La campagne est peuplée de fermiers et d’ouvriers agricoles, envahis par des hordes urbaines qui n’entendent rien à l’agriculture ! Le cliché est encore bienprésent et, pourtant, très loin de la réalité. Une réalité marquée par des clivages sournois et une socialisation en pleine évolution.Démythification avec Daniel Bodson, sociologue spécialiste du monde rural.
L’image bucolique de la verte campagne et de ses paysans bourrus et âpres au labeur que viennent envahir des citadins snobinards est un gros cliché quasi sans fondement.A part peut-être l’arrivée, dans le dernier quart du siècle passé, de Bruxellois dans le Brabant wallon. En tout cas, pour Daniel Bodson1, sociologue de l’UCL etspécialiste du monde rural, il faut être clair : « la population active de nos campagnes est constituée pour 65 % de cols blancs, et les agriculteursreprésentent moins de 1,5 % de la population ! » De surcroît, les nouveaux habitants d’un village proviennent majoritairement des patelins avoisinants. « Cecidit, souligne Daniel Bodson, être un col blanc ne veut pas dire que l’on travaille à la ville, que du contraire. Les habitants des petites bourgades et des villages sont, par exemple,des instituteurs qui enseignent dans une école proche, des employés administratifs, des commerçants, etc. »
Daniel Bodson s’est vu confier en 2009, par le ministre wallon en charge de l’Agriculture et de la Ruralité, une étude sur les relations entre les agriculteurs et lasociété. D’emblée, le sociologue pointe que le distinguo entre agriculteurs d’une part et « reste de la société » de l’autre n’est sans doutepas pertinent du point de vue de l’analyse sociologique. Mais il lance tout de même son étude et en ressort une foule de résultats et d’analyses fort intéressants.
A part la boue sur la chaussée, tout va bien !
Dans un premier temps, l’étude sonde les « résidents non-agriculteurs ». La question suivante leur est posée :« Préférez-vous vivre dans un village sans exploitations agricoles ? » Et la réponse est sans appel : non, à 90 %. Les fermes sontdonc plébiscitées par les résidents non-agriculteurs. Ceux-ci qualifient en outre les relations qu’ils ont avec les agriculteurs de cordiales ou très cordiales.
Les résidents non-agriculteurs ressentent-ils les effets de l’agriculture (bruits, odeurs,…) dans leur quotidien ? Finalement assez peu, ressort-il de l’enquête.L’activité agricole n’est en fait dérangeante que pour un peu moins d’une personne sur dix. Et la boue laissée par les tracteurs sur les chaussées est un des effets lesmoins appréciés.
Pour les résidents non-agriculteurs, ce que les agriculteurs devraient changer relève d’abord de leur manière de travailler (plus soigneux…). Les non-agriculteurs souhaitentaussi que les fermiers soient plus ouverts au dialogue et à la communication et qu’ils manifestent un peu plus de civisme.
Le point de vue des agriculteurs et de leur famille n’est pas très éloigné de celui des non-agriculteurs. 64,6 % des fermiers expriment des qualifications positives àl’égard des non-agriculteurs. Ce qui laisse malgré tout 30,6 % de qualifications négatives… La liste des qualificatifs pour qualifier les non-agriculteurs témoigned’une coexistence largement non conflictuelle. L’ensemble des qualificatifs négatifs « traduit le sentiment d’être incompris et méprisé par l’ensemble de lapopulation », peut-on lire dans les résultats complets de l’étude, publiés dans « Les Nouvelles de l’Eté » du troisième trimestre2009, la revue éditée par la Direction générale de l’agriculture.
En conclusion de son étude, Daniel Bodson souligne que, même si les rapports entre agriculteurs et non-agriculteurs souffrent de quelques difficultés, ce clivage est peupertinent pour analyser la vie villageoise. Le sociologue de l’UCL relève plutôt une évolution inéluctable d’une vision endogame vers une vision exogame. A une vision d’unmonde communautaire fait de citoyens dont les relations sont fonction de la proximité géographique, succède une vision dominée par la logique de marché,constituée de consommateurs dont les relations sont déterminées par la proximité économique.
