La ministre bruxelloise du Logement Céline Fremault a annoncé fin 2017 vouloir lancer une allocation-loyer généralisée pour soutenir les locataires précaires. Mais le dispositif laisse sceptiques les associations de défense des locataires.
Ça bouge en matière de logement à Bruxelles. Après avoir adopté il y a quelques mois la réforme de la régionalisation du bail (conséquence de la sixième réforme de l’État, lire Alter Échos n°250), le gouvernement bruxellois s’est attaqué à un autre gros morceau: la réforme de l’allocation-loyer. Ce dispositif, mis en place en 2014 sous le précédent gouvernement, est destiné aux ménages en attente d’un logement social. L’allocation-loyer complète une série d’autres allocations destinées à soutenir des locataires, soit via une intervention dans le loyer, soit via une couverture d’une partie des frais d’un locataire contraint de quitter un logement insalubre ou inadapté.
Plusieurs conditions sont nécessaires aujourd’hui pour bénéficier de l’allocation-loyer: le demandeur doit être sur une liste d’attente pour un logement social et bénéficier d’au moins 12 points de priorité. Ses revenus ne peuvent dépasser le revenu d’intégration sociale (RIS) et son loyer ne peut pas dépasser le loyer de référence. Depuis 2016, suite à des changements mis en place par Céline Fremault pour renforcer l’efficacité du dispositif, le locataire en difficulté peut enclencher lui-même la procédure, en remplissant un formulaire auprès d’une société immobilière de service public (SISP). En 2017, l’intervention mensuelle de l’allocation-loyer était fixée à 102,32 €, augmentée de 10,23 € par personne fiscalement à charge. L’augmentation est limitée à cinq personnes à charge, soit une intervention maximale de 153,48 € par mois.
Fusion des aides
Céline Fremault veut aujourd’hui mettre en place une «allocation–loyer généralisée». La ministre bruxelloise du Logement entend fusionner les aides existantes – allocation de relogement (l’ex-ADIL, la plus utilisée), allocation—loyer et allocation communale – en une seule et même allocation. Seule survivrait l’allocation du Fonds régional de solidarité, un dispositif de lutte contre l’insalubrité qui intervient en faveur de certains ménages contraints de quitter un logement interdit de location.
Une réforme «superficielle»
Cette refonte du dispositif laisse circonspects les défenseurs des locataires. Pour le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH), ce projet d’arrêté ne répond pas à l’objectif annoncé de simplification des procédures. «Le projet d’arrêté maintient, sans tenter de les intégrer dans un dispositif inédit, les publics cibles et les procédures administratives propres à chacune des allocations», souligne la plateforme de défense des locataires dans une analyse publiée fin janvier, résultant en un «bric-à-brac de démarches encore moins lisibles qu’aujourd’hui». Selon le RBDH, le droit à l’allocation ne devrait dépendre que d’un seul critère: le niveau de revenu du locataire.
Ce labyrinthe administratif engendre un non-recours à cette aide. Ainsi, alors que l’allocation-loyer devrait aider 1.000 à 2.000 ménages candidats locataires à un logement social, ils ne seraient aujourd’hui qu’une quarantaine à en bénéficier. «Cela fait plusieurs années qu’on déplore le manque de personnel dans l’administration», rappelle José Garcia, du Syndicat des locataires. Et de citer l’exemple de l’ex-ADIL, aujourd’hui, allocation de relogement. L’octroi de cette aide, parce qu’elle dépend de la qualité du logement, nécessite des contrôles réalisés par les inspecteurs régionaux. Ils sont chargés de visiter l’ancien logement pour en attester l’insalubrité, et le nouveau logement pour confirmer l’octroi de l’allocation. «En raison du peu d’effectifs, le délai de traitement de la demande d’aide peut mettre jusqu’à un an…», déplore-t-il. Cette lourdeur administrative a aussi été soulignée en commission Logement du parlement bruxellois le 21 décembre dernier.
«Une allocation n’a de sens que dans un système de grille des loyers contraignante», José Garcia, Syndicat des locataires
Les associations dénoncent aussi le budget prévu, 12 millions d’euros sur une base annuelle. «C’est exactement le même budget prévisionnel que celui qui finance les allocations d’aujourd’hui (10 millions d’euros pour l’allocation de relogement et 2 millions pour l’allocation logement social)», regrette le RBDH. «Il incombera donc à certains locataires de payer pour les autres. Certains seront favorisés, comme les familles nombreuses, au détriment d’autres», ajoute José Garcia. Les bénéficiaires de l’allocation de relogement pourraient par exemple y perdre puisque le montant moyen touché par une personne isolée est aujourd’hui de 162,5 euros, selon les calculs du RBDH. Celui-ci est également interpellé par des disparités dans le contrôle des logements. «L’arrêté prévoit que les anciens de l’allocation de relogement se voient imposer systématiquement une visite de leur logement, avec le risque de voir s’envoler l’allocation si celui-ci n’est pas conforme aux normes du Code. Pour les autres, les locataires communaux et les candidats à un logement social, des contrôles pourraient être organisés en fonction des moyens humains disponibles, qu’on sait faibles», analyse Carole Dumont, chargée de recherche.
Loyer de référence
L’arrêté sur l’allocation généralisée prévoit, parmi les conditions, que «le montant du loyer tel que mentionné dans le contrat de bail à sa date de conclusion doit être inférieur ou égal aux montants repris dans la grille indicative de référence des loyers». Pour rappel, cette grille, accessible depuis le début de l’année, propose des loyers de référence estimés sur des critères de localisation, de superficie, d’année de construction ou encore de la présence ou non de double vitrage. Cette condition vise à éviter une inflation des loyers, conséquence observée notamment en France ou en Allemagne. Mais pour le Syndicat des locataires, cela représente un autre problème: «Cette allocation-loyer ne peut être mise en place que si elles n’entraînent pas une augmentation des loyers, on est d’accord. Mais en excluant les locataires dont le loyer est supérieur à la grille, on fait supporter le poids de l’inadéquation des loyers sur le locataire! Une allocation n’a de sens que dans un système de grille des loyers contraignante», défend José Garcia.
Céline Fremault n’a pas encore répondu aux critiques des associations. La première lecture de l’arrêté a eu lieu le 30 novembre dernier. Selon l’agenda espéré de la ministre, le dispositif devrait être totalement opérationnel fin 2018.
En savoir plus
Alter Échos n°450, «Régionalisation du bail à Bruxelles: les locataires laissés sur le carreau?», Manon Legrand, 12 septembre 2017.
Objectif: simplifier la procédure afin d’en faire bénéficier le plus grand nombre. L’avant-projet d’arrêté prévoit de faire passer de douze points de priorité à six, dans le but, comme l’a présenté Céline Fremault, «que l’allocation-loyer bénéficie à davantage de personnes en attente d’un logement social». Côté montant, le plafond démarrera à 110 euros par mois, majoré de 50 euros par personne à charge, sans dépasser un total de 260 euros, contre 150 euros aujourd’hui. L’arrêté prévoit également d’autoriser l’administration à délivrer une décision d’octroi de l’allocation sans preuve formelle d’un contrat de bail en vue de permettre aux locataires de présenter cette aide au bailleur.