Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Le monde entier écoute la parole de la rue

Forum international des travailleurs de rue

21-11-2010 Alter Échos n° 305

Pour la deuxième fois en huit ans, des travailleurs de rue du monde entier se sont réunis à Bruxelles pour un vaste forum. Au menu : travail de rue, droits del’enfant, pauvreté et exclusion sociale. Retour sur une aventure.

Place Flagey en 2002. Plus de sept cents travailleurs de rue du monde entier se réunissent pour la première fois. Pourquoi en Belgique ? Simplement parce que l’asbl forestoiseDynamo souhaite confronter son travail aux autres pratiques, en Europe et sur d’autres continents. Edwin de Boevé, directeur de Dynamo1 à l’époque, sesouvient de cet épisode qui a donné un nouveau virage à sa carrière. « L’ampleur de l’intérêt a été étonnante. Onespérait avoir deux cents personnes, on a eu sept cent cinquante inscrits. Les questions posées sont des questions politiques car le travail de rue est un révélateur destensions et des mécanismes de la société. Les travailleurs de rue sont les témoins privilégiés des effets secondaires d’une société encrise », nous explique-t-il.

Pour les organisateurs, les conclusions de 2002 sont relativement claires : le métier de travailleur de rue existe réellement, avec un contenu partagé. « Notresuperviseur institutionnel Jean Blairon résume cela en une très belle phrase : on sent l’affirmation forte et fière d’une identité partagée.» Quelles suites ? « Nous avons avancé petit à petit sur un projet de recherche-action. Objectif ? Clarifier notre concept. Nous y sommes presque arrivés. En toutcas, nous disposons désormais d’une base méthodologique et éthique commune grâce au guide publié aux éditions L’Harmattan2 »,poursuit notre interlocuteur.

Naissance d’un réseau

Le colloque de 2002 donne aussi naissance à vingt-trois recommandations aux préoccupations diverses. Politiques telles les tendances sécuritaires et le fosségrandissant entre les jeunes et les adultes. Mais aussi pragmatiques : la reconnaissance du travail de rue et l’encouragement de la mise en réseau. « Nous avons avancésur les questions de la mise en réseau en créant Dynamo International3 dont la charte fut adoptée par le groupe-pilote le 22 juin 2004. Nous avons aussi obtenuvisibilité et crédibilité vers la Commission européenne et certains milieux politiques. Le bilan est positif : l’éducation non formelle et informelle apris de l’importance dans les débats », relève Edwin de Boevé, qui dirige aujourd’hui cette nouvelle structure.

Pourquoi une deuxième édition huit ans plus tard ? « Relancer la machine semblait nécessaire. Si les objectifs de reconnaissance et de mise en réseau sontrencontrés, les problèmes sociétaux se sont aggravés : les tendances sécuritaires sont plus présentes que jamais. Les fossés grandissent, passeulement le générationnel, mais aussi le social et l’ethnique. On voit aussi émerger des tendances technocratiques. Le modèle de notre société est deplus en plus inégalitaire », décrit la cheville ouvrière du réseau international. Objectif : se donner de nouvelles priorités. Philippon Toussaint quilui a succédé comme directeur de l’AMO Dynamo renchérit : « L’organisation de la résistance face aux politiques sécuritaires de plus en plusprésentes et insidieuses partout dans le monde est la priorité qui émerge du colloque, à mon avis. »

Une approche Nord-Sud

Le réseau comporte désormais quarante-deux pays dont une vingtaine de pays européens, les autres se trouvant dans l’hémisphère sud. Développer lacoopération Nord-Sud et Sud-Sud fait partie des priorités de Dynamo International. « Dans notre travail de réseau, nous accordons beaucoup d’importance àl’égalité entre membres et au respect des singularités. Notre travail de réseau se veut participatif et partant des expériences de terrain, un système »bottom-up » pour reprendre l’expression anglo-saxonne », nous dit Edwin de Boevé, qui cite deux exemples. Le premier est la réalisation du guide qui a mobilisé lesacteurs de terrain. « Cela a abouti à un produit que tout le monde s’approprie », souligne-t-il. Deuxième exemple : les rencontres internationales font participerles gens selon leurs moyens. « On se doit de trouver des solutions pour les réseaux du Sud. On a ainsi obtenu des billets d’avion via la Fondation Air France pour soutenir laparticipation des associations ayant moins de moyens », glisse-t-il.

