Hérité de leur grand-père ou tombé du ciel sur leurs petites têtes adolescentes, le feu sacré de la politique leur colle à la peau. (Co)présidents d’organisations de jeunesse politiques, ces jeunes loups de la politique y vivent leur engagement presque jour et nuit, et y affûtent leurs armes. Mais à quoi servent ces organisations ? Quels sont leurs liens avec leurs partis « géniteurs » ?
Mouvement des jeunes socialistes (MJS), Jeunes MR, Jeunes CDH ou encore EcoloJ, ces structures ne sont pas des « sections jeunes » des partis politiques, mais bien des organisations de jeunesse politiques, financées par le décret jeunesse. Premier rôle clairement assumé par ces structures : la conscientisation à la chose politique. Cette éducation citoyenne se pratique notamment à travers la Plate-forme des apprentis citoyens, qui organise dans les écoles des débats politiques où ces jeunes engagés s’affrontent sur leurs idées.
Au-delà, s’agit-il pour ces mouvements de diffuser la bonne parole de leurs aînés et d’aller à la pêche aux électeurs, ou plutôt de faire remonter vers les partis traditionnels les préoccupations et revendications de la jeunesse ? « On fait de la sensibilisation aux valeurs qui nous sont chères, à l’écologie politique, mais on n’est pas là pour vulgariser le programme d’Ecolo. On n’est pas dans une logique électoraliste », défend Guillaume Le Mayeur, qui vient de terminer sa coprésidence, et pour qui l’indépendance d’EcoloJ est précieuse. « Ceci dit, ne manque-t-il pas d’ajouter, il peut y avoir un effet indirect… »
Tous revendiquent haut et fort leur autonomie par rapport à leur parti de référence. Une « autonomie solidaire », comme la définissent conjointement Ecolo et EcoloJ, une autonomie mais « dans une grande famille », nous dit-on côté socialiste : « Lors des repas de famille, on discute beaucoup, il y a parfois des désaccords, mais on reste dans la même lignée. »
Ces organisations sont autonomes, c’est vrai. Mais on décèle dans l’air un parfum épicé de campagne électorale. En témoignent les petits coups bas entre présidents qui volettent cà et là dans la presse et les amendements déposés par les organisations de jeunes pour influencer la programmation des partis. Plus que de rameuter un escadron d’électeurs, un des principaux objectifs de ces OJ dans le cadre préélectoral est d’offrir leur soutien aux jeunes candidats. « Notre combat, c’est de soutenir les candidats qui militent aussi au MJS », confirme Jonathan Dawance, d’origine liégeoise et fraîchement élu à la tête du mouvement socialiste. Des actions communes MJS/PS sont aussi menées : distribution de tracts lors de la journée de la femme, participation à la campagne prévention Sida… « Ce sont des acteurs qui ont moins de contraintes temporelles et familiales, on attend d’eux une importante présence sur le terrain », observe Pascal Delwit, professeur de sciences politiques à l’ULB. Un rôle d’autant plus important que la moyenne d’âge des adhérents des partis traditionnels est assez élevée.
« Une pierre dans la chaussure »
Des organisations autonomes, donc, mais reliées d’une manière organique à leur parti, dans lequel elles sont officiellement représentées. Leurs relations sont-elles toujours au beau fixe ou peuvent-elles être traversées par des crises générationnelles ? « Occasionnellement, il peut y avoir des tensions, répond Pascal Delwit. Dans les années soixante, il y a eu une grosse tension entre le PS et sa jeunesse, qui était noyautée par les mouvements trotskistes. Mais cela reste assez rare. » Sans trop de surprise, chacun se dit sur la même longueur que sa structure « mère ». Des valeurs communes sont partagées, même si elles sont « vécues différemment » ou qu’elles s’expriment dans d’autres types d’actions, un peu plus décalées ou sur les réseaux sociaux.
Après un an de présidence et cinq ans de coprésidence des Jeunes MR, Lora Nivesse est une politicienne en herbe déjà bien aguerrie. Elle nous dépeint les liens idéologiques qui unissent le MR et ses jeunes. « Nous sommes en grande partie d’accord avec eux, explicite-t-elle. Sur le plan socioéconomique, certaines de nos propositions vont parfois même plus loin : nous estimons que l’État n’a pas grand-chose à dire par rapport à l’économie. Sur les questions éthiques, nous sommes plus progressistes, nous avons une vraie position libérale. Que ce soit l’euthanasie, l’avortement, l’homosexualité, nous estimons que l’État n’a pas non plus grand-chose à dire là-dessus. »
Dans un sens ou dans un autre, les jeunes donnent souvent au discours de leur parti une tonalité plus marquée. Car ils ont dans leur poche un atout de taille, celui d’avoir une parole libre, déliée des contraintes du pouvoir, de la question de l’échec ou de la réussite électorale. « Cela se concrétise par une position parfois plus radicale », confirme Pascal Delwit. En rappelant de temps à autre leur parti à l’ordre quant au respect de ses valeurs de base, les jeunes se targuent d’être leur « aiguillon » ou encore « une pierre dans la chaussure ».
Jeunes en coalition ?
L’exemple le plus médiatisé, au cours des derniers mois, d’une cristallisation de la question de la relation entre les partis et leurs jeunesses politiques a été celui des sorties respectives d’EcoloJ, des Jeunes MR et du MJS sur la légalisation du cannabis et la dépénalisation des drogues dures. Des sorties rapidement recadrées publiquement par Ecolo et le MR. « C’était sans doute une manière de ne pas choquer une franche de l’électorat Ecolo qui reste peut être plus conservateur sur certaines questions de société », décrypte Guillaume Le Mayeur. Une position probablement d’autant plus nécessaire que le traitement immédiat de la question par les médias classiques a été empreint d’amalgames et de déformations.
