« La Belgique survit, l’analphabétisme aussi. ». C’est pour rappeler cet état de fait que Lire & Écrire avait ainsi titrél’événement organisé dans le cadre de la Journée internationale de l’alpha et des 175 ans de la Belgique. Selon l’association, 10 % des Belges ne saventni lire ni écrire, c’est-à-dire qu’ils « ne comprennent pas un exposé simple des faits en rapport avec leur vie quotidienne », selon la définition del’Unesco. Cette année, la première conférence interministérielle nouvelle formule se réunissait à cette même occasion. Les cinq ministresfrancophones ayant l’alpha dans leurs compétences ont fait le point d’une année de travail dans un secteur qui bénéficie de nouveaux moyens depuis deux ans. Enjeuxet perspectives.
Le 8 septembre est, depuis 1983, la Journée de l’alphabétisation, en Communauté française mais également dans de nombreux pays, sous l’égidede l’Unesco1. L’objectif est de souligner l’importance de l’alphabétisation auprès des citoyens, de la collectivité et des associations. Cetteannée, l’organisation internationale a décidé de mettre l’accent sur la thématique « alphabétisation et genre ». Près d’une personnesur sept est illettrée dans le monde et, sur les 860 millions d’illettrés recensés, 500 millions sont des femmes. Tous les pays membres s’étaient, en 2000,engagés à éliminer les disparités entre les sexes dans l’enseignement primaire et secondaire d’ici à 2005. Mais selon la nouvelle édition duRapport mondial de suivi sur l’éducation pour tous, cinquante-quatre pays risquent de ne pas atteindre cet objectif si les tendances actuelles se confirment. Et plus de 56 % des 104millions d’enfants non scolarisés sont des filles.
La politique d’alphabétisation en Communauté française, c’est quoi ?
Les enjeux de l’alpha en communauté française sont quelque peu différents même si de telles inégalités s’y retrouvent (mais dans des proportionsdifférentes). D’après les chiffres de Lire & Écrire
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, traitant de la coordination des actions d’alphabétisation en Communauté française Wallonie-Bruxelles, une personne sur dix ne sait ni lire ni écrire. La politiqued’alphabétisation ne se réduit pas à l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul. Elle vise également à la participation citoyennede tous. Mais, plus concrètement, les demandes sont très variées : tantôt l’apprentissage de la lecture sert à aider un enfant scolarisé, tantôtà trouver un emploi, tantôt à sortir de son isolement…
Réunie pour la première fois cette année, la Conférence interministérielle nouvelle mouture, comprend, outre les cinq ministres régionaux etcommunautaires en charge de cette question, une représentante de l’association Lire & Écrire. L’objectif annoncé par la ministre-présidente Marie Arena(PS) est d’atteindre 20.000 personnes en formation par an en 2010. En 2004, ce sont 16.000 personnes qui ont suivi des cours d’alphabétisation. C’est à Bruxelles que les effortssont jusqu’ici les plus visibles, puisque, selon la ministre Françoise Dupuis (PS), en charge de l’enseignement à la Cocof, 2.000 nouvelles places y ont étécréées. On rappellera également que l’alpha n’est pas absente du Plan stratégique transversal 2 (Recherche et formation) : celui-ci prévoit notamment des mesures dedétection systématique de l’analphabétisme, via les « opérateurs de détection » que pourraient devenir le Forem, les Centres régionauxd’intégration, les CPAS, les employeurs et délégués syndicaux, l’intérim et le secteur associatif. Le plan prévoit également d’essayer d’impliquer lespartenaires sociaux au niveau sectoriel (en passant par la reconnaissance, voire l’intégration, de l’alphabétisation dans leur programme de formation).
Pour en revenir à la Conférence interministérielle, elle doit permettre de faire chaque année le point sur le secteur. Cette année, plusieurs initiatives ontété rappelées. Elles doivent permettre, sinon d’atteindre l’objectif des 20.000 places, au moins d’améliorer la qualité des formations et leuradéquation aux demandes des personnes en formation.
• Le lancement d’un site internet, interface entre les opérateurs, lieu de diffusion d’outils pédagogiques et de communication entre apprenants.
• L’extension au secteur de l’alpha de l’opération Ouvrir mon quotidien (OMQ), déjà présente dans l’enseignement obligatoire depuis 2002. OMQconsiste à proposer aux 200 lieux d’alphabétisation de s’abonner à deux titres de la presse quotidienne francophone belge. L’initiative vise, en même temps quel’apprentissage de la lecture, une ouverture citoyenne par la lecture de la presse.
• La réservation pour 2006 de 25.000 périodes supplémentaires pour des cours d’alphabétisation dans l’enseignement de promotion sociale. En 2003-2004,20.318 périodes avaient été dispensées dans ce type d’enseignement à 1.630 étudiants. Marie Arena justifie cette décision : « Faire de lapolitique c’est faire des choix, cibler des actions, surtout dans le contexte financier de la Communauté française. C’est donc une prise de position politique. » Signalons encorequ’une partie de ces périodes sera consacrée à l’alpha en milieu carcéral.
