François Casalengo est l’auteur de Traumatisme primaire et aménagement du territoire chez le sujet SDF1. Ce mémoire révèle que le sans-abri estbien plus socialisé et structuré qu’on ne le pense.
L’errance. C’est lors d’un stage chez Babel, un service ambulatoire pour patients toxicomanes en difficulté psychiatrique, que l’idée s’est imposée à FrançoisCasalengo. Il tenait son sujet de mémoire pour décrocher son master en sciences psychologiques. « J’aime marcher, déclare-t-il, mais mes circuits sont des circuits dedésir. Je me suis interrogé sur les circuits des SDF. Et j’ai découvert qu’ils n’étaient pas dans l’errance, mais que leurs circuits sont hyper-organisés. Leurerrance est très structurée. »
Au niveau méthodologique, François Casalengo a préféré recueillir des témoignages plutôt que d’établir des statistiques. Il avait besoin derendre compte d’une parole, d’écrire pour les sans-voix. Il l’a donc joué dans la simplicité. Il s’est établi un horaire pour ces circuits et est parti à larencontre des SDF avec son dictaphone. Son terrain ? Bruxelles-Ville : gare du Nord, gare du Midi, le centre, le quartier Louise, les Marolles… À chaque rencontre, il expliquaitqu’il faisait un travail sur le quotidien des SDF : « Je ne me présentais pas vraiment, je ne parlais pas du but de mon mémoire, puis je voyais comment on m’accueillait.Certains m’ont pris pour un journaliste, un autre pour un travailleur social et un autre encore pour un psy. Si l’on me posait la question, je disais que je faisais des études depsy. »
Histoires de pertes
Dans son mémoire, se référant à d’autres auteurs, François Casalengo définit sa population – difficile de nommer et de circonscrire – etretrace l’historique de « l’appellation contrôlée » SDF. Il constate que « ces gens-sans-lieu ont été des écrans àprojection, producteurs de peurs sans fondement » et que « vivre dans la rue est devenu en ce début de siècle la crainte d’une classe moyennefinissante ».
Se basant sur d’autres études, François Casalengo constate que très souvent les SDF ont dû assister à la perte d’eux-mêmes en plus d’autres pertes (emploi,logement…). « Ils ont en quelque sorte été contraints d’être présents à leur propre enterrement. Ils ont tous un vécu de deuil. Et ils se sontaussi rencontrés via la perte : « on s’est rencontré quand j’ai perdu mon GSM, mon CPAS… » Ils adhèrent par leurs pertes, mais cela peut aussi les structurer. »Le lien qu’ils établissent alors entre eux sert de dépôt du récit de cette perte.
Sur le terrain, il a également pu vérifier à quel point les SDF étaient ancrés à leur territoire. « Quand je leur demandais : « Vousbougez ? ». Ils me répondaient : « Non, je suis toujours ici ». Ils disaient cela en touchant le mur ou le sol. Comme s’ils avaient besoin d’un contact, de toucher le lieu. Enmême temps, quand je retournais à ces endroits à d’autres moments, ils n’étaient plus là. Mais leur absence vaut pour un rendez-vous. Il y a chez eux uneobsession d’être situé, d’être retrouvé : “Je suis archi-connu, je serai toujours ici.” Quand le chez-soi n’existe plus, on tient en place des territoires,un peu comme les bandes urbaines. » Et l’auteur de constater que les SDF vivent dans des résidus de territoire, souvent sans horizon : « Quand on leur demande defaire une photo, il n’y a que des immeubles. Il y a une forme de carcéralité. Si je leur demande de dessiner, ils dessinent tout ce qui bouche l’horizon. Ils comblent levide. »
Autre constat, et non des moindres, on découvre un SDF socialisé. De quoi remettre en cause certains discours actuels, selon lesquels le maintien de liens sociaux évite de seretrouver à la rue. Précisons que François Casalengo n’est pas seul à observer cette socialisation du SDF, d’autres auteurs l’ont fait avant lui. Il faudrait doncdavantage chercher du côté d’un traumatisme pour expliquer la descente à la rue. D’autres acteurs de terrain ont d’ailleurs constaté que reloger un sans-abridébouche souvent sur l’isolement de celui-ci dans son logement. « En fait, les SDF sont hypersocialisés, conclut notre interlocuteur. Ils connaissent très bien tousles réseaux d’aide pour SDF et le fonctionnement des institutions sociales. Parfois mieux que les professionnels. »
Une chose est sûre : François Casalengo a été fasciné par son approche. Aujourd’hui, son master en sciences psychologiques en poche, il est en recherche d’unemploi. Il souhaiterait poursuivre dans la lignée de son mémoire : faire des entretiens en face à face de gens en situation de crise, de précarité.
1. François Casalengo, Traumatisme primaire et aménagement du territoire chez le sujet SDF, (mémoire), ULB, Faculté des Sciences psychologiques et del’Éducation, 2008-2009 – courriel : casalengo@hotmail.com