Là où cela devient intéressant, c’est que plusieurs organisations de jeunesse se sont alliées pour une carte blanche commune sur la question. Une démarche peu fréquente. Y a-t-il donc des sujets qui fâchent et d’autres, capables de favoriser des unions contre nature ? Une chose est sûre, là où l’opposition entre jeunesses politiques semble la plus farouche, c’est sur le plan socioéconomique ; c’est là aussi que la fidélité aux aînés recèle le moins de failles. A contrario, les questions environnementales par exemple, sont plus largement intégrées chez les jeunes que dans les partis traditionnels. « Les nouvelles générations sont beaucoup plus sensibles à ces enjeux et à leur inclusion dans les politiques », explique Guillaume Le Mayeur. Plus touchy, les questions linguistiques seraient, elles aussi, abordées entre jeunes avec moins de crispation.
Des partis sous influence ?
Un autre rôle des jeunesses politiques consiste à porter dans leur parti un certain nombre de revendications spécifiques à la jeunesse. Au premier rang de celles-ci : l’éducation et l’emploi. Mais ces jeunes ont-ils vraiment du poids ?
« On a très peu de leviers pour influer sur la programmation, explique Guillaume Le Mayeur, il n’y a rien d’institutionnalisé, on ne peut pas déposer d’amendements. On peut appuyer certains points de manière informelle, mais nous avons peu d’influence. » Si certains éléments laissent à penser qu’EcoloJ et Ecolo sont peut-être moins fusionnels que leurs homologues des autres couleurs politiques, le corollaire est sans doute une influence moindre d’EcoloJ sur son parti géniteur. Avec un bémol, néanmoins : comme énormément de jeunes sont membres tant d’EcoloJ que d’Ecolo, la parole d’EcoloJ remonte tout naturellement vers Ecolo.
Du côté des Jeunes CDH, des Jeunes MR et du MJS, le son de cloche est tout autre. « Notre objectif principal, c’est de ramener les préoccupations des jeunes vers le MR », explique Lora Nivesse. Et chacun de s’enorgueillir d’avoir fait évoluer la position de son parti sur certains sujets. L’euthanasie des mineurs au MR, les sanctions administratives communales au PS, la création d’incitants pour l’engagement de jeunes au CDH ne sont que quelques exemples parmi d’autres. C’est sans parler, du côté néerlandophone, de l’amendement sur la légalisation du cannabis apporté au congrès du SP.A par les jeunes socialistes flamands en février dernier. Un amendement approuvé, « contre l’avis des pontes du parti », a-t-on pu lire dans la presse. « Ce n’est pas du jeunisme ou une espèce de green washing avec les jeunes, s’enthousiasme Mathieu Morelle, président des Jeunes CDH. C’est très valorisant et on est surpris d’avoir une telle audience. »
Occasionnellement, cette influence a pu être très importante, nous explique Pascal Delwit à travers deux exemples. Les jeunes CVP, à la fin des années 60, ont joué un rôle majeur dans le tournant régionaliste du CVP. Un mouvement porté à l’époque par Wilfrid Maertens et Jean-Luc Dehaene. Fin des années 70 et début 80, ce sont les jeunes PVV (aujourd’hui VLD) Guy Verhofstadt et Partick Dewael qui, par leur discours très ancré à droite, ont amorcé le tournant néolibéral de leur parti.
À l’école du pouvoir
« Nous sommes tombés le cul par terre. La légalisation du cannabis et la dépénalisation des drogues dures ? C’est juste une fabrication de campagne. Certains jeunes MR n’étaient même pas au courant que ça allait sortir et n’étaient pas d’accord », rechigne Mathieu Morelle, rendant la monnaie de sa pièce à la présidente des Jeunes MR, qui a associé les Jeunes CDH à la N-VA pour leur conservatisme, dans une récente interview accordée au journal L’Écho.
Dans les OJ politiques, on expérimente le pouvoir à toutes ses sauces. Mathieu Morelle n’est président que depuis quelques mois : « Je n’ai pas encore pu m’habituer à mon rôle de président, car nous nous sommes tout de suite retrouvés dans la campagne. C’est une période un peu plus chahutée… C’est le revers de la médaille, certains ont tendance à faire comme les grands… » Alors ces juniors de la politique ne seraient-ils que des petites caricatures de leurs aînés ? Si les luttes de pouvoir existent et que les jeunes se découvrent des pratiques plus politicardes à l’approche des élections, les relations demeurent fraternelles. « On est taquins, mais cela reste cordial », nous dit Jonathan Dawance.
Les jeunesses politiques seraient donc un lieu idéal pour s’entraîner avant d’entrer dans la cour des grands (quand ce n’est pas déjà fait). Car elles sont plus libres, plus conviviales et plus faciles d’accès qu’un parti. « Être dans le parti, c’est moins marrant, on va dans une AG avec des vieux cons, parce qu’il y en a partout… Il y a moins de place pour les jeunes », avance Guillaume Le Mayeur. « Ce n’est pas nécessairement un tremplin, explique Lora Nivesse, mais c’est une belle école de vie. » Une école où l’on prend ses premiers coups, où l’on vit ses premières déceptions et ses premières victoires. Véritables lieux de formation à la politique, les jeunesses politiques « sont aussi le vivier de recrutement des élites des partis, observe Pascal Delwit. Au même titre que la Fédération des étudiants francophones (FEF), dont les derniers présidents ont tous rejoint un parti et sont à peu près tous candidats aux élections… »
Plate-forme des apprentis citoyens : www.apprentis-citoyens.be