• La mise sur pied d’un diplôme supérieur de type court de formateur en alphabétisation. Ainsi, une formation destinée aux formateurs de formateurs en alphadébute à la mi-septembre à l’Institut Roger Guibert, a annoncé Françoise Dupuis. Donnant accès à un diplôme supérieurpédagogique de type court, elle sera suivie par une trentaine de formateurs. Une formation équivalente est également proposée à l’IFPFSE à Namur.L’objectif est aussi celui d’une professionnalisation accrue des formateurs en alpha.
L’accord de coopération en matière d’alphabétisation
Le second accord de coopération relatif au développement de politiques concertées en matière d’alphabétisation des adultes date du 2 février 2005.Il a été signé par Marie Arena (ministre-présidente de la Communauté française, en charge de la promotion sociale), Benoît Cerexhe (CDH –ministre-président, Cocof), Fadila Laanan (PS – Éducation permanente, CF), Françoise Dupuis (PS – Formation professionnelle, Cocof) et Charles Picqué (PS– Cohésion sociale, Cocof).
Cet accord vise la c
oordination des politiques d’alphabétisation des adultes, en engageant un processus permanent de concertation et de collaboration entre les différentsniveaux de pouvoir. Pour lutter contre l’analphabétisme fonctionnel, il prévoit trois outils complémentaires :
• La conférence interministérielle annuelle sur l’alphabétisation des adultes devra évaluer la mise en œuvre des objectifs fixés par l’accordde coopération et examiner les propositions et analyses soumises par le comité de pilotage.
• Le comité de pilotage permanent sur l’alphabétisation des adultes est composé des représentants des pouvoirs publics concernés et du secteur associatifspécialisé (nouveauté par rapport au premier accord de 2001, l’asbl Lire et Écrire y est expressément mentionnée, ce qui a lors de sonélaboration causé quelques frictions avec le ministre-président de l’époque, le MR Hervé Hasquin). La mission principale de ce comité consiste àtransmettre aux membres de la Conférence interministérielle ses analyses et recommandations quant à l’articulation et à la coordination des politiquesd’alphabétisation. Il est aussi chargé de coordonner la récolte d’information relatives à la formation de formateurs et à l’enseignement depromotion sociale, l’évaluation du nombre d’apprenants, et la visibilisation des actions menées auprès du public.
• Un état des lieux annuel en matière d’alphabétisation des adultes devra rassembler les informations concernant, entre autres, les cadres réglementaires, lesbudgets, les types d’actions, les financements et les emplois.
Ce 8 septembre fut l’occasion de revenir sur le fonctionnement du comité de pilotage, l’organe où se construisent les politiques d’alphabétisation. France Lebon,responsable du service de l’Éducation permanente à la Communauté française et en charge de ce comité, se félicite de son ouverture àl’associatif. « Cela permet de représenter la diversité des dispositifs d’apprentissage et laisse augurer une efficacité accrue. En effet, nous allons montrerque la réunion des différents acteurs peut faire davantage que les différents politiques pris séparément. » Dans les prochains mois, l’enjeuréside, pour le comité, dans la réalisation d’une nomenclature des différentes formes d’analphabétisme et des approches mises en œuvre. Ce travaildoit permettre de percevoir l’offre de cours de chaque secteur, de définir les conditions d’accès et les publics auxquels les cours s’adressent, les exigences, lescertifications, afin d’avoir une vision exacte de l’offre du point de vue qualitatif.
