neseront plus en mesure de payer leur facture énergétique. Aujourd’hui déjà, il arrive fréquemment que les charges dépassent le coût du loyer, dansles logements sociaux. » Le rôle de l’AMO est donc de sensibiliser les gérants des SISP à ce phénomène et de les encourager à penser «passif » plutôt que « basse énergie », « basse énergie » plutôt que « norme actuelle ». En clair : de minimiser dèsaujourd’hui les effets de la crise énergétique qui se profile dans le logement social.
Le Foyer jettois, un projet exemplaire
À Bruxelles, le Foyer jettois a bien pris la mesure des enjeux et s’est résolument engagé sur la voie durable. Son objectif peut paraître ambitieux : convertir lamoitié de son patrimoine immobilier en logements basse énergie d’ici 2012. « Pour les bâtiments existants, il faut isoler en renforçant l’enveloppeextérieure, au niveau des façades et du toit et remplacer les châssis. On peut atteindre un niveau de basse énergie en rénovation mais pas le passif, ce seraitbeaucoup trop lourd. Non seulement sur le plan financier mais aussi pratiquement : une rénovation passive demanderait en effet de reloger tous les locataires durant la durée des travaux», explique Jean T’Kint, directeur-gérant du Foyer jettois.
Pour ce qui est des nouvelles constructions, le Foyer n’a en revanche pas bridé ses ambitions. « Nous avions un terrain au n° 42 de la rue Loossens et un budget de 500 000euros dans le cadre du plan quadriennal d’investissement. Nous avons donc lancé un appel à projets exemplaires », poursuit Jean T’Kint. Au final, le projet aété primé par Bruxelles Environnement-IBGE et a reçu des subsides supplémentaires qui ont encore fait diminuer la facture globale. Car les logements seront nonseulement passifs mais aussi autonomes en énergie (ou « neutres en carbone ») grâce aux placements de panneaux solaires thermiques et à des panneauxphotovoltaïques pour couvrir les besoins en électricité. Si cela ne devait pas suffire – ce qui est peu probable – une chau
dière à pellets modulable vientcompléter le dispositif. Au final, ce sont deux duplex de quatre et cinq chambres sur un total de 320 m2 qui seront construits sur le site pour un budget finalement inférieuraux prévisions (401 000 euros HTVA soit 1 256 euros/m2, primes déduites). Et surtout la garantie de factures minimalistes pour les familles qui bénéficieront deces logements hyperperformants.
« Bien sûr, on arrive à un coût relativement élevé au m2 pour du logement social, mais cela est essentiellement dû à la taille dubâtiment et au petit nombre de logements et non au caractère passif de la construction », précise encore le directeur. Ce surcoût aura-t-il un impact sur les loyersdemandés ? Oui et non. Oui parce que les sociétés de logement sont obligées de tenir compte des coûts de construction et de rénovation pour établir leloyer de base. Celui-ci devrait donc augmenter en proportion. Mais le loyer réel demandé étant pondéré en fonction des revenus des locataires, la plupartd’entre eux ne devraient pas ressentir les effets d’une rénovation de leur logement… si ce n’est sur leur facture de chauffage qui, elle, diminuera sans conteste.
Construire durable pour répondre à la précarité
La SWL planche actuellement sur les derniers alinéas d’une circulaire sur les critères de durabilité à respecter dans les logements sociaux. Attendue pour le moisd’avril, la circulaire s’imposera aux architectes pour tout projet de construction et de rénovation. Actuellement, les efforts ont été très pragmatiques etessentiellement concentrés sur l’enveloppe des constructions plutôt que sur l’apport de nouvelles technologies pour augmenter la performance des nouveaux bâtiments.Mais entre le moment où les appels d’offres ont été lancés, celui où les marchés ont été attribués et, in fine, ledébut des chantiers, les exigences environnementales se sont accrues.
« Les projets actuels ont été conçus sur la base de la norme K55 alors que nous voudrions aller le plus possible vers du basse énergie. Le projet ayantchangé en cours de route, le surcoût est plus important puisque les entreprises n’étaient alors plus soumises à concurrence », expliqueMarie-Thérèse Gaspart, chef du projet « Habiter malin, charges en moins ».
La circulaire devrait permettre de résoudre l’écueil très rapidement. En attendant, une cinquantaine de nouveaux logements devraient néanmoins atteindre desperformances proches du K40. La SWL a chiffré le surplus avec précision. « Pour un logement trois chambres de 80 m2 habitable, 110 m2 chauffés, lepassage d’un K55 à K45 est chiffré à 4 000 euros, investis dans une amélioration de la qualité des châssis et de l’isolation des murs. Pour lepassage d’un K55 à un K35, l’estimation du surcoût a été chiffrée à 6 600 euros. » La première option induit une baisse de laconsommation de chauffage de 30%, la seconde de 50%. Si l’on considère la facture moyenne de chauffage des ménages wallons en 2007 (1 350 euros) et en supposant qu’ellecorresponde à une habitation K55, l’économie est d’environ 400 euros par an dans le premier cas, et de 675 dans le second, nonobstant l’évolution descoûts énergétiques. Le délai de retour sur investissement, dans un cas comme dans l’autre, est donc d’environ dix ans au maximum et concerne desaméliorations pérennes.
« Mais ce sont des estimations théoriques », insiste Marie-Thérèse Gaspart. « Dans le logement social, la plupart des locataires ont tendance àlimiter eux-mêmes leur consommation d’énergie. On peut donc estimer que leur facture ne va pas diminuer de manière aussi importante mais qu’en revanche, leur confortde vie va augmenter. » Ce qui, en soi, est aussi une bonne nouvelle.
