À l’initiative du Secrétariat régional au développement urbain1 s’est tenu le 15 mai dernier le « Deuxième Forum bruxellois de larevitalisation urbaine ». Après dix années de contrats de quartier (CQ), le moment était venu de « faire le point sur la revitalisation urbaine à Bruxelles engénéral et sur le fonctionnement de l’outil “contrat de quartier” en particulier », introduisit Luc Maufroy, directeur du SRDU. L’objectif était deréfléchir, ensemble, de formuler des critiques et, sur la base des constats proposés en séance plénière, de poursuivre sur des pistes. Celles-ci,abordées lors de cette « journée prospective », sont déjà poursuivies lors d’ateliers planifiés ce mois de juin (infos sur le site). Ce 15 mai, cesont deux cents acteurs des CQ qui s’étaient ainsi retrouvés pour réfléchir et prospecter les idées à transmettre au futur nouveau gouvernementbruxellois.
1. Définition « de référence », tactique et réalisations
« Le cadre de référence pour s’attaquer à la dualisation croissante de la ville et lutter contre les inégalités de développement reste le Planrégional de développement. Une politique de programmes opérationnels visant à initier une nouvelle dynamique de développement dans les quartiers fragilisés,au profit de leurs habitants », définit Patrick Crahay, directeur de la Rénovation urbaine du ministère de la Région Bruxelles-Capitale2. « La tactique,c’est donner une impulsion, créer un impact visible par une action globale concertée, en se basant sur un diagnostic qui fait état des atouts et faiblesses de la zone surlaquelle on va intervenir, avec des projets qui doivent se concrétiser et qu’on réunit sur un territoire et un espace-temps limités ».
En ce sens, Patrick Crahay entend cette tactique comme un « outil efficace » dans la mesure où l’ensemble de la zone de la couronne ouest de Bruxelles, et plus de lamoitié du Pentagone, est maillée des CQ mais aussi des Zones de développement renforcé. En termes de densité, six cents projets sont identifiés, dont unepartie est réalisée pour les deux premiers trains de CQ, grâce à des moyens renforcés. Par an, le budget s’élève, tous niveaux de pouvoirconfondus, à 40 millions d’euros (10 millions par contrat).
« Cela donne pour les différents volets des contrats :
> au niveau du bâti : 600 logements produits sur six années ;
> 96 projets d’équipements à réaliser – certains le sont déjà (cinq des treize salles de sports prévues sont réalisées), ilstouchent à l’accueil de la petite enfance (quatre sur treize réalisés), des maisons de quartier (six sur treize) et 57 projets divers : locaux pour associations, insertionsocioprofessionnelle ou des locaux socioculturels ;
> requalification de l’espace public, assurée principalement par le Service public fédéral pour la mobilité et les transports (SPFMT) pour un budget de 12,5millions d’euros ;
> volet action sociale avec 4 % du montant global réservé aux actions sociales avec 282 projets en cours d’exécution ; ils concernent la communication, laparticipation, l’encadrement du relogement des habitants, l’incitation à la rénovation, la salubrité des logements, l’éducation, l’animation, lacitoyenneté, les loisirs ou encore l’insertion socioprofessionnelle. »
Et le directeur de la Rénovation urbaine de tempérer ses propos. En soulignant l’importance d’abord de la nécessité d’anticiper la gestion locativedes réalisations, notamment par un travail de formation des acteurs et une plus grande participation des habitants. Mais, surtout, il admet l’échec partiel du volet 3 concernantles partenariats entre secteur public et privé, « le plus difficile à mener », ajoute-t-il : avec les investisseurs privés, ça ne fonctionne que s’ilssont déjà présents dans le quartier ; pour reconnaître en sus « l’effet pervers » dans certains cas : « le départ des populationsfragilisées à la suite de la gentrification permise par l’amélioration des espaces publics et la rénovation du bâti ».
