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Travail

Le public cible des contrats d’insertion reste très fragilisé

Après un départ mitigé, les contrats d’insertion bruxellois semblent tout doucement trouver leur rythme de croisière. On verra cependant à l’usage s’ils permettent de mettre les jeunes à l’emploi plus longtemps que les 12 mois qu’ils sont supposés durer.

Sur les 1472 jeunes s’étant présentés, seuls 699 ont été jugés prêts «pour s’engager dans un emploi à court terme».

Après un départ mitigé, les contrats d’insertion bruxellois semblent tout doucement trouver leur rythme de croisière. Même si les publics fragilisés sont compliqués à impliquer.

Il y a quelques mois, il admettait que les choses prenaient du temps. Aujourd’hui, Didier Gosuin, ministre bruxellois de l’Emploi (Défi), commence à pousser un – petit – ouf de soulagement. Lancés au 1er juillet 2016, les contrats d’insertion ont connu des ratés au démarrage. Depuis quelque temps, la situation semble néanmoins s’être améliorée.

Pour rappel, les contrats d’insertion sont proposés à tout jeune bruxellois de moins de 25 ans inscrit chez Actiris depuis 18 mois. Et quand on parle de contrat… on parle bien de contrat. Il s’agit d’une embauche à durée déterminée – douze mois – dans le secteur non marchand ou public. De leur côté, les employeurs ont aussi quelque chose à gagner puisque le système est calqué sur le dispositif ACS (agents contractuels subventionnés). Ils bénéficient ainsi d’une prime de 24.000 euros – pouvoirs locaux – à 27.000 euros – organismes publics ou asbl – par an et par jeune en plus de réductions de cotisation sociale.

«Ce qui a incontestablement été sous-évalué, c’est le public […] éligible, qui est très fragilisé et donc très loin du marché de l’emploi.» Didier Gosuin, ministre bruxellois de l’Emploi (Défi)

En mars 2016, un appel à projets avait été lancé à destination des employeurs intéressés. Et un peu plus de 650 contrats avaient été prévus. Problème, dès le début, les jeunes ont été difficiles à trouver. D’après Actiris, du 1er juillet 2016 au 31 décembre 2016, sur les 575 jeunes convoqués par Actiris dans le cadre du contrat d’insertion, seuls 304 s’étaient présentés aux entretiens.

Cuisiné par l’opposition le 13 juillet 2017 en commission Affaires économiques et Emploi, le ministre l’admettait d’ailleurs. «Ce qui a incontestablement été sous-évalué, c’est le public […] éligible, qui est très fragilisé, et donc très loin du marché de l’emploi.» Le problème n’est pas neuf: arriver à «capter» un public jeune et désinséré constitue un problème réel pour l’ensemble du secteur de l’insertion socioprofessionnelle. Actiris constate ainsi que si le genre de la personne convoquée semble avoir peu d’influence sur son taux de présence aux entretiens, le niveau de diplôme et l’âge en exercent une. Et pas des moindres. En gros, plus le jeune est… jeune et peu qualifié, moins il a tendance à se présenter aux entretiens. À titre d’exemple, moins de la moitié des jeunes infraqualifiés (c.-à-d. n’ayant pas de CESS) se présentent aux rendez-vous consacrés aux contrats d’insertion, d’après Actiris.

«La sauce est en train de prendre»

Aujourd’hui pourtant, le constat chiffré semble un peu plus positif. Au 31 décembre 2017, on comptait 1.883 jeunes convoqués dans le cadre du contrat d’insertion depuis le lancement de la mesure; 411 de ces jeunes ne s’étaient pas présentés «et ont donc été désinscrits d’Actiris par la suite», d’après Actiris. Pour expliquer cette amélioration, Actiris avance l’ajout d’une feuille d’information à la convocation reçue par le jeune et un rappel téléphonique fait par un agent administratif. «On avait dit que j’allais me casser la figure. Mais je constate que la sauce est en train de prendre. Pour toute mesure, il faut laisser un peu de temps. Là je suis comblé», constate Didier Gosuin non sans jubilation.

