Centre d’expression et de créativité, conventionné pour remplir des missions d’éducation permanente et organisme d’insertion socioprofessionnelle, leMiroir Vagabond, situé à Bourdon près de Marche-en-Famenne, couvre essentiellement le nord de la Province du Luxembourg avec les communes de Marche, Hotton, Rendeux et La Roche.Cette asbl, créée en 1995, lance et réussit le pari de développer l’axe social et l’axe culturel en région rurale. Entre 2001 et 2003,l’équipe passe de 7 à 15 travailleurs. Une vingtaine de bénévoles et une dizaine de professionnels vacataires renforcent l’équipe. L’asbl estsollicitée dans des projets pilotes et dans le conseil pour le statut et les contrats d’emploi des artistes et animateurs socioculturels. Le Miroir Vagabond propose des ateliersd’alphabétisation et d’expression par les langages artistiques. Et bien davantage. Il touche toutes les tranches d’âges, et toutes les populations, avec une attentionparticulière pour les personnes vivant des situations fragilisantes. Travailler au Miroir Vagabond, c’est un acte politique et un choix de vie.
L’association1 ancre ses actions dans le terreau d’un quartier immigré, à majorité turque. C’était en 1981, sous l’impulsiond’une jeune assistante sociale, Christine Mahy. Les enfants du coin adoptent la maison de quartier et l’appellent la Chenille. En 1984, celle-ci est constituée en asbl. À lacroisée de son chemin, une asbl de Durbuy conduite par l’artiste-peintre, Daniel Seret. Celui-ci voulait donner une dimension sociale à l’art et le pratiquer avec desnon-initiés. Les deux projets vont se lier. Pour trouver des fonds, c’est la débrouille et la galère, jusqu’en 1995. Une première reconnaissance parl’aide à la jeunesse génère la scission avec la Chenille, qui reste maison de quartier et la création de deux asbl : Le Miroir Vagabond, pour les adultes etMic-Ados, un service d’aide aux jeunes en milieu ouvert. Ce dernier est à l’origine d’un point relais Infor-Jeunes à Marche.
Hétérogénéité et transversalité « culture et social »
Ce qui anime l’association, explique Christine Mahy, c’est l’idée de participer à la vie locale et de la développer avec ses habitants. La question duterritoire nous intéresse par ce fait-là. Nous ne sommes pas délocalisables comme nous le voudrions dans la mesure où nos projets se construisent avec les ressources decette zone géographique, la manière dont les gens y vivent, s’y déplacent. Pour défendre cette option, le recours aux outils socioculturels, aux matièresartistiques, à la formation, le tout inscrit dans une dynamique collective, sur fond d’éducation permanente. C’est-à-dire le droit d’apprendre, de prendre part,de critiquer, d’avancer, de reculer, d’influencer les choses, de prendre la parole en public. Des actions qui visent à provoquer du changement, à modifier les rapportssociaux, à réduire les inégalités, à favoriser la participation et à en réapprendre les processus. Des acquis à répercuter dansd’autres lieux collectifs. Avec la conviction profonde que les langages artistiques influencent la vie en société et jouent un rôle dans son organisation au même titreque l’économique ou l’environnement. L’homme a besoin de se projeter dans une symbolique esthétique, considère Christine Mahy. Les publicitaires l’ontcompris. Pourtant les langages artistiques sont encore trop considérés comme accessoires.
L’hétérogénéité du monde rural est enrichissante. Il s’adresse à toutes les catégories sociales, y compris les habitants des campings,il implique les touristes. Il est ouvert sur le monde de par la présence de cinq centres de réfugiés. Respecter ce facteur de diversité est fondamental parce qu’ilva intervenir dans la manière de communiquer avec ces différents publics, au risque de stigmatiser les gens. La stratégie de communication est essentielle dans la réussitede la composition de nos groupes. Les enfants sont peu entendus par leurs parents, et encore moins dans les milieux défavorisés. Plus les gens vivent dans des milieux étroits,moins ils sont enclins à bouger. Alors, nous rencontrons les parents, nous nous engageons à véhiculer l’enfant pour que son souhait soit entendu et qu’il apprenneà grandir en réalisant ses projets, et non en les étouffant. Même si cela complique l’organisation matérielle. Cette relation à l’enfant faitpartie du travail. C’est notre manière de garantir à tous l’accès aux activités.