2. Constats et pistes pour améliorer l’outil
Un groupe de préparation du Forum, conduit par le sociologue Bernard Francq, (UCL) a adressé aux participants cinq constats relevant des CQ :
> « Le CQ n’est pas encore un projet de développement urbain » : l’échelle du quartier est en effet vécue différemment tant des habitants quepour certains bureaux d’études qui contestent le périmètre du CQ, souvent vécu comme un enfermement ; de plus, le programme se construit en fonctiond’opportunités et les questions qui ne peuvent être traitées restent la plupart du temps sans réponse ; comment, autrement dit, abandonner la logique «d’urbanisme administratif » pour réfléchir en termes globaux, en agissant comme outil de transformation sociale et culturelle du territoire ; néanmoins…
> « Le CQ est aujourd’hui le seul instrument de revitalisation intégrée » : « Par sa vocation à lutter pour les quartiers fragilisés et parcequ’on a cherché à institutionnaliser une concertation, voire une participation – qui pour le moment pose bien des problèmes – mais c’est un outillimité par son cadre institutionnel, financier, etc. Il ne sait répondre en profondeur et sur le long terme à des questions plus larges comme l’enseignement, la culture, lesocial ou… l’emploi […]. C’est vrai pour le logement car le CQ n’est qu’un instrument parmi d’autres », affirme encore Bernard Francq ;
> « La revitalisation urbaine, c’est plus que de l’urbanisme ; le diagnostic ne le traduit pas encore assez » : outre le fait de manquer de données brutes (parex. les équipements collectifs), les bureaux d’études, ne disposant que de trois mois pour formuler une « situation existante et des diagnostics », sont de plus enplus mis sous pression ; dès lors « ils ne peuvent aborder qu’une analyse très urbanistique du quartier et ne peuvent aborder la réalité sociale comme lesrelations du périmètre avec les quartiers voisins, que de manière factuelle » renchérit le chercheur avec, « in fine, le constat d’impuissance àagir » ;
> « Les résultats deviennent visibles, attaquons-nous à la gestion ! » : « Lorsque les réalisations sont terminées et que la question de leurgestion n’est pas tranchée, règne chez les bénéficiaires une certaine incompréhension […] : à traiter d’urgence et à penserdès l’élaboration de la programmation du CQ » ;
> « La communication est une évidence, mais cela ne va pas de soi ! » : trop peu d’infos circulent sur les CQ, « les habitants risquent de se désinvestirdu processus en cours dans leur quartier et de passer à côté d’opportunités » ; par ailleurs vu « la rare complexité des institutions bruxelloiseset du secteur économique, la communication devrait également être ciblée en fonction de l’interlocuteur », achève Bernard Francq.
Pistes pour le concept de revitalisation urbaine
À ces constats faisaient alors écho une série de « pistes », proposées par un groupe de témoins privilégiés des CQ ; elles portent surle concept même de revitalisation.
> Enrichir le diagnostic préparatoire aux actions en donnant plus de temps aux bureaux d’études et aux communes ;
> Mettre en place un « Observatoire régional des quartiers pour rendre au niveau supra-communal des informations comparables et harmonisées » ;
> La concertation supra-locale des acteurs publics lors de la préparation des projets : en l’état actuel, elle est difficile à mettre en place par les travailleurs deterrain ; certes complexe et lente, cette possibilité pourrait toutefois conduire à un « véritable programme de développement intégré de quartier,susceptible d’emporter une plus grande mobilisation de la population ».
> Dernière piste : mettre en place une table régionale “logement et emploi” : pour répondre au mieux à la pression de l’équation“travail-logement”, plus forte sur les quartiers paupérisés, il conviendrait « d’inventorier les instruments, les subsides et les acteurs concernés etd’organiser leur rencontre autour d’une table ».
3. Débats : améliorer la communication et la coordination
Les acteurs de terrain de leur côté n’étaient pas en reste. Nadine Heim, secrétaire générale d’Habitat et rénovation : « Ilfaudrait placer deux chefs de projet, un pour le volet urbanistique, l’autre pour le volet social, en assurant financièrement cette possibilité d’une personnemandatée pour favoriser la participation des habitants. » Pour un travailleur ixellois, « si la communication est difficile dans les CQ, c’est parce qu’ils sont desoutils fondamentalement ambigus : comment expliquer aux habitants que les travaux peuvent favoriser leur éjection ? En contrepartie, s’ils en ont conscience, cela pourrait provoquer leurmobilisation au sein de la Commission locale de développement intégré (CLDI) ». Pour Roland Vandenhove (projet Poly-Bonnevie, Molenbeek), « une autredifficulté est d’expliquer aux habitants qu’on va réaliser leurs envies mais que ça va se faire 5 ans après. Ce problème de la mobilisation àlong terme et de l’essoufflement est encore renforcé par les infos peu fiables du fait des délais aléatoires et de la diversité des interlocuteurs. Cela serépercute sur l’info diffusée aux gens avec le risque de perdre crédit à leurs yeux ».
4. « Bourse à idées »
Marquant le caractère prospectif du Forum, une série d’expériences et de pratiques étaient présentées aux participants, soit lors d’uneprésentation orale ou d’un débat, soit sous forme de document vidéo ou de borne internet.
