Dans son rapport bisannuel, le Service de Lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale1 épingle deux thématiques. Outre lesperspectives pour les jeunes au sortir des institutions d’Aide à la jeunesse, le droit au logement y est passé au crible.
Consacré par l’article 23 de la Constitution, le droit au logement n’est pourtant pas une réalité pour tous. « Disposer d’un logement où l’on se sent chezsoi est un élément constitutif d’une vie digne », entame Françoise De Boe, coordinatrice du Service Pauvreté. Et pourtant, « la crise est de plus enplus grave », poursuit-elle, soulevant tout de go le principal manquement : l’offre de logements décents et financièrement abordables. Les bas revenus sont dèslors les principaux touchés. « Il existe d’importantes inégalités quant à l’accès au logement », constatent les chercheurs. Même si lenombre de propriétaires est élevé en Belgique (70 %, toutes régions confondues), force est de constater que les plus bas revenus sont exclus de ce marché.
Le Logement en quelques chiffres
La proportion de propriétaires en Belgique est élevée en comparaison à d’autres pays. Cependant, elle varie en fonction des régions et des revenus. En Flandre,74,4 % des ménages sont propriétaires. En Région wallonne, ils sont 70 % alors qu’à Bruxelles (RBC), on n’en dénombre plus que 40 %. Ce faible tauxs’explique par la plus forte proportion des bas revenus dans la région capitale. Le risque de pauvreté des locataires (29,5 %) est environ trois fois supérieur àcelui des propriétaires (9,1 %). A noter que la situation des locataires est plus mauvaise en Wallonie (34,1 %) qu’en Flandre (22 %). A titre d’indication, 14,6 % dela population belge (soit environ 1 personne sur 7) connaissaient en 2009 un risque accru de pauvreté.
Incapables de franchir le pas de l’accès à la propriété, ces derniers se retrouvent donc sur le marché locatif et « consacrent une part substantiellede leur budget au logement (30 %) ». Ils sont, là encore, confrontés à de nombreux obstacles. Outre le prix élevé des biens, il existe une« pénurie importante » de logements sociaux. Les délais d’attente pour en bénéficier sont par ailleurs « extrêmementlongs », l’accès étant semé d’embûches et de conditions préalables. Les chiffres sont éloquents ; on dénombrait en Régionwallonne, fin 2009, 100 079 entités. Fin 2010, plus de 32 000 personnes étaient inscrites sur des listes d’attente. En Région de Bruxelles-Capitale, pour les dateséquivalentes, la Région disposait de 39 076 logements sociaux alors que presque autant de ménages remplissaient les listes d’attentes.
« Les personnes qui ne peuvent se permettre d’acheter une maison ne reçoivent pas suffisamment d’attention », peut-on lire dans le rapport. Outre les discriminations« basées sur la couleur de peau, l’origine ou encore le revenu » du locataire, qui affectent l’accès au marché (location, rénovation, construction),les conséquences issues de ces états de fait sont parfois dramatiques : endettement et expulsions sont légion.
Constat fait, deux pistes sont explorées par le rapport. L’une à court terme : que faire pour pallier les manques existants ? L’autre vise le long terme : commentéviter que les erreurs se reproduisent et s’amplifient ?
Des communes à l’amende
Jean-Marc Nollet (Ecolo), ministre wallon du Logement, s’est attelé à une réforme du Code wallon du logement qui verra intervenir la Société wallonne du logementet/ou les pouvoirs publics, principalement lors de relogements. « La Région wallonne s’est ainsi fixé pour objectif à long terme d’arriver à 20 % delogements au loyer conventionné » (public ou subventionné). « Nous voulons aller un cran plus loin : au-delà des incitants, les sanctions »,prévient Jean-Marc Nollet. « Cette réforme prévoit de sanctionner les communes qui ne font pas d’effort significatif pour atteindre le seuil [NDLR 10 % dans lenouveau décret] », précise-t-on au cabinet du ministre.
