Le plombier polonais, vous vous souvenez ? Eh bien, il revient. Et cette fois, il aura des droits, enfin quelques-uns. La Commission européenne vient en effet de présenter (le21 mars) une directive censée améliorer l’application des règles de détachement des travailleurs dans l’Union. Les employeurs et les sous-contractants pourrontêtre tenus responsables en cas de violation des droits sociaux. Explication.
La libre circulation des travailleurs et la libre prestation de services, deux libertés fondamentales de l’Union européenne, ont fait l’objet de nombreux textesd’application et de nombreuses décisions de justice depuis leur proclamation dans le Traité de Rome en 1957. Le débat sur la directive Services (dite« Bolkestein ») en 2005, un an après l’adhésion de dix pays d’Europe centrale, avait mis en évidence la sensibilité politique de laquestion. Avec un symbole : le plombier polonais, accusé de pousser au nivellement par le bas des salaires et des standards sociaux.
La Commission vient de remettre la problématique sur la table, avec une nouvelle proposition de directive relative au détachement de travailleurs. Le texte ne vise pas lesprestataires de services indépendants, comme dans le cas de la directive Bolkestein, mais bien les travailleurs détachés par leur entreprise dans un autre Etat de l’Union.Mais les enjeux sont les mêmes.
Aujourd’hui, le détachement de travailleurs est régi par une directive de 1996, qui prévoit, notamment, le respect de la législation sociale du pays d’accueil.Pas question, donc, de payer un travailleur slovaque détaché en Belgique au salaire minimum de son pays d’origine. En réalité, toutefois, le principe est souventbafoué. « Dans un certain nombre de cas, les travailleurs détachés ne sont pas payés ou ne reçoivent qu’une partie du traitement auquel ils ontdroit », souligne la Commission dans un mémo destiné à la presse. « Dans les cas d’exploitation, le contractant du pays d’accueil obtientsouvent un avantage sous la forme de prix réduits offerts par le sous-contractant. Parfois, ces prix sont si bas qu’il est clairement impossible que le salaire minimum applicable dans lepays d’accueil soit respecté. »
Contrôler le sous-contractant
Pour y remédier, le commissaire aux affaires sociales, Laszlo Andor, propose d’établir un principe de « responsabilité conjointe et solidaire », desorte que les sous-contractants puissent être poursuivis en justice. Ce principe, qui existe déjà dans un certain nombre d’Etats membres dont la Belgique, est à ses yeux unoutil efficace pour empêcher la multiplication des sociétés « boîtes aux lettres », mises sur pied avec l’unique but de contourner la loi.
La proposition ne convainc toutefois pas la Confédération européenne des syndicats (CES), qui la juge « insuffisante ». La coupole syndicale pointeplusieurs faiblesses d’un texte qui, au-delà de ses intentions louables, ne permettrait pas vraiment de tenir un entrepreneur pour responsable. Le projet limite en effet laresponsabilité légale au premier sous-contractant, au lieu de l’imposer à toute la chaîne contractuelle. En outre, la Commission ne propose d’établir laresponsabilité conjointe et solidaire que dans le secteur de la construction, en laissant à chaque Etat membre le loisir de l’étendre à d’autres secteurs. Pas vraiment debouleversement, donc sur le front d’une Europe sociale toujours anémique, dans le contexte d’une érosion marquée des acquis sociaux partout sur le continent.
La mesure n’est pas pour autant que symbolique, comme en atteste la réaction de la fédération patronale européenne BusinessEurope. « Placer laresponsabilité sur les entreprises n’est pas la solution. Elles n’ont pas le pouvoir d’obtenir des informations sur les salaires individuels des personnes employées par lessous-contractants. La charge administrative et les risques liés aux responsabilités mal définies vont gêner le développement d’un marché intérieur desservices et miner la compétitivité des entreprises européennes, à l’heure où les politiques de l’UE devraient plutôt soutenir la croissance ».
En dépit de l’ambition limitée du texte, la proposition pourrait donc susciter des discussions âpres entre les ministres de l’Emploi des 27 habitués, il est vrai, auxnégociations difficiles entre les pro business et les pro sociaux (congé parental, intérim, temps de travail…). Et le compromis pourrait, in fine, être moins ambitieuxencore que la proposition de la Commission.