Quatre axes
Pas simple de classer les actions du Miroir Vagabond dans des catégories délimitées, tant celles-ci vivent à la fois par elles-mêmes et se croisent. Tant ellesmixent à certains moments les publics, et à d’autres les dissocient. Leur volonté : agir et construire en intersection.
Un premier axe : l’animation-création. Elle se pratique en petits groupes d’adultes, de jeunes ou d’enfants. La communication passe par des langages et formesd’expression diversifiés : l’écriture, la peinture, la fresque, la vidéo, le théâtre, parfois la danse et le cirque, la sculpture. Ces langagesartistiques permettent de réaliser une création collective, presque toujours rendue publique. « Notre conviction, enchaîne Christine Mahy, c’est que les processus decréation-animation et de travail collectif sont émancipateurs, libérateurs et participent à la construction de l’identité. L’étape fragile,souligne-t-elle, se situe dans le retour du public. Il est fréquent que dans des ateliers d’expression l’on s’émerveille devant tant d’audace às’exprimer. Evitons de se tromper de place, de mettre à égalité le travail d’expression et le travail de création et donc, de leurrer les gens. Expression etcréation peuvent co-exister. Toutefois, dire et se rendre compte de comment on dit est une chose. Regarder de plus près ce que l’on exprime pour y creuser une idée ets’engager dans un processus de création pour signifier quelque chose de particulier en est une autre. Travailler avec des artistes, ajoute Christine Mahy, c’est passer dans cettedeuxième phase. Sinon, c’est de l’instrumentalisation. Daniel accepte de faire des ateliers d’expression en peinture mais dans un projet de création, il demandera uneimplication dans la durée et plus d’exigence. Ce qui ramène au débat par rapport à la culture. Trop de décideurs politiques s’imaginent que la culturen’est pas un métier, que n’importe qui peut être animateur-artiste. Qui engagerait un cuisinier d’un snack pour travailler dans un grand restaurant gastronomique ? Lesartistes professionnels travaillent, cherchent, actualisent leurs savoirs. Et le Miroir veille à ce que leurs animateurs-artistes continuent à créer. »
L’inutilité utile
Dans l’axe formation-insertion, l’asbl propose des ateliers d’alphabétisation, de français langue étrangère, de prise de parole. La formation secompose de tables de conversation, d’ateliers d’écriture, de théâtre et de peinture-sculpture. Des visites culturelles complètent le programme. Hormis lethéâtre et les arts plastiques, la formation se déroule au sein de la bibliothèque. La représentation symbolique du lieu influence la manière dont les gensvont apprendre, commente la responsable de l’asbl. La bibliothèque est un lieu où on se cultive. S’y rendre est un premier pas qui réduit la faille. Les participantss’étonnent du temps que nous prenons pour eux. Dans les milieux fragilisés, les problèmes socio-économiques prennent toute la place. Ce que nous leur proposons,c’est une poche de respiration, du temps pour des projets « gratuits ». Cessons de justifier ce qui est utile. « L’inutilité utile » permet aux personnes detrouver l’énergie pour relativiser un problème ou le prendre à bras-le-corps pour le régler ! Autre aspect, des formations à l’animation-créations’adressent en priorité à des personnes en recherche d’emploi, mais pas uniquement, dans le milieu artistique. Une première session en 2002 a permis de former douzeanimateurs dans le champ des arts plastiques. Cette année est consacrée au théâtre. Le Miroir s’associe à deux troupes de théâtre, l’une ducru, le Théâtre des Travaux et des Jours, l’autre parisienne, le Théâtre du Fil, qui dispose d’une longue pratique dans le théâtre école.Leur force est de travailler sur la symbolique du mot, du rythme, apprécie Christine. Une approche qui permet d’intégrer des personnes étrangères dans le groupe.Dans le cadre de leur politique pour la jeunesse, le Miroir organise une formation de base d’animateurs de groupes d’enfants.
