«Il pousse plus de choses dans un jardin que n’en sème le jardinier», chante un célèbre proverbe espagnol… et notamment du lien social. À Charleroi, entre le boulevard Zoé Drion et le boulevard Joseph II, se trouvait il y a quelques années l’hôpital civil de la commune, «intégré» depuis à l’immense hôpital de Lodelinsart. Aujourd’hui totalement démoli, ce grand bâtiment a laissé place à un immense terrain vague, propriété du CPAS de Charleroi, qui restera en l’état cinq à huit ans environ. «Le CPAS a un projet de réaménagement urbain: l’objectif est de créer une zone mixte qui pourrait être partagée entre des logements, des bureaux, une maison de repos… C’est encore un projet à l’étude», raconte Christof Carlier, chargé de mission au CPAS.
Alors, en attendant que les papiers soient signés, que les permis de construire soient validés et que les travaux commencent, il y a le temps de voir venir… et surtout de s’en servir, de cet espace. Ainsi, en août 2020 et sur proposition du président du CPAS Philippe Van Cauwenberghe, est venu s’installer, sur une partie de cette parcelle, un jardin urbain à vocation pédagogique. Son nom: le Potager de Zoé. L’objectif: apprendre à des membres d’associations, bénéficiaires du CPAS, mais aussi riverains curieux, à mettre les mains dans la terre et à faire pousser sans pour autant les obliger à en faire leur métier. Pour cela, le CPAS a dû lever des fonds importants. «C’est 40.000 euros d’investissement de départ, 25.000 de fonctionnement par an plus le salaire d’un mi-temps pour un chargé de mission», explique Christof Carlier. Un concept déjà existant dans de nombreux quartiers belges et qui avait déjà été mis en place par les CPAS de Schaerbeek, Ixelles ou encore Berchem-Ste-Agathe.
Apprendre et subvenir à ses besoins
Depuis le mois d’août, le potager de Zoé s’est bien développé. Des sacs de terre posés sur toute la parcelle accueillent ou ont accueilli toutes sortes de légumes et de plantes aromatiques, des terrasses cultivables ont été construites sur la dune proche de la route et des arbres fruitiers, des fleurs et environ 70 pieds de vigne ont été plantés. Tout cela, nourri par un système d’irrigation automatique qui passe de racine en racine. Mais ce n’est pas tout. «Le but était de faire découvrir le maximum de choses et que ce soit un espace créatif», insiste Christof Carlier. Ainsi, on y trouve également, un compost, une ruche, un habitat à insectes, des toilettes sèches et même un épouvantail. Des ateliers de cuisine ont également été mis en place.
Pour apprendre à bien s’occuper de tout cela, sans pesticides ni engrais chimiques, dans une philosophie permaculturelle, le CPAS de Charleroi a décidé de faire appel à un prestataire extérieur: Augustin Nourissier, formateur chez Skyfarms, une entreprise spécialisée en création et en accompagnement de potagers urbains. «Aujourd’hui on va planter dans ces sacs deux types de fraises: ici, on aura des fraises Charlotte, qui sont une variété remontante, c’est-à-dire qui vont donner presque toute la saison, et là des fraises Darselect, qui sont au contraire une variété non remontante qui vont nous faire une grosse récolte, et puis c’est tout», explique-t-il à la dizaine de personnes présentes malgré le froid d’un matin d’octobre.
«Développer chez ces publics souvent précaires l’autonomie alimentaire. Ensuite, récupérer des produits bios d’ici. Et puis surtout, que les gens sortent de chez eux, se rencontrent, se parlent… Ce projet est surtout social.» Christof Carlier, chargé de mission
«On apprend beaucoup de choses et on a encore beaucoup à apprendre, s’enthousiasme Vita, une riveraine de la commune de Gilly, les mains dans la terre. Je suis passée un jour à vélo et depuis, j’essaye de venir tous les vendredis.» «Moi je vais commencer à faire mon jardin avec des produits simples à cultiver, continue Taina, bénéficiaire du CPAS. Ce qui est chouette, c’est aussi de pouvoir récupérer les produits qui poussent ici. Pour mon budget, c’est un vrai plus.» Car tous les légumes, fruits et plantes (140 kilos produits en 2021) sont partagés gratuitement entre les différentes personnes qui s’occupent du jardin. «L’objectif est donc triple, résume Christof Carlier. Développer chez ces publics souvent précaires l’autonomie alimentaire, que ce soit en développant des jardins dans leurs quartiers ou chez eux, pour ceux qui le peuvent. Ensuite récupérer des produits bio d’ici. Et puis surtout, que les gens sortent de chez eux, se rencontrent, se parlent… Ce projet est surtout social.»
L’environnement comme prétexte social
«Il ne faut pas oublier que c’est aussi le rôle des CPAS de faire de l’insertion sociale, même si nous devrions en faire davantage, rappelle Sylvie, animatrice CPAS. Et toutes les activités que nous proposons au bénéficiaire, que ce soit des ateliers couture, bricolage ou autre, ne sont finalement que des prétextes pour créer du lien.» «C’est un rôle mineur, par rapport à l’insertion professionnelle et à la délivrance d’aide financière, mais c’est un aspect absolument essentiel, ajoute Christof Carlier. Et ici, au jardin de Zoé, si les aspects environnementaux, d’alimentation saine, bio et de créativité sont des objectifs définis, le but de ce projet est aussi de sortir ces personnes de l’isolement, de travailler dans une bonne ambiance et sans étiquette.»
En arrivant sur place, tout cela se ressent. On discute beaucoup, on rit, on parle de ses inquiétudes, de ses problèmes, de son histoire. Jean-Marc (prénom anonyme) nous raconte. «J’ai eu de gros soucis dans ma vie. J’ai fait des erreurs qui m’ont conduit à être très isolé. Et les confinements n’ont pas arrangé les choses. Ici, je n’ai pas d’étiquette, je peux être moi-même et discuter avec tout le monde. Et autant vous dire que, si je viens ici, ce n’est pas que pour les légumes, mais aussi pour ça.» Un avis partagé par la quasi-totalité des personnes présentes ce jour-là. «Et les jardins partagés sont très propices à cela, continue Augustin Nourissier. On va dehors, on se rassemble, on apprend ensemble, on plante ensemble et on récolte ensemble. Ce qui permet d’agir sur la santé mentale, mais aussi physique en pratiquant une activité sportive douce.»
En fin de matinée, tous se retrouvent pour discuter du futur. «Vous le savez, la saison est bientôt terminée, annonce Christof Carlier. Du coup, on va bientôt organiser une bouffe ensemble et discuter de vos envies et de ce qu’on pourrait faire en plus l’année prochaine.» «J’aimerais bien apprendre à faire des champignons», s’exclame l’une. «Il va aussi falloir finir l’abri pour le matériel qui encombre les toilettes», continue l’autre. «On veut également créer un abri en cas de mauvais temps, mais on discutera de ça la semaine prochaine», conclut Christof Carlier. «Vous voyez, ici, les idées, ça fuse, nous glisse Pascal, ancien horticulteur. On espère que ça durera le plus longtemps possible. Et même si cela doit s’arrêter dans cinq ans, je pense que tous ici, on aura envie de se réengager dans des potagers partagés.»