Basse énergie, maison passive, construction standard…
… Autant de concepts qui se mesurent au même référent : le coefficient d’isolation thermique, symbolisé par la lettre K. Actuellement, la norme en vigueur pourles nouvelles constructions impose un K55, ce qui est équivalent à une consommation estimée de 13 litres de mazout/m2 par an… soit la moitié de laconsommation moyenne d’une construction standard, puisque le bâti en Belgique atteint un niveau moyen estimé entre K80 et K100, soit de 25 à 35 litres demazout/m2/an. Lorsqu’il s’agit de rénovation d’envergure, la norme vise un K65. Le standard « basse énergie » va plus loin et correspondà un K35 (soit de 6 à 9 litres de mazout/m2/an) et le label « maison passive » peut être attribué en dessous du K15 (de 1,5 à 3 litres demazout/m2/an). Concrètement, cela signifie que l’économie d’énergie d’une construction standard à une construction passive avoisine les 90%.Les surcoûts engendrés par une construction passive, par rapport aux normes actuelles (K55) sont estimés à 10-15%. En rénovation, le coût est beaucoup plusdifficile à estimer, puisqu’il dépend de la situation existante.
Au-delà de la construction passive, il existe des constructions dites « neutres en carbone », qui font appel à des technologies plus poussées : l’apporténergétique est alors exclusivement lié à des énergies renouvelables grâce à des panneaux solaires ou des cellules photovoltaïques, par exemple.Dans ce type de construction, l’installation d’une chaudière devient superflue et le solde énergétique peut très bien être positif : la maison produitalors plus d’énergie qu’elle n’en a besoin.
La Cité de l’île aux oiseaux
Projet qui se veut exemplaire, le Partenariat public privé (PPP) de l’île aux oiseaux à Mons a intégré une série de préoccupations «durables » : mixité sociale et générationnelle, zones piétonnes, espaces verts, proximité immédiate des facilités (commerces, transports encommun, écoles) et performance énergétique des bâtiments. Pratiquement, il prévoit la construction de 343 logements durables dont 185 logements sociaux. Au total,vingt maisons (trois en location, dix-sept à la vente) seront construites en passif, promettant une facture de chauffage d’une vingtaine d’euros… par an. Les 165 logementsrestants, maisons et appartements, respecteront les critères de basse énergie (K30). À l’origine, 20% des logements sociaux devaient être construits en passif, unobjectif modeste encore revu à la baisse, pour des raisons de coûts. Une décision que d’aucuns regretteront, même si, en l
’état, le projet resteremarquable sur bien des points.
Les projets du Fonds du logement wallon
Depuis plusieurs années, la réflexion est en cours sur le développement durable et l’efficience énergétique des logements au Fonds du logementwallon5. Quelques projets ont déjà été concrétisés. Le premier du genre a vu le jour à Sainte-Ode, dans l’entité de Houmont, en2004. Plus récemment, en novembre 2007, il a inauguré huit logements à Fosses-la-Ville. Issu de la reconversion d’une ancienne brasserie, la spécificité de cedernier projet tient dans les choix architecturaux en matière d’énergie et de développement durable : utilisation de poêles à pellets pour chauffer leslogements, chauffe-eau à énergie solaire, isolation à base de cellulose, etc. « Nous avons un auditeur énergétique attaché au Fonds, explique AnneQuévit, directrice des études au Fonds. Nos architectes se rencontrent aussi pour réfléchir à la manière de concevoir des logements moins énergivores.Nous faisons appel à leur créativité pour atteindre le niveau d’efficience énergétique le plus élevé qui soit, plutôt que de leur imposerd’utiliser tel ou tel matériau. »
1. Depuis trois ans, Bruxelles Environnement-IBGE a mis au point le « Défi énergie » pour encourager les ménages à diminuer leur factureénergétique grâce à des gestes simples, « sans perte de confort ni investissement ». Les ménages ayant participé à l’éditionprécédente ont réduit leur consommation de 20% en moyenne, représentant une diminution de leur facture de 400 euros/an. Les conseils concernent aussi bien le logement queles transports. Infos sur http://www.defi-energie.be
2. En été, le principe est évidemment inverse. L’isolation et la qualité des vitrages permettent de préserver une température ambiante fraîchesans avoir recours à un système d’air conditionné. Pour plus de précisions sur les techniques employées dans les maisons passives, consulter : http://www.maisonpassive.be
3. Le projet Elea consiste en un lotissement bioclimatique à vocation sociale et un pavillon d’accueil faisant office de pôle de technologie wallon en bioconstruction,situés à Mouscron. La ville vient de lancer l’appel d’offres. Pour tout renseignement :
Ville de Mouscron, Cellule Environnement :
– adresse : rue de la Vellerie, 133 à 7700 Mouscron
– tél. : 056 860 150
– site : www.lanaturemamaison.be
4. La Société du logement de Bruxelles-Capitale (SLRB) a la tutelle sur les SISP qui gèrent un parc de 38 000 logements à Bruxelles. Créée en 2006, lacellule AMO a essentiellement un rôle de conseil auprès des gérants et des directeurs techniques afin d’améliorer la qualité du bâti (rénovationset constructions), notamment en matière de performance énergétique.
SLRB :
– adresse : rue Jourdan, 45-55 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 533 19 11
– courriel : slrb@slrb.irisnet.be
– site : www.slrb.irisnet.be
5. Fonds du logement wallon :
– adresse : rue de Brabant, 1 à 6000 Charleroi
– tél. : 071 20 77 11
– courriel : contact@flw.be
– site : www.flw.be