À l’approche des vacances d’été, mois où se concentrent bien souvent les mariages forcés, deux campagnes viennent d’être lancées :l’une, belge, initiée par la Fondation Roi Baudouin ; l’autre, européenne, par Spior et la municipalité de Rotterdam, en collaboration avec Tariq Ramadan et lecollectif European Muslim Network.
D’ici quelques semaines, de très nombreux jeunes partiront à nouveau en vacances vers le pays d’origine de leur famille, en particulier vers le Maroc ou la Turquie. Etcertains d’entre eux se marieront sur place avec un partenaire, qui viendra ensuite en Belgique dans le cadre du regroupement familial.
La plupart de ces mariages sont heureux et ne relèvent pas des mariages forcés. Mais le fait est avéré que de nombreux jeunes sont embarqués dans le mariage sousla pression de leur famille, sans que ce soit vraiment un choix personnel, un mariage souvent inattendu et contracté à la hâte, dans l’euphorie des vacances, avec unéventail de conséquences négatives tant pour les partenaires eux-mêmes que, plus tard, pour leurs enfants.
« Parce que l’on considère avant tout que le mariage relève de la vie privée, explique la Fondation Roi Baudouin, ce phénomène n’est jamais outrès rarement appréhendé comme ce qu’il est en réalité : un défi pour la société qui demande une approche collective. »
Brochure et ateliers
La Fondation travaille depuis 2004 sur le thème « Mariage et migrations ». Elle a conclu en 2007 un partenariat avec Christian Dupont (PS), à l’époqueministre fédéral en charge de l’Intégration sociale et de l’Égalité des chances. La Fondation a fait appel à l’expertise du Centre pourl’égalité des chances et la lutte contre le racisme pour les aspects juridiques ; pour leur expérience sur le terrain, elle s’est tournée vers le groupeSanté Josaphat du côté francophone et le Steunpunt Allochtone Meisjes en Vrouwen du côté néerlandophone.
La brochure Temps des vacances, temps de mariage ?1 est le résultat de ce partenariat. Elle doit aider à briser le tabou. Elle s’adresse directement auxjeunes de 15 à 18 ans. « Elle veut, dit la Fondation, les informer de leurs droits et de leurs devoirs. Sans les stigmatiser, sans exprimer de jugement de valeurs, elle entend lespousser à réfléchir et les encourager à prendre des décisions de façon autonome. » Au-delà de la problématique des mariagesforcés, la brochure se veut aussi un guide pratique pour les mariages mixtes. Les questions soulevées sont de tout ordre : Quelles sont les conditions pour se marier en Belgique, auMaroc, en Turquie ? Comment faire venir mon conjoint en Belgique ? Que faire en cas de mariage forcé ? Conseils pratiques, adresses utiles et extraits de loi ponctuent efficacement letexte.
La Fondation Roi Baudouin fait appel aux écoles, aux enseignants, aux acteurs de première ligne, aux associations, pour assurer la diffusion la plus large possible de cette brochureparmi les jeunes concernés, et pour l’utiliser comme un outil d’information, de discussion et de prévention.
Parallèlement à la diffusion électronique de cette brochure, la Fondation a confié aux deux associations citées l’organisation d’une séried’ateliers qui se déroulent tout au long du mois de mai dans six écoles-tests de Schaerbeek, Liège, Charleroi, Malines, Anvers et Gand. Objectif : évaluerl’impact de la brochure, identifier les attentes des jeunes et des travailleurs de première ligne, pour formuler – dès septembre 2008 – des recommandations àl’adresse du monde politique.
De Rotterdam à l’Europe
Dans le même temps et apparemment par pure coïncidence, le collectif European Muslim Network et son président, le médiatique Tariq Ramadan, ont sorti une campagneeuropéenne sur le même thème : « Main dans la main contre les mariages forcés ». L’initiative est issue cette fois du sérail musulman. En 2004,Spior (Stichting Platform Islamitische Organisaties Rijnmond)2, l’organisme qui chapeaute les associations musulmanes à Rotterdam aux Pays-Bas, lançait un projet pourlutter contre les mariages forcés. Tariq Ramadan, professeur suisse, d’origine égyptienne, invité de l’université Erasmus à Rotterdam, a fait remontercette initiative locale à un niveau européen.
Pour Tariq Ramadan, « un discours venant de l’intérieur d’une communauté porte beaucoup plus qu’une voix accusatrice extérieure. Certains musulmans confondent souventles pratiques culturelles avec les principes religieux, analyse-t-il, et pensent faussement que le mariage forcé, auquel ils ont été habitués dans leur culture (la cultureactuelle ou celle de leurs ancêtres) est en fait islamique. Les lectures littérale et culturelle du Coran et de la Sunna sont deux phénomènes dangereux car ils induisent enerreur les croyants et trahissent l’essence même de l’islam dans de nombreux domaines : disparités entre les sexes, droits de l’homme, systèmes politiques etbien évidemment, la famille, le mariage, etc. C’est donc au nom de l’islam que nous devons dénoncer le mariage forcé comme une pratique inacceptable. Nous devonslancer une vaste campagne de prise de conscience dans nos sociétés européennes (et ailleurs) pour mettre un terme à cette pratique. Le mariage forcé n’a rienà voir avec l’islam et doit être sévèrement condamné au nom même de l’islam ! »3
Le message est clair et s’appuie sur un livret édité par le Spior et traduit en six langues (anglais, français, allemand, italien, espagnol, turc et arabe). Ce documentsera distribué au Royaume-Uni, en Belgique, en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne. Il contient des informations sur l’origine culturelle des mariages forcés et sur larelation entre le mariage et le concept de « l’honneur ». La plaquette fournit également un plan d’action ainsi que des conseils pour déceler et prévenircette pratique. Spior « qui ne peut s’engager seul dans cette action, entend collaborer avec les organisations musulmanes et les autorités locales des pays cités».
À Bruxelles, le fascicule va être distribué au sein de la communauté musulmane. « Les différentes associations effectuaient depuis longtemps un excellenttravail sur le terrain, mais étaient souvent isolées », explique Malika Hamidi, coordinatrice européenne d’European Muslim Network. « Nous allons créer desespaces de rencontres et proposer le livre de Spior comme feuille de route de leurs initiatives. »
Spior et European Muslim Network présenteront leur campagne aux institutions européennes en juin.
1. La brochure existe en français et en néerlandais, mais dans un tirage limité (1 000 exemplaires dans chaque langue) – Centre de contact : 070 23 37 28.
On peut également la télécharger sur le site de la FRB.
2. Spior
– site : http://www.euromuslim.net
– contact : Marianne Vorthoren
• tél. : +31 (0)10 466 69 89
• courriel : m.vorthoren@spior.nl
3. Extrait du préambule de la seconde édition du livret, rédigé par Tariq Ramadan : http://www.tariqramadan.com/spip.php?article1459