Les agriculteurs sont régulièrement contrôlés, par l’Afsca, par la Région, par les labels. Ils doivent respecter de nombreuses normes. Deux agriculteurs témoignent.
Philippe Otjacques est agriculteur dans la commune de Libin. Il fait dans la viande. Son élevage conventionnel est composé d’environ 300 bêtes. Les normes, les contrôles, il connaît bien et s’en accommode la plupart du temps, même s’il en dénonce les excès: «Il y a tout un monde qui gravite autour de ces normes. Avant, les gens de l’administration devaient nous aider, maintenant, plutôt nous contrôler.»
«Les contrôles ont commencé dans les années 50 avec les aides compensatoires de l’Union européenne, retrace-t-il. En contrepartie des aides, il était logique qu’il y ait des contrôles. Cela a commencé par la traçabilité des bêtes. Aujourd’hui, tout ce qui entre et tout ce qui sort de la ferme est contrôlé.»
Dans l’histoire récente du contrôle du monde agricole, il y a bien sûr les années 90. Années charnières qui voient la crise de la dioxine et celle de la vache folle traumatiser un grand pan d’agriculteurs… et de consommateurs. «L’époque a été très dure, rappelle-t-il. Les prix se sont effondrés. L’État a créé l’Afsca pour éviter des crises pareilles. Il a voulu mettre un peu d’ordre pour une traçabilité totale. On avait l’impression que les contrôles visaient un peu à montrer que tous les agriculteurs étaient des tricheurs, ce qui, évidemment, n’est pas le cas.»
Le travail d’un agriculteur s’est peu à peu complexifié, intégrant une dimension administrative assez vaste que certains voient comme un fardeau. «Nous n’avons pas assez d’argent pour employer un administratif, explique Philippe Otjaques; alors nous devons tout faire nous-mêmes.»
Concrètement, chaque vente, chaque achat doit être consigné dans un registre. Les produits vétérinaires utilisés doivent aussi être soigneusement notés.
Pragmatique, Philippe Otjaques estime que le but de ces contrôles – rassurer le consommateur – est «légitime», même si ceux-ci font parfois double emploi: «La Région vient contrôler le bien-être animal, le label le fait aussi.» Et parfois, les contrôles tatillons le heurtent: «Jeudi dernier, l’une de mes bêtes, qui a un petit problème mental, a fait une crise d’épilepsie. On me l’a saisie et ils l’ont tuée directement. Elles vont désormais à l’équarrissage au moindre doute, alors que les bêtes sont saines.»
Quant aux excès de l’agriculture, en matière d’utilisation de produits phytosanitaires, notre agriculteur estime qu’ils existent plutôt dans les zones céréalières, «même si celles-ci sont aussi très contrôlées».
Normes, contrôles et compétences
Les agriculteurs belges doivent respecter une série de normes environnementales, d’hygiène, de traçabilité. «Toutes productions confondues, il doit y en avoir plus d’une centaine», estime à la grosse louche Alain Masure, directeur du service études de la Fédération wallonne de l’agriculture.
Toutes les normes viennent de directives et règlements européens transposés en Belgique. Deux niveaux de compétences sont responsables de leur application sur le terrain, et donc du contrôle de celle-ci:
– Le fédéral, dont le bras armé est l’Afsca, la célèbre agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire. Elle vérifie plutôt la «qualité biochimique» des produits agricoles. L’hygiène, la présence de bactéries, de substances inhibitrices dans le lait, la consommation d’antibiotiques par les animaux, la quantité de produits phytopharmaceutiques détectée (donc insecticides, pesticides, etc.).
– La Région wallonne. Elle a plutôt en charge le contrôle d’aspects environnementaux. L’exemple le plus connu: le taux de liaison au sol. Pour éviter les pollutions à l’azote liées aux déjections animales utilisées comme engrais (le lisier), les agriculteurs ne peuvent pas épandre plus d’une certaine quantité de lisier par rapport à la surface de leur exploitation. En cas d’excédent, ils doivent vendre ce dernier à des agriculteurs déficitaires.
À tout cela s’ajoutent des contrôles de labels comme le «porc qualité plein air» qui viennent vérifier l’application de leur cahier des charges.
