Les 25 États membres qui composent l’Union européenne (UE) depuis le 1er mai 2004 ont progressivement mis en place des institutions communes auxquelles ilsdélèguent certains pans de souveraineté. Derrière cette mise en commun, l’idée est de pouvoir prendre démocratiquement des décisions dansl’intérêt commun des 25. Ces institutions incarnent et défendent l’intérêt de l’Europe (Commission européenne), des gouvernements desÉtats membres (Conseil de l’UE) et des peuples européens (Parlement européen).
À ce « triangle institutionnel » s’ajoutent trois autres institutions (le Conseil européen, la Cour de justice et la Cour des comptes) et cinq autres organes (LeComité économique et social, Le Comité des régions, La Banque centrale européenne, Le médiateur européen et la Banque européenned’investissement). Sans minimiser l’importance de ces derniers, le pouvoir décisionnel de l’UE est concentré dans les mains des trois composantes du triangleinstitutionnel. Présentation et aperçu des articulations entre ces différentes instances européennes.
Le Conseil ou l’importance des représentations permanentes et des groupes de travail
Le Conseil de l’UE est l’institution qui dispose du pouvoir de décision. Il est l’émanation des États membres dont les représentants se réunissentrégulièrement à Bruxelles. Soit un ministre ou un membre de son cabinet par pays, ce qui lui donne également l’appellation du « Conseil des ministres »,et bien souvent « Conseil » tout court. Chaque représentant au Conseil est habilité à engager par sa signature le gouvernement entier de son Étatd’origine dans la mise en application des décisions qui y sont prises. Au sein du triangle institutionnel, c’est le Conseil qui représente les intérêts desÉtats membres. C’est donc le Conseil qui décide mais, comme le souligne Christophe Degryse1, principalement sur proposition de la Commission européenne. Il fautsavoir que les décisions du Conseil sont prises à huis clos et qu’aucun document ne sort de ses réunions.
Les décisions du Conseil sont généralement prises à la majorité qualifiée. Les États disposent chacun d’un nombre de voix différent,les plus grands et plus peuplés étant les plus pesants dans la prise de décision. Ainsi, six des vingt-cinq membres totalisent 170 voix sur 321. Et il faut 232 voix pours’assurer une majorité qualifiée. L’importance des six grands et du jeu des alliances comme le fameux axe « franco-allemand » est incontournable vu ce mode dedécisions. Pourtant, certaines décisions sont prises à l’unanimité des États membres dans les domaines considérés « sensibles »,comme la politique étrangère et de sécurité commune, la fiscalité ou encore l’asile. Ces domaines ne sont généralement pas dans lescompétences de la Commission.
Les représentations permanentes : la machine décisionnelle du Conseil
Chaque gouvernement est assisté par une représentation permanente (RP) à Bruxelles chargée de préparer les décisions du Conseil. Ce sont les ambassadesdes États membres auprès de l’UE. Elles se réunissent une fois par semaine à Bruxelles au sein du Comité des représentants permanents adjoints (CoreperI) et au sein du Comité des représentants permanents (Coreper I) en vue de préparer les réunions et les décisions des futurs Conseils2. Le travail des RPest lui-même précédé par des réflexions, médiations et recherches de compromis au sein des « comités consultatifs », et surtout des «groupes de travail » pour chaque domaine étudié. Le Coreper surveille les travaux d’environ 250 comités et groupes de travail, composés de fonctionnaires desÉtats membres. Environ 90 % des décisions du Conseil sont prises par le Coreper.
L’importance des groupes de travail
Ce travail préalable constitue la phase décisive, aussi bien du point de vue technique que politique, dans le modelage des décisions du Conseil : « Un groupe du travail estune arène encastrée dans la structure institutionnelle du Conseil, qui prépare les réunions du Coreper et les rencontres des ministres3 ». C’est leCoreper qui aura le dernier mot sur les propositions effectivement discutées au Conseil. Pourquoi le Coreper est-il si important ? Avec les élargissements successifs,l’augmentation des effectifs, du nombre d’interprètes et par conséquent de la durée d’un simple tour de table du Conseil, de plus en plus de questions sontrésolues dans les enceintes préparatoires de l’institution (Coreper I et II, et groupes de travail) et non par les ministres eux-mêmes lors des Conseils.