« D’un univers qui se pensait comme particulier, non substituable, et qui se vivait sur le mode de l’appartenance, le village est devenu un espace parfaitementinterchangeable, relativement indifférent, objet d’attachements momentanés et successifs et vécu sur le mode de la consommation », soutient Daniel Bodson. Celadonne naissance à une nouvelle forme de sociabilisation, faite de villageois relativement désimpliqués de la sphère collective.
« On n’est plus attaché à son village comme on l’était auparavant, explique-t-il. Aujourd’hui, on habite ici, dans trois ans on sera ailleurs si le parcoursprofessionnel l’exige. » La satisfaction des besoins individuels immédiats a pris le relais et c’est une nouvelle sociabilité qui s’est mise en place. La proximitéspatiale ne contraint plus la proximité sociale, selon Daniel Bodson. Ce n’est pas parce que j’habite dans le même village que je dois entretenir des relations amicales. Au contraire, lasociabilité villageoise traditionnelle estompait les différences entre groupes sociaux. « Le notable échangeait quelques mots avec le paysan ou l’ouvrier quandil le croisait », selon l’image de Daniel Bodson.
Le clivage sournois de la mobilité
La sociabilité élective contemporaine observée dans le monde rural wallon n’est pas sans conséquences, parfois dramatiques. C’est en effet un clivage sournois qui sedessine dans nos campagnes, entre les nantis et les précarisés, en particulier du point de vue de la mobilité. Pour les habitants peu aisés de nos campagnes, le choix estcornélien entre une mobilité qui ruine ou une immobilité qui exclut.
Le constat est posé et il traîne dans son sillage une série de questions fondamentales d’aménagement du territoire. Les transports en commun ne pourront bien sûrpas tout résoudre. « Il va falloir trouver d’autres formes d’accessibilité, il va falloir inventer des choses », conclut Daniel Bodson.
« L’amour est dans le pré », ou le succès du divertissement fermier
« L’amour est dans le pré » est l’un des premiers programmes de divertissement en Belgique francophone. La formule est simple : mettre en contact des femmes– a priori plutôt citadines, ou en tout cas certainement pas agricultrices – avec des agriculteurs.
« Notre émission fonctionne sur trois ressorts universels, explique Anne Franck, productrice et rédactrice en chef : la quête de l’amour, le retour au vert etle changem
ent de vie. »
Pour les femmes urbaines pure souche, le contraste est effectivement saisissant. « Souvent, elles écrivent qu’elles aiment beaucoup les animaux, relève la productrice. Un »Oh qu’il est beau, le petit veau ! » est classique de la part de ces dames, qui vont se rendre compte assez vite que la réalité est différente de ce qu’elles avaientimaginé. » Pour que l’agriculteur gagne sa vie, il doit en effet conduire ses animaux à l’abattoir. « Ce qui ne l’empêche d’ailleurs pas d’aimer lui aussises animaux, souligne Anne Franck. Les agriculteurs ont le plus grand respect pour leur cheptel. »
La vie au vert et les belles images fonctionnent aussi comme des arguments attractifs. Et, même si la vie de fermier ne correspond pas toujours aux clichés, elle conserve des atoutscertains : attachement à des valeurs traditionnelles, vie en famille, petite flexibilité dans l’organisation même si le métier est dur, travail en plein air, etc. Pourquelqu’un qui vient de la ville, c’est intéressant. « En tout cas, toutes les femmes qui ont fait l’expérience d’un séjour à la ferme en sont revenuesenchantées », souligne Anne Franck.
Par ailleurs, les agriculteurs eux-mêmes se disent assez satisfaits de l’émission, selon Anne Franck, car elle montre la réalité de leur métier, un travaildifficile et finalement peu connu.
« Améliorer les relations entre ruraux et néoruraux,objectif 2008 pour trois communes gaumaises«
1. Daniel Bodson, IACS
– adresse : place Montesquieu, 1 bte L2.08.05 à 1348 Louvain-la-Neuve
– tél. : 010 47 42 44
– courriel : daniel.bodson@uclouvain.be