Cette approche est appréciée par les travailleurs de l’hémisphère sud. Edho Mukandi Kafunda, coordinateur du Comité d’appui au travail social de rue(CATSR) en RDC décrit les apports du Forum et du réseau à son travail. « Cette rencontre nous a permis de comparer les expériences avec d’autres pays et denous sentir concernés par le travail effectué ailleurs. La reconnaissance du statut du travailleur social est plus avancée en Europe. Cela nous donne des arguments pour avancerchez nous où la reconnaissance est particulièrement faible. »

Nouvelles priorités

Depuis 2002, les objectifs ont peu à peu été rencontrés. La mise en réseau fonctionne au sein de Dynamo International, qui a publié deux guides formantune carte d’identité du travail de rue. Une étape est franchie. « Maintenant, il faut aborder les problèmes rencontrés dans la rue et y apporter des solutions.Il faut trouver des méthodes de lutte contre toutes les formes de pauvreté et d’exclusion, économique, sociale, culturelle ou relationnelle. Il faut lutter contre lesmécanismes d’exclusion et de stigmatisation », assène Edwin.

Objectifs intermédiaires : traduire les recommandations4 par un travail concret de lobby et par la publication des actes. « Nous allons évidemment publier lesrecommandations et les faire faire vivre concrètement », commente Edwin. Au menu donc : la continuation d’une politique de publications de manière thématique surdes thèmes politiques comme le travail de rue et l’immigration, mais aussi sur des sujets plus pragmatiques comme la gestion d’équipe.

Une question de droits

Dynamo International est aussi très concernée par la question des droits de l’enfant. « La moitié des travailleurs de rue ont des mineurs comme public cible. Celafait un peu plus de vingt ans que la convention internationale relative aux droits de l’enfant a été établie », souligne le directeur. Mais si les initiatives deprise en charge d’enfants en situation de rue sont nombreuses, Edwin de Boevé conteste la philosophie de certaines. &laq
uo; Attention, pendant longtemps, elles sont restéescaritatives ou paternalistes ! », remarque-t-il. Selon lui, tenir compte de la Convention dans le travail de rue sur le terrain donne des résultats différents et plus efficaces.« En tout cas, plus respectueux de l’enfant en tant que sujet de droit. Il faut donner à l’enfant sa capacité à construire son scénario de vie.L’approche caritative considère l’enfant comme une victime, ne tient pas compte de son propre système de survie et de sa capacité à prendre en main sondevenir. Le placement est souvent une violence qui se substitue à une autre. La convention revoit les choses en termes de droits. Cet angle de vue est éminemment politique etc’est le seul qui peut permettre d’apporter des réponses structurelles », soutient le directeur.

Le Forum ne restera pas sans suites. Dynamo International avait bénéficié d’un soutien de la Commission européenne via le programme Progress en 2008 et 2009.Dès l’an prochain, le réseau va désormais bénéficier d’un véritable agrément au titre de réseau de lutte contre la pauvretéet contre l’exclusion sociale pour un programme de trois ans. L’aventure continue.

Paroles de forum

Pour Edho Mukendi Kafunda, les thématiques les plus importantes traitées au Forum sont la lutte contre la pauvreté et la formation des travailleurs de rue. « C’estcette formation qui permet la résolution des problèmes et d’essayer de réaliser un autre projet de société. J’ai bien aimé la manière detravailler dans un atelier où l’on s’est posé la question du contenu d’un programme d’un parti politique des travailleurs de rue. Cela a donné desréactions intéressantes », estime-t-il.

Régine Lacan est médiatrice culturelle à Cajarc dans le Lot : « Evidemment, la rencontre avec des personnes d’horizons divers et variés est toujours sourced’enrichissement. Cela permet d’enrichir sa réflexion personnelle. Mais surtout, l’ensemble du Forum m’a confortée dans la nécessité de travailler sur mon festivalAfri’Cajarc. Avec les populations en situation précaire, notamment les populations immigrées d’Afrique, et de poursuivre les échanges de jeunes au niveau européen.»

Philippon Toussaint s’attache aux conséquences humaines. « En tant que directeur du service chargé de l’organisation, l’enrichissement d’une telle activitése ressent sur plusieurs aspects. D’abord, une motivation et une énergie décuplées en voyant les travailleurs du service heureux et fiers d’avoir réussi un telévènement. Ensuite, la sensation très forte de constater que nous sommes si nombreux à faire le même métier dans un même esprit. Enfin, unenrichissement des connaissances de chacun grâce à la richesse des contenus et des conclusions des ateliers. »