Des liens entre rénovation et économie sociale
« Pour répondre au plus près aux besoins d’une commune, le Centre de rénovation urbaine et l’Union des locataires d’Anderlecht de Cureghem3 ontlié la rénovation de maisons à destination de logement social avec la mise à l’emploi et la formation de sans-emploi. Au total, 30 personnes ont travaillé etont été formées sur quatre ans », explique Khalid Al Zemmouri, dont la structure a intégré le CQ « Chimiste ». La difficulté est double.D’une part, « il faut pouvoir rentrer dans un cadre légal, ce qui, du fait qu’on rénove des bâtiments communaux, demande de passer par un appel d’offrespublic, aussi, dès le départ, on spécifie que les communes doivent faire appel à des entreprises d’insertion professionnelle, élément sur lequel lescommunes sont plutôt réticentes ; d’autre part, on doit veiller à la qualité de l’encadrement des personnes mises au travail pour que leur formation porte sesfruits », achève le responsable du projet.
« Stadsvernieuwingfonds Vlaanderen » : travailler sur base d’appel à projets
Afin d’éviter le « saupoudrage des moyens financiers », la Flandre a établi ce fonds pour concentrer les moyens financiers (à hauteur de 25 millionsd’euros) sur un petit nombre de projets, à Bruxelles notamment. « Le rôle du subside s’en trouve transformé, explique le SRDU, en effet, dans un mécanismed’appel à projets, le porteur doit faire apparaître clairement la plus-value qu’il entend obtenir par l’investissement public, […] un jury extérieurétablit une présélection des projets, qui devront ensuite être approfondis jusqu’à la sélection présentée au ministre. »
Capitaliser des expériences : les atouts du Net
En France, les centres de ressources non seulement proposent de la documentation, mais ont pour « mission principale de contribuer à la qualification collective des acteurs de lapolitique de la ville ». À consulter :
> http://www.ville.gouv.fr/infos/dossiers/ ressources.html (site du gouvernement français sur les centres de ressources)
> http://www.irdsu.net (site inter-réseaux français des professionnels du développement social urbain)
> http://wwwprofessionbanlieue.org (centre de ressources de la politique des villes en Seine-Saint-Denis).
5. « Les pistes venant du terrain seront prises en compte »
Le ministre en charge de la Revitalisation des quartiers s’est d’abord félicité d’avoir atteint la mission de regroupement des dispositifs existants et des moyensmis à disposition au début de la législature permettant d’impulser la revitalisation. Il propose ensuite de « maintenir les CQ comme le pilier de la politique derevitalisation mais, puisqu’un CQ ne résoudra pas tous les problèmes de son périmètre, les résultats du CQ seront compromis s’il entraîneparadoxalement une diminution des autres moyens investis. Il faut dégager d’autres solutions permettant de créer l’effet de levier, en augmentant les collaborations avec lesautres pouvoirs ». (Samedi 5 juin, sur Télé-Bruxelles on se rappellera qu’Eric Tomas (PS), face aux autres ministres bruxellois, a plaidé pour le doublement du budgetréservé aux contrats de quartiers.) Il affirme ensuite que « les pistes venant du terrain sont réalisables et seront prises en compte dans le comité de pilotage».
6. Suites concrètes…
La « boîte à idées » a été également remplie de demandes de poursuivre et d’approfondir les solutions d’amélioration pour lefonctionnement des CQ. Le SRDU a donc relancé les réflexions pour arriver le plus loin possible dans les améliorations. Entre le 17 et le 28 juin, quatre groupes se partagerontle prolongement des pistes avancées dans le but de présenter ces propositions au nouveau gouvernement. L’ensemble des propositions sera présenté le 15 juillet pourla « clôture (provisoire) » du travail lors d’une soirée.
1. Secrétariat régional au développement urbain (SRDU), quai aux Briques 76/3 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 500 36 36, courriel : contact@sdru.irisnet.be, site : www.quartiers.irisnet.be – contact: Luc Maufroy, directeur. Possibilité de recevoir la « Lettre du SRDU » en s’inscrivant sur le site.
2. Administration de l’Aménagement du Territoire et du Logement, Service Rénovation urbaine, Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, rue du Progrès80/1 à 1035 Bruxelles, tél. : 02 204 21 11, courriel : aatl.renovation-urbaine@mrbc.irisnet.be
3. CRU-ULAC, chaussée de Mons n°291 à 1070 Bruxelles, tél. : 02 522 62 23.