Si les décisions du Conseil sont surtout influencées par les positions arrêtées des gouvernements, la ligne politique des États membres est aussi orientéepar leurs représentants permanents au sein de RP et des groupes de travail. Ces derniers puisent une importante légitimité dans les négociations, en raison de leurexpérience du fonctionnement des institutions et de l’appareil juridique communautaire. En effet, ces personnes sont généralement en poste à Bruxelles pour unedurée d’au moins 5 ans. Ils ont le temps de se créer des réseaux de contacts et de maîtriser la complexité des dossiers européens.
La Commission européenne : proposer de nouvelles législations européennes
La Commission européenne est l’administration, qui incarne et défend l’intérêt général de l’Union. Le président et les commissaires de laCommission sont nommés par les États membres, après approbation par le Parlement européen, pour un mandat de 5 ans. Depuis l’élargissement à 25 du1er mai 2004, chacun des États membres nomme un commissaire, soit 25 commissaires siégeant à Bruxelles. Cette institution communautaire est politiquement responsabledevant le Parlement, qui peut la contraindre à la démission en votant une motion de censure, comme en 1999 avec la Commission présidée par Jacques Santer.
Avec les prérogatives qu’elle détient, la Commission européenne est vraiment le moteur du système institutionnel de l’UE. Elle peut proposer les textes deloi qui seront soumis au Conseil et au Parlement, assurer l’exécution des lois européennes et du budget, veiller au respect des traités communautaires et représenterl’UE sur la scène internationale.
Le principe de subsidiarité
Le fonctionnement de la Commission est régi par le concept de « subsidiarité ». Ce dernier vise à proposer une action au niveau européen uniquement si laCommission juge qu’un problème ne peut pas être résolu plus efficacement par une action nationale, régionale ou locale. Ce même principe est égalementvalable au niveau de certains pays. En Allemagne, par exemple, il oriente les rapports entre l’État et les Länder. D’après Jacques Delors, la subsidiarité repose surdeux principes. Premièrement, privilégier, pour les compétences qui ne relèvent pas des États membres, le niveau de décision le plus proche des citoyens saufsi une décision communautaire semble apporter plus que n’importe quel autre niveau de pouvoir cité. Le deuxième principe concerne la force d’action ou lanécessité de déployer des moyens proportionnels à des besoins, c’est-à-dire ni trop ni pas assez.
La Commission compte environ 24.000 employés, soit un nombre de fonctionnaire égal ou inférieur à de grandes villes comme Paris.. Les fonctionnaires travaillent dansles Directions générales (DG) réparties en 36 départements : « Affaires économiques et monétaires », « Emploi et Affaires sociales »,« Éducation et Culture », « Politique régionale » pour n’en citer que quelques-uns. Dans la pratique, les DG conçoivent et rédigent lespropositions législatives de la Commission. Ces propositions n’acquièrent toutefois un statut officiel que lorsqu’elles sont « adoptées » par lescommissaires lors des réunions hebdomadaires de la Commission.
Au fil des ans, toutes ces prérogatives ont fait de la Commission un lieu d’impulsion et d’autonomie. Elle s’est rapidement vu octroyer une place importante face auxinstitutions dominées directement par les États membres. Elle possède à présent un important savoir-faire avec les autorités nationales. André Simon,conseiller général à la Direction des études socio-économiques du SPF Emploi et aussi membre belge du Comité consultatif européen pour l’emploiexplique qu’« au fil des ans, la Commission a amélioré sa communication. Elle expurge les phrases des rapports qui pourraient faire mousser les gouvernements, augmentantainsi la pression politique sur les États membres. » Car, pour la Commission, le plus grand problème demeure l’acceptation par les États membres de la mise enœuvre de stratégies sur lesquelles elle n’a aucune compétence directe . « Le grand problème de la stratégie européenne pour l’emploi est sondéficit de mise en œuvre. Au fil des ans, une des grandes préoccupations de la Commission a été la force de la stratégie de l’emploi, essayer de faire ensorte qu’elle serve à quelque chose, que les gouvernements s’en emparent et fassent ce qu’il faut », poursuit André Simon.