Mais aussi des projets transversaix
Des projets d’éducation permanente spécifiques et divers événements fédérateurs sont organisés, traversant les différents axes et avecun souci particulier pour les jeunes. Un collectif d’artistes retrace, en une fresque murale, l’histoire de Théroigne de Méricourt, pionnière et martyr duféminisme à l’heure de la révolution française. Un point de départ pour des réflexions sur la place de la femme, la situation des conjointesd’agriculteurs, la prise de décision collective. La première étape d’un futur circuit de fresques. La parade des Lanternes, en juillet 2001. Le festival de rue« Bitume », en 2002. Cet été, une vingtaine d’animateurs et artistes du Théâtre du Fil et du Miroir vont préparer un spectacle durant deux semainesavec quatre groupes en parallèle : des candidats d’un centre de réfugiés, des habitants de camping, des participants aux ateliers du Miroir, des enfants. Un défià relever, s’exclame Christine. Nous ne savons pas du tout ce que cela va donner. Autre exemple : l’exposition de Daniel Seret à partir de textes du poète allemandHölderlin. Une exposition pointue qui a atteint plusieurs objectifs : permettre la recherche artistique du peintre, effectuer la jonction entre la création contemporaine et le milieurural, sensibiliser les enfants à la poésie et à la philosophie, proposer une conférence sur l’époque romantique. Quatre associations locales ont tenu leurréunion dans la galerie. Des habitants des campings et d’autres groupes dits « éloignés » de la culture ont vu l’exposition. C’est l’effet decroisement des projets que nous recherchons, confie Christine Mahy.
Les projets de sensibilisation et de développement communautaire liés aux réalités de l’immigration, des résidences dans les campings, des jeunes en« rupture » revêtent un grande importance pour l’association. Ils s’inscrivent dans l’axe du développement du lien social local intégré. Desprojets qui se déroulent dans les campings, les centres d’accueil pour demandeurs d’asile, dans les quartiers d’habitations sociales, et en dehors. Des compétencespour un travail socioculturel de proximité avec des personnes précarisées, qui leur sont reconnues par la Région wallonne.
L’action camping
Dans le cadre du Plan d’action pluriannuel relatif à l’habitat permanent dans les équipements touristiques (plan HP)2, le Miroir Vagabond est chargé par le cabinetdes Affaires sociales de développer leur approche des personnes vivant dans des campings dans la vallée de l’Ourthe-Amblève. Une région qui a fait l’objetd’une recherche-action issue de l’Action pilote intégrée camping (APIC)3. Au-delà du cadastre, restait à entrer en relation avec ces familles de ferrailleurs,pour beaucoup d’entre elles. Un échec. Une occasion, explique Christine Mahy, d’éprouver notre pratique en un autre lieu. L’objectif pour fin février 2004 :retirer des éléments méthodologiques sur la manière de communiquer avec ce public. Pour nous, le camping est un quartier comme un autre. Pour les enfants, c’estdifficile de vivre dans ces conditions matérielles et d’assumer l’image extérieure. Le Miroir possède une caravane. Une reconnaissance de leur habitat qui obligeà jongler avec l’exiguïté, les contraintes sanitaires. Nous apprenons ainsi la manière dont ces habitants construisent leurs règles pour gérer leurespace-temps. Un groupe de femmes se réunit une fois par semaine autour d’un petit déjeuner. Ces femmes, qui n’avaient du temps pour rien, se redonnent du temps et seremettent en action. L’une va à la piscine, une autre a mis en route une procédure de divorce, deux autres ont trouvé un emploi.
1. Vieille route de Marenne 2 à 6990 Bourdon, tél. : 084 31 19 46.
2. Ce Plan vise à supprimer l’habitat en camping et dans les structures situées en zones inondables, à accroître l’offre de logements salubres à des prixmodestes, à proposer des primes au déménagement et à l’installation,
3. Ce type d’habitat concerne 89 communes, 291 structures, 4 084 ménages, 8 514 personnes.
4. Trois projets pilotes : Ath (Pays des Collines), Sud-Luxembourg (le Beau Canton de Gaume), Nord-Luxembourg (contrat de Pays Ourthe-Salm).