Cela dit, sur les 1.472 jeunes s’étant présentés, seuls 699 d’entre eux ont été jugés prêts «pour s’engager dans un emploi à court terme». Ce qui fait tout de même 772 jeunes «non prêts»… Comment expliquer l’importance de ce chiffre? «Une jeune maman ou un jeune papa peut être ‘prêt pour l’emploi’, mais, si cette personne a un problème de garde d’enfant, elle n’est malheureusement pas en mesure de commencer un contrat d’insertion à court terme», explique-t-on chez Actiris. Et puis il y a toujours cette fragilité du public. «Nous avons constaté que la moitié des jeunes chercheurs d’emploi rencontrés par Actiris n’étaient pas en mesure de s’engager dans un emploi à temps plein à court terme dans le cadre du contrat d’insertion, détaille-t-on du côté du service régional de l’emploi. Cet éloignement du public cible par rapport à l’emploi relève de plusieurs problématiques d’ordre social.»

Notons que, sur les 772 jeunes «non prêts», 43% ne sont plus inscrits chez Actiris à l’heure actuelle. Parmi eux, 61,5% sont au travail, suivent une formation ou ont repris des études. Le reste est soit désinscrit, soit dans ce qu’Actiris appelle des «catégories inactives»

La candidature du jeune peut aussi ne pas être acceptée par l’employeur, ce qui a été constaté dans environ 15% des cas.

Malgré cela, au 30 novembre 2017, Actiris affirme que 354 jeunes avaient été mis à l’emploi au sein de 112 employeurs (communes, CPAS, asbl et organismes d’intérêt public). Plus de 100 jeunes supplémentaires seraient en attente de réponse d’un employeur. Notons que plusieurs phénomènes peuvent expliquer pourquoi un jeune considéré comme «prêt» ne reçoit pas de contrat. Il peut avoir un projet professionnel qui ne correspond pas à la mesure. Certains métiers ne sont pas couverts pour l’heure par les contrats d’insertion. Et pour cause: ceux-ci sont limités au secteur non marchand et aux pouvoirs publics. Si on est coiffeur, comme le souligne Actiris, difficile d’espérer décrocher un contrat d’insertion.

Autre problème: la candidature du jeune peut aussi ne pas être acceptée par l’employeur, ce qui a été constaté dans environ 15% des cas. Un employeur dont la possibilité de refus n’est toutefois pas illimitée. Au bout de trois «non», Actiris peut proposer au ministre de l’Emploi de supprimer le poste. «Quand nous avons fait appel aux employeurs, certains se sont peut-être dit qu’ils allaient disposer d’un emploi gratuit, explique Didier Gosuin. Cela peut expliquer certains des refus. Or il doit s’agir aussi d’un engagement de leur part. Il s’agit de dire aux employeurs: prenez votre part. Si on est trop exigeant dès l’engagement, cela n’ira jamais…»

À l’emploi durablement?

Rappelons que les contrats d’insertion avaient été lancés dans la foulée de l’évaluation du dispositif ACS, elle aussi décrétée par Didier Gosuin. Une évaluation dont un des objectifs était notamment d’aller débusquer les postes ACS irréguliers. Et donc de récupérer des moyens financiers pouvant notamment financer des ACS «rotatifs» limités dans le temps censés servir de pied à l’étrier vers l’emploi pour des publics fragilisés.

S’il paraît aujourd’hui compliqué de savoir avec exactitude quels moyens ont été dégagés par cette évaluation, le cabinet de Didier Gosuin affirme que ceux-ci sont venus alimenter les 21 millions d’euros de budget dévolus aux contrats d’insertion. «Ces contrats d’insertion constituent donc en quelque sorte les ACS rotatifs», déclare le cabinet. Même si on ne peut s’empêcher de penser que le ministre, lorsqu’il avait annoncé des «ACS rotatifs», pensait peut-être à autre chose qu’aux contrats d’insertion. Mais que la faiblesse des moyens dégagés par l’évaluation des ACS en aura eu raison.

Si ces contrats d’insertion sont supposés avoir un rôle de pied à l’étrier, qu’en est-il des résultats? Après un an de contrat, les jeunes retournent-ils au chômage ou bien trouvent-ils un emploi? Sur ce point, Actiris annonce une évaluation «qualitative» pour la période du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017. C’est probablement à ce moment que l’on verra l’impact réel, ou pas, du dispositif sur l’insertion professionnelle des jeunes.

En savoir plus

Alter Échos n°448-449, «Actiris et Bruxelles Formation main dans la main?», Julien Winkel, 13 juillet 2017.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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