À l’occasion de la journée portes ouvertes de l’EOS1, section sociale de la Haute École Ilya Prigogine, une conférence-débat étaitorganisée le 10 mai à Bruxelles sur un sujet pour le moins original : « Le polar en tant qu’analyseur du social ». Une petite centaine de personnes avaient fait ledéplacement. Essentiellement des élèves, mais aussi des travailleurs, et anciens de l’école. Pour débattre de l’intérêt du polar commereflet de notre société contemporaine, deux auteurs de romans noirs, Serge Quadruppani et Gérard Delteil, ainsi qu’un philosophe, Aram Mékhitarian, étaientréunis sous l’impulsion de Marc Milants, chargé de cours à l’EOS et spécialiste de la question. Selon le chargé de cours, qui aborde sesséminaires de sociologie par le biais de l’étude du roman noir, ce dernier « agit comme un microscope théorique très souvent critique, incisif et doncparticulièrement révélateur de l’ensemble des problématiques sociales vécues. » Il poursuit en exprimant que « la richesse concrète de cestyle de littérature, longtemps décriée, réside, pour nous, dans son caractère directement en prise avec la réalité sociale et politique ». Ilajoute que « la réalité brute, noire, décrite dans ce genre littéraire, se base très souvent sur les catégories sociales les plus opprimées, surles marges stigmatisées, sur les faits sociaux et politiques les plus cachés ».
Pour une certaine littérature noire, les organisateurs considèrent les auteurs de romans noirs comme des militants ou des observateurs attentifs et pointus de diversesproblématiques sociales. Selon Marc Milants, les meilleurs auteurs de romans noirs ont directement vécu ce qu’ils décrivent par la suite. Les auteurs parlent de cequ’ils connaissent, de ce qu’ils ont vécu ou observé. Pour Serge Quadruppani, auteur de romans noirs, il y a dans ce type de littérature, « le projet de dire lapart noire de l’humain » et en même temps d’exprimer une critique sociale.
Polar et militantisme
Sans faire l’économie de questions sur des aspects plus techniques du polar, le débat a fait émerger essentiellement l’aspect militant d’une certainelittérature polar. Une question posée renvoyait à la relation entre écriture du polar et action politique. Pour les deux auteurs présents, l’écriturecomprend une forme d’action politique. Gérard Delteil a notamment écrit un ouvrage concernant les prisons (Prisons, la marmite infernale, éd. Syros, 1990) ou un autreouvrage intitulé KZ, retour vers l’enfer (éd. Métailié, 1998), qui traite de l’univers des camps de concentration nazis. Ce roman se révèleêtre un roman noir portant « une dimension de critique historique particulièrement pertinente et instructive », expriment les organisateurs du colloque. Dans le cas du romansur l’univers carcéral, il a passé du temps en prison pour se documenter sur cet univers. Concernant l’univers concentrationnaire, il s’est égalementabondamment documenté. Pour cet auteur, l’écriture « polar » cherche à faire réagir, notamment les lecteurs de gauche et d’extrême gauche.Serge Quadruppani complète quant à lui qu’il a la volonté, à sa manière, de changer le monde, d’avoir une action « militante » sur le mondeà travers son écriture. Cet auteur est considéré comme un auteur de polar français agressif et critique, ce qu’il semble confirmer, selon les organisateurs,dans son roman Colchiques dans les prés (éd. Babel Noir). Aux antipodes de sa pratique, Serge Quadruppani pointe du doigt la télévision qui vend des « hérospositifs » qui, tous, protègent la société : l’instit, l’assistant social, le juge, l’avocat, le flic. Pour lui, à travers, ces séries, il yaurait un bourrage de crâne qu’il compare au bourrage de crâne stalinien. Cela viendrait maintenir et protéger le système en place.
Une personne de l’assemblée demandait si tous les romans noirs étaient de gauche. Marc Milants précise que la majorité des écrivains sont plutôt dedroite mais il sélectionne ceux de gauche pour illustrer ses séminaires.
Le roman noir, une autre façon donc, certes orientée, d’analyser le social. Une façon, ludique en apparence, d’observer et d’aiguiser le regard critique surle fonctionnement de la société tant pour les étudiants de l’EOS guidés par leur professeur que pour d’autres lecteurs amateurs.
1. École ouvrière supérieure, département social de la Haute École libre de Bruxelles Ilya Prigogine, rue Brogniez, 44 à 1070 Bruxelles, Tél. : 02523 80 40, e-mail : mmilants@swing.be – Contact : Marc Milants.