Les labels bio viennent aussi vérifier scrupuleusement l’application de leurs conditions pour obtenir l’étiquette «agriculture biologique».
Face à l’Afsca
À une cinquantaine de kilomètres de Libin, près de la frontière française, Ariane Charrière et Marc Galloy s’occupent de leur ferme laitière biologique spécialisée en lait de vache. Depuis 2009, ils transforment 20% de leur production en beurre, crèmes et fromages au lait cru. Un secteur plutôt «tendu» depuis l’épisode du fromage de Herve qui a vu un producteur contraint de suspendre la vente de ses produits suite à une visite de l’Afsca. De la listeria avait été repérée dans ses fromages.
Au fond, notre couple d’agriculteurs n’est pas trop dérangé par l’idée d’appliquer des normes. «Nous sommes organisés et tous les travailleurs indépendants savent qu’il y a une part d’administratif dans leur travail.»
Ce qui les dérange, c’est plutôt cette fracture philosophique entre les normes et contrôles de la Région wallonne, «qui essaye d’œuvrer pour la valorisation des produits locaux», et le fédéral qui, via l’Afsca, «tend vers l’inverse, vers une standardisation maximale des produits». Une agence vue par Ariane Charrière comme «hyperhygiéniste». «C’est à se demander s’ils n’ont pas de stratégie d’éradication de l’agriculture paysanne», ajoute-t-elle.
Ces tensions sont exacerbées par la transformation du lait cru. Un produit observé avec davantage de suspicion par l’agence fédérale. Car le lait cru est un nid de microbes et de bactéries. «Concrètement, ce qui fait la saveur du beurre, c’est la «moisissure», explique Ariane Charrière. Il faut laisser la crème maturer. Et ça, ils ne peuvent pas l’entendre à l’Afsca.
Les contrôles ne s’arrêtent pas à l’Afsca. Difficile de tous les énumérer. Le certificat «qualité filière lait» fait ses contrôles. La Région wallonne aussi. Et, bien sûr, le label bio. «Leurs contrôles sont nécessaires pour que le consommateur ait une garantie que le produit qu’il consomme est bio», pense Ariane Charrière.
Les deux producteurs wallons constatent un effet néfaste de tous ces contrôles et de ces normes à respecter: «L’installation de jeunes agriculteurs en pâtit. Que cela soit dans le bio ou le conventionnel. Beaucoup sont découragés, car le contrôle implique un travail assommant.»
L’Afsca sur la sellette
L’Afsca a bien conscience de ne pas être très appréciée dans le monde agricole. Mais pour Yasmine Ghafir, qui en est la porte-parole, l’idée que son agence combattrait tous les produits au lait cru est une «fausse idée». Idem pour la présence de bactéries dans les produits laitiers transformés. «Il y a une flore bactérienne à la base dans le lait cru qui se développe, va permettre de transformer le produit et empêcher, dans le meilleur des cas, le développement de bactéries indésirables.» Indésirables comme la listeria. Celle-ci, au-dessus d’un certain seuil, peut être très dangereuse pour l’homme. Et l’Afsca prend des mesures immédiates lorsque cette «bactérie pathogène se développe» chez le transformateur (un tout petit taux de listeria est accepté chez le détaillant). C’est-à-dire qu’elle suspend la vente.
Toutefois, Yasmine Ghafir rappelle que parmi tous les secteurs contrôlés par l’Afsca, le secteur agricole est l’un des plus performants: «Il y a seulement 2,4% de P-V dans ce secteur.»
Pour Alain Masure, directeur du service études de la Fédération wallonne de l’agriculture, «une certaine souplesse pourrait être admise pour les produits artisanaux». Il imagine une aide rapide «de structures d’encadrement» pour aider les producteurs en difficulté face aux contrôles. «Parfois il y a peu à changer pour être en conformité», conclut-il.
Aller plus loin
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Lire aussi : «Serge Peereboom: ‘L’Afsca adopte une politique d’hygiénisme à l’excès’», Alter Échos, Fil d’infos du 26 juin 2015, par Manon Legrand.