Edwin, l’infatigable dynamo

« Salut pey ! » est l’invariable manière d’Edwin de Boevé d’accueillir ses relations au téléphone. Quand en 1984 à Forest, ilcrée Dynamo, un service d’aide en milieu ouvert spécialisé dans le travail social de rue, il entame un parcours qui va l’emmener aux quatre coins du monde. Son enviefédératrice est énorme. Dans les années 90, il participe à la création de l’Association nationale des communautés éducatives(ANCE)5, une fédération laïque progressiste regroupant une centaine d’institutions ou de services privés ou publics non confessionnels qui sont actifs dansles secteurs de l’Aide à la jeunesse et de l’intégration des personnes handicapées. Il en devient le président. Après le Forum de 2002, il se lance dansun travail de réseautage au niveau international. « Cela m’a fort accaparé. Mon équipe se sentait délaissée. J’ai dû choisir entre cetteactivité internationale et la direction du travail de terrain. On a créé Dynamo International dont j’ai pris la direction et Philippon m’a succédéà Dynamo », se souvient-il. Bilan 2010 ? Réussite du défi organisationnel avec une petite équipe et des moyens insuffisants. Un bilan humain au niveau des rencontreset de l’échange sans pareil. « Bénéficier d’un centre névralgique comme le Théâtre National, grâce à notre partenariat avec leFestival des Libertés, a permis de donner une ambiance festive à nos échanges. Leur projet est magnifique car il modernise le langage militant », conclut-il.

Pendant ce temps, sur le terrain…

Dynamo ayant son siège social à Forest, une centaine de participants étaient reçus à la place Saint-Denis sous le chapiteau de la Compagnie des Nouveaux disparusqui y présentait son spectacle La Maroxelloise, agence de voyages. S’y passera un épisode dont les délégués se souviendront longtemps. Arrivésdu Théâtre national, les délégués attendent le deuxième bus qui doit amener les retardataires. Ils sont accompagnés d’enfants venus dedifférents pays qui accompagnent le Forum. A la descente, deux enfants se chamaillent. Tout-à-coup, sortie de nulle part, une patrouille de police intervient très brutalement.Immédiatement, les éducateurs interviennent pour ramener le calme. « Il n’y a aucune raison à l’intervention de la police puisque les éducateurs sontprésents et ont immédiatement pris les choses en main », explique un animateur de Dynamo présent sur les lieux.

Les policiers, qui ne sont pas les agents du quartier, ne l’entendent pas de cette oreille. Ils veulent emmener les deux enfants au poste avec les éducateurs pour une explication.« Les enfants se sont échangé des coups de poing », plaident-ils. L’excitation et le ton montent. Un organisateur intervient. L’échevin de la Culture, quia aussi la Prévention dans ses attributions (!), est sur les lieux et intervient pour ramener les policiers à la raison. Impossible. Les policiers cherchent à embarquer un desenfants alors que la tension monte encore d’un cran avec les éducateurs. Excédé, un des organisateurs arrache l’enfant des mains du policier et le confie auxéducateurs. Tout le monde rentre au chapiteau pour le spectacle. Mais les policiers n’en démordent pas. Ils veulent récupérer l’enfant. Pas facile faceà des organisateurs très fermes et un échevin qui tente de calmer le jeu. Après quarante-cinq minutes, un commissaire arrive. « Cela ne restera pas sans suites», annonce-t-il tout en invitant ses troupes à rentrer au commissariat.

Sans suites ? « On verra bien. Après ceci, j’ai proposé aux forces de l’ordre et à Madame la bourgmestr
e d’imaginer une session de formation oùpoliciers et travailleurs de rue pourraient échanger sur leurs rôles respectifs. Il sera fait appel à plusieurs équipes de travailleurs de rue pour prendre part à unpartage d’expériences et pour identifier comment articuler et distinguer les modes et niveaux d’intervention des uns et des autres. Ce serait une issue positive », commenteJosé Angeli, échevin de la Culture et de la Prévention à Forest.

Philippon Toussaint sourit à ce souvenir. « Je n’étais pas présent. Mais cet épisode a marqué les esprits des participants. Le lendemain, on neparlait que de ça. Cette anecdote illustre très bien le fossé existant entre les perceptions des choses, ô combien différentes selon que l’on est policier outravailleur de rue », conclut-il.

1. Dynamo asbl :
– adresse : av. Victor Rousseau, 300 à 1190 Bruxelles
– tél. : 02 332 23 56
– courriel : dynamoamo@gmail.com
– site : www.dynamoweb.be
2. Edwin de Boevé et Maita Giraldi, Guide international sur la méthodologie du travail de rue, Editions L’Harmattan, Educateurs et Préventions, Paris, 2010,16€, 166 p.
3. Dynamo International :
– adresse : rue de l’Etoile, 22 à 1180 Bruxelles
– tél. : 02 378 44 22
– couriel : dynamo-int@travail-de-rue.net
– site : www.travail-de-rue.net
4. L’ensemble des recommandations sera sous peu disponible sur le site de Dynamo International.
5. ANCE :
– adresse : av.de Stalingrad, 54 à 1000 Bruxelles
– tél.: 02.513.17.24
– site : www.ance.be

Jacques Remacle

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