Le Parlement européen reste attaché aux enjeux nationaux
Ces dernières décennies, le Parlement européen – le plus faible dans ce triangle institutionnel au départ de la construction européenne – a vu ses pouvoirsaugmenter considérablement. Il peut désormais approuver, bloquer ou modifier les propositions de la Commission dans certains domaines. Il a désormais trois fonctions essentielles:
• Législative (avec l’adoption des lois européennes sous leurs différentes formes : directives, règlements, décisions);
• Budgétaire (modification des dépenses, adoption définitive du budget);
• Contrôle de la Commission (via la motion de censure).
Le Parlement européen est élu par les citoyens européens tous les cinq ans au suffrage universel direct mais sans que le système électoral ne soit uniforme pourtoute l’UE. Les sessions plénières se tiennent à Strasbourg une semaine par mois. Les commissions parlementaires ainsi que les sessions plénièresadditionnelles se réunissent deux jours par mois à Bruxelles alors que le secrétariat général est installé à Luxembourg.
Le Traité de Nice (entré en vigueur le 1er février 2003) a fixé à 732 le nombre de députés européens. Ils se répartissentselon un critère démographique, l’Allemagne détient le plus grand nombre de sièges (99), suit la France (78). Plus loin, on trouve les Pays-Bas (27), la Belgique(24), jusqu’à Malte avec le plus petit nombre de sièges (5). Cependant, les députés sont réunis, non pas en groupes nationaux, mais au sein de groupespolitiques transnationaux représentant les grandes tendances politiques présentes dans les États membres de l’Union.
Comment fonctionne le Parlement européen ?
Les travaux du Parlement se divisent en deux grandes étapes4. La première consiste à préparer la session plénière par les députésréunis au sein de commissions parlementaires spécialisées dans les différents domaines d’intervention de l’UE. La deuxième étape est composée de lasession plénière proprement dite, réunissant cette fois l’ensemble des députés, pour une analyse de la proposition.
Lors des séances plénières, les rapporteurs présentent leurs dossiers, et les députés désignés par leur groupe politique interviennent sur lesquestions à l’ordre du jour. Il s’agit, le plus souvent, de propositions législatives, de communications du Conseil ou de la Commission et de questions liées àl’actualité de l’UE ou à la politique internationale. L’assemblée vote sur les amendements aux propositions législatives, avant de voter le texte dans sonintégralité.
A la fin des années 80, la question du partage des tâches et de mise en réseau des parlements nationaux et européen est apparue au grand jour. Cependant, les visions« fédéralistes » des uns (Benelux, Italie, Irlande) s’ajoutent aux réflexes « souverainistes » des autres (Royaume-Uni et Danemark, puis,après leur adhésion en 1995, Suède et Autriche) pour rendre impossible le développement du réseau parlementaire. Selon Paul Magnette, professeur àl’Institut des études européennes de l’ULB, officiellement, les parlements nationaux et européen continuent à appeler à une coopération plusintense. Dans les faits, l’attitude parlementaire demeure dominée par les interprétations divergentes.
De cette situation se dégage une asymétrie des pouvoirs de l’UE : les organes exécutifs sont de plus en plus imbriqués (dans le cadre du Conseil, du Coreper, descomités), alors que les instances parlementaires demeurent isolées. Comme le souligne le conseiller maître à la Cour des comptes, Jean-Luc Mathieu, cette absence deréseau parlementaire est à la fois la cause et la conséquence du phénomène suivant : les mêmes actions publiques sont interprétéesdifféremment selon les contextes politiques variant d’un État membre à l’autre. C’est parce que les élus se sentent dans la nécessité delégitimer leur action communautaire dans les termes propres à leur milieu politique d’origine. Mais c’est aussi parce qu’il n’existe pas de lieu doté desréférences communes.
Mais ce n’est en aucun cas pour autant qu’on peut estimer le fonctionnement du Parlement européen comme inefficace. Pour preuve, deux « actes forts » du Parlementces dernières années. En mars 1999, sous menace de motion de censure, il contraint la Commission Santer à la démission. En février 2005, en adoptant le rapportd’Anne Van Lancker, la commission de l’Emploi et des Affaires sociales du Parlement européen a rejeté la directive « Bolkestein » dans sa version initiale.