Quant à Catherine Sterq, coprésidente de Lire & Écrire, et à ce titre représentante de l’associatif à la Conférence interministérielle,elle se félicite également de la présence de l’associatif à ce niveau. « En 1983, quand a été créée l’asbl, dire qu’ily avait des personnes analphabètes était quasi inaudible. Aujourd’hui, notre présence au sein de la Conférence interministérielle marque le début d’uneréelle politique d’alphabétisation en Communauté française. » Catherine Sterq a pointé l’enjeu symbolique que constitue la mise sur piedd’une formation de formateurs. « Cela montre l’importance d’un encadrement du secteur et cela marque la volonté d’une professionnalisation accrue. »
Questionnée par Alter Échos à propos de la plus-value que représente cette présence au sein de la Conférence, Catherine Sterq répond :« Ce qui est important, c’est le travail de fond qui est réalisé au niveau du comité de pilotage. Et, de ce point de vue, rien ne change vraiment puisque nous yétions déjà présents, de manière informelle, depuis cinq ans. L’enjeu, pour nous c’est que l’alpha soit prise en compte dans tous les secteurs,dans tous les domaines. Cette conférence met tout le monde autour de la table, ce qui permet de prendre en compte tous les enjeux touchant à l’alphabétisation. »
Une problématique multidimensionnelle qui appelle une réponse adaptée
Pour Ygaëlle Dupriez, directrice de Lire & Écrire Wallonie, cette participation à la Conférence interministérielle est une première étape.« Ce qui a été annoncé au cours de cette Conférence interministérielle était connu. Il n’y a pas vraiment de moyens supplémentaires, etpas encore de changement dans la manière d’envisager le problème. » Elle propose d’envisager d’autres informations (de nature socio-économique) dans lanomenclature qui va être réalisée par le comité de pilotage. « Il ne faut pas uniquement des indicateurs sur l’offre. Il faut aussi mieux connaître lespublics auxquels nous nous adressons, leurs demandes, les difficultés qu’ils rencontrent… pour mettre en place des formations qui correspondent aux besoins des apprenants. »Autre enjeu, l’accès aux formations. La directrice cite l’exemple des centres urbains, où l’on constate une réelle difficulté des adultes à entrer dansune démarche d’apprentissage. « Quand on se rend compte qu’une personne ne sait pas lire, que fait-on de cette information ? Et puis comment change-t-on cet état sans tropdéstabiliser la personne ? » Et elle ajoute: « La question de l’alphabétisation ne trouve pas ses réponses uniquement dans les techniques de formation etd’apprentissage. Apprendre à lire revient, pour un adulte, à une véritable révolution. C’est tout son rapport au monde qui se voit chamboulé. Et il faut aussipouvoir tenir compte de cet aspect si on veut lutter contre l’analphabétisme. » L’enjeu revient à sensibiliser, et à collaborer avec, toute une série d’acteursen contact avec les populations analphabètes : mutuelles, syndicats, écoles, services communaux, entreprises…
Tout le monde est concerné
Le travail ne se limite donc pas à une sensibilisation de l’environnement que les personnes illettrées sont amenées à fréquenter. Avec les « dispositifsterritoriaux », sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement, l’objectif est de concerner les différents acteurs au problème de l’analphabétisme.Ygaëlle Dupriez explique que « ces dispositifs visent à ce que tous les acteurs se demandent « Qu’est-ce que je peux faire dans mon environnement par rapport à cette question? » Tout le monde doit être concerné par cette question, sinon on restera avec 10 % de personnes illettrées. L’objectif est de prendre le problème de manière plusglobale et systémique. En se posant des questions, chacun à son niveau, sur la manière dont on travail
le la prévention, la transition vers l’emploi, l’offre, lerecrutement… »
Une formation qui débouche sur l’emploi
Durant la conférence de presse qui clôturait la Conférence interministérielle, plusieurs personnes en formation ont posé des questions aux ministresprésentes. Elles concernaient notamment l’offre des formations, leur articulation avec l’emploi, le rôle de l’école et de l’enseignement qualifiant. Les demandes des personnes enformation portent non seulement sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture mais également sur l’accès à l’emploi. Et « certaines personnes ne sont pasdemandeuses de formation, souligne Ygaëlle Dupriez. Il existe de nombreux emplois que l’on peut faire sans avoir son CEB. Les parcours ne sont pas linéaires, et il faut pouvoir en tenircompte, en adaptant notre action. » C’est l’objectif du dispositif qui se trouve derrière cette Conférence interministérielle. Rendez-vous dans un an pour unepremière évaluation.
L’alphabétisation en prison
Durant cette journée, une place particulière a été accordée à la question de l’alphabétisation en milieu carcéral.D’après l’ancien syndicaliste enseignant, Régis Dohogne, chargé de la question de l’alpha auprès de la ministre Arena, la population carcéralecompte deux fois plus de personnes analphabètes que la population hors prison. « Les difficultés de réinsertion, de réapprentissages sont encore plus importantespour ces détenus. Il est important d’investir dans l’alphabétisation en prison pour que les détenus soient marqués positivement par leur passage dans le milieucarcéral. » Suite au vote, en février 2005, de la loi Dupont sur le statut du détenu, loi qui rappelle le droit à l’alphabétisation et à laréinsertion sociale du détenu, des représentants des différents niveaux de pouvoir se réunissent pour analyser les pistes allant dans ce sens. Une note reprenantles propositions de ce groupe de travail sera transmise aux ministres régionaux et communautaires concernés, en novembre, afin de préparer la discussion avec la ministre de laJustice.
Par ailleurs, une journée de formation continuée sera organisée à l’automne à destination des enseignants de promotion sociale qui exercent en prison.Régis Dohogne a également rappelé l’affectation de huit temps-pleins supplémentaires dans le cadre du projet Réinsert et via les 25.000 nouvellespériodes réservées à l’alpha dans le cadre de l’enseignement de promotion sociale.
1. Site de l’Unesco
2. Lire & Écrire, rue Antoine Dansaert, 2 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 502 72 01 – fax : 02 502 8556 – courriel: info@lire-et-ecrire.be