Le Code wallon du Logement réformé
99 mesures étaient sujettes à révision, la plupart d’entre elles concernant le logement public. Outre les sanctions, le ministre du Logement veut attirer davantage de revenusmoyens dans un secteur public caractérisé par une population très précarisée et ainsi éviter la formation de ghettos en périphérie des villes.Élargir le public aux dépens des plus défavorisés ? Non, le gouvernement wallon compte sur l’augmentation de l’offre en créant 7000 logements d’ici 2014. Parailleurs, « la gestion de logements privés par des sociétés de logements ou des agences immobilières sociales permettrait de réguler lesloyers », affirme Jean-Marc Nollet. « Cette offre permettrait alors d’accueillir les revenus moyens sans porter préjudice aux revenus modestes etprécaires ». Autre pan du décret : un référent social devra être présent dans chacune des 68 sociétés locales de logement. Desobjectifs seront également fixés en termes de logements de transit. L’examen de la réforme se poursuivra en Commission (lire dans ce numéro : « Laréforme du logement wallon au Parlement »).
La Flandre aussi manie la carotte et le bâton. « La décence passe par l’accès au logement. Dès lors, chaque commune doit proposer des logements sociaux souspeine de sanctions », explique le cabinet de Freya Van den Bossche (SP.A). La Région de Bruxelles-Capitale prévoit pour sa part de construire 5 000 nouveaux logements,sociaux et destinés aux moyens revenus.
Eliane Tillieux (PS), ministre wallonne de l’Action sociale, pointe le besoin de qualité. Dans de nombreux cas, les logements mis en location sont « de piètrequalité » et insalubres, estime le rapport. Cela a par ailleurs un impact important sur les consommations d’énergie et d’eau pour ces familles manquant déjà derevenus.
Reconnaissance et soutien de l’habitat alternatif
Les habitations « classiques », publiques et du parc social, ne permettant pas de garantir l’accès pour tous au logement, certains se replient sur des formesalternatives d’habitat (campings permanents, habitats solidaires, occupation d’immeubles vides, rénovations collectives, etc.). Cependant, de nombreux obstacles se dressent sur la route deceux qui font ce choix.
Les recommandations à cet égard sont dès lors dépourvues d’ambage
s : « Il convient d’élargir et de reconnaître le concept de logementà ces formes alternatives, de lever certains obstacles existants ». « La reconnaissance des logements alternatifs, et leur soutien, constitue une solution à courtterme », précise toutefois Françoise De Boe, qui n’y voit pas une solution structurelle à la problématique du logement.
Cette demande persistante semble avoir été entendue par les pouvoirs publics. « Des mesures alternatives sont envisagées, comme les habitats groupés pourpersonnes handicapées et les habitats alternatifs pour personnes âgées », se défend-on au cabinet du ministre wallon du Logement. Un Plan Habitat permanent,piloté par Eliane Tillieux, est également sur les rails et vise à reconvertir certaines zones en zone d’habitation.
Inverser la logique
A l’instar de ce qui se fait en France, en Écosse et à certains égards en Flandre, il faut, soutient Françoise De Boe, instaurer une obligation de résultat,ancrée dans la loi, afin « d’encourager et de contraindre les pouvoirs publics », justifie-t-elle. Dès lors, « il convient d’inverser la logique.L’accès au logement doit être le point de départ de décisions politiques et non sa conséquence possible », conseille le rapport. « Cela peutamener les autorités à adopter des mesures structurelles plus ambitieuses pour développer l’offre locative et combler certaines lacunes », note Françoise DeBoe. Si toutefois une telle mesure était adoptée, le doute plane encore sur l’autorité responsable et les moyens qui lui seraient alloués.
A la lumière du rapport, le constat est clair : le besoin de logements supplémentaires est indéniable. Dès lors, « nous ne recommandons pas lessanctions mais, par ces recommandations, nous voulons avant tout stimuler l’offre de logements décents et financièrement abordables », résume Françoise De Boe.Et de conclure par une évidence : « Le droit à l’enseignement est acquis et reconnu pour tous. Pourquoi pas le droit au logement ? »,s’étonne-t-elle.
Le rapport, s’il n’a pas pour vocation d’apporter des solutions toutes faites aux pouvoirs publics, lance des pistes d’action et d’étude, et jette des bases de discussions quis’avéreront bien utiles en ce moment charnière de régionalisation.
1. Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale :
– adresse : rue Royale, 138, à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 212 30 00
– courriel : luttepauvrete@cntr.be
– site : www.luttepauvrete.be