Les autres institutions européennes
Le Conseil européen
Appelé encore le « Sommet européen », il réunit les présidents et les Premiers ministres des États membres ainsi que le président de laCommission. Les réunions ont lieu au moins deux fois par an. Son poids dans le fonctionnement des Communautés n’a cessé d’augmenter, au moins autant que pour lacoopération entre États. Il traite des grands problèmes qui concernent les États membres, et arbitre les questions communautaires, restées non résolues auniveau du Conseil de l’Union européenne. Ce qui est décidé lors des Conseils européens a des chances de prendre corps ensuite… sauf quand un accord defaçade masque une absence concrète de volonté politique.
La Cour de justice européenne
Assure le respect et l’interprétation uniforme du droit communautaire. Siégeant à Luxembourg, elle est compétente pour les conflits entre États membres, lesinstitutions communautaires, les entreprises et les particuliers.
La Cour des comptes
Vérifie la légalité et la régularité des recettes et dépenses de l’Union et s’assure de la bonne gestion financière du budget européen. Lesiège de la Cour se situe aussi à Luxembourg. Elle présente chaque année à l’autorité budgétaire (le Parlement européen et le Conseil) unrapport sur l’exercice financier écoulé. Les commentaires qu’elle formule dans ce rapport annuel jouent un rôle prépondérant dans la décision duParlement d’approuver ou non la gestion du budget par la Commission.
Le Comité économique et social européen (Cese)
C’est un organe consultatif qui représente les vues et les intérêts de la « société civile organisée » (principalement les partenairessociaux) vis-à-vis de la Commission, du Conseil et du Parlement européen. Sa consultation est obligatoire pour les décisions en matière de politique économique etsociale. En outre, il stimule le rôle de la société civile dans les pays tiers. Il peut aussi émettre des avis sur des thèmes qui lui paraissent importants. Le Cesesiège à Bruxelles.
Le Comité des régions
Veille au respect de l’identité et des prérogatives régionales et locales. En affectant des membres à des commissions spécialisées, le Comité estobligatoirement consulté dans des domaines suivants : politique de cohésion sociale, politique économique et sociale, développement durable, culture et éducation,affaires constitutionnelles et gouvernance européenne et enfin relations extérieures. Au final, c’est le Comité qui adopte les avis. Son siège se situe àBruxelles.
La Banque centrale européenne (BCE)
Définit et met en œuvre la politique monétaire européenne ; elle conduit les opérations de change et assure le bon fonctionnement des systèmes de paiement. Leprincipal organe de décision de la BCE est le Conseil composé notamment des gouverneurs des banques centrales nationales des douze pays de la zone euro.
La Banque européenne d’investissement (BEI)
C’est l’institution financière de l’Union européenne. Elle finance des projets d’investissement pour contribuer au développement équilibré de l’Union. La BEIest financée par des emprunts levés sur les marchés financiers et par ses actionnaires, à savoir les États membres de l’UE qui participent conjointementà son capital, la contribution de chaque pays reflétant son poids économique dans l’Union. Le siège de la BEI se situe à Luxembourg.
Le Médiateur européen
Peut-être saisi par toutes personnes physiques (citoyens) ou morales (institutions, entreprises) résidant dans l’Union et s’estimant victimes d’un acte de « mauvaise administration » de lapart des institutions ou organes communautaires.
Travaillant à Strasbourg, il est élu par le Parlement européen pour un mandat de cinq ans renouvelable, correspondant au mandat des parlementaires européens. LeMédiateur peut adresser des recommandations aux institutions européennes et signaler un problème au Parlement européen pour que celui-ci prenne des mesures politiques quis’imposent. Pour déposer une plainte, il faut l’introduire dans un délai de deux ans à partir de la date à laquelle la personne a pris connaissance del’acte de mauvaise administration européenne5.
1. In Dictionnaire de l’Union européenne, 1998, p. 194.
2. Coreper (I et II) sont composés d’environ 1500 représentants, toutes professions confondues. Pour plus de détails, voir l’article p. 8.
3. E. Fouilleux , J. De Maillard , A. Smith, in Intégration européenne, entre émergence institutionnelle et recomposition de l’État, 2004.
4. Pour aller plus loin, consulter EAPN, Documents pédagogiques sur l’Union européenne, 2005
5. La procédure de dépôt de plainte est accessible depuis le site du Médiateur :