En plein boom pour le secteur de l’alimentaire, le commerce équitable est par contre à la peine dès lors que l’on s’intéresse au domaine de l’artisanat. Unerecherche-action menée par SAW-B1, Citizen Dream2, la coopérative Émile3 et Oxfam-Magasins du monde4 tente d’identifier les raisonsd’un tel mal-être…
Le commerce équitable est à la mode, du moins pour le secteur de l’alimentaire… Une recherche-action menée par la Fédération d’économie socialeSAW-B, un entrepreneur du secteur (Citizen Dream SA, entre-temps tombé en faillite – un signe ?), une coopérative (Émile) et un acteur associatif (Oxfam – Magasins du monde),secondés par un bureau de marketing (Connexe), tire en effet la sonnette d’alarme en ce qui concerne l’artisanat équitable. « Si des produits alimentaires équitables commela banane ou le café représentent des parts de marché de 5,5 à 20 % dans un pays comme la Grande-Bretagne et sont bien présents dans les cercles de grandedistribution, l’artisanat équitable, quant à lui, est à la traîne et limite sa présence aux seuls magasins du monde et aux petites boutiques », affirme ainsiJoël Van Cauter, fondateur de l’entreprise Citizen Dream et principal chargé de mission de la recherche-action. En Belgique, l’artisanat représenterait ainsi environ 6 % des venteséquitables « de gros » et 23 % des ventes équitables « au détail ». Des chiffres en baisse…
Face à ce constat, la recherche-action a tenté de mettre en lumière une série d’explications à cette situation paradoxale. Partant d’une réflexionthéorique alimentée par plusieurs travaux « extérieurs », les différents partenaires ont ensuite confronté leurs hypothèses aux acteurs deterrain. « Nous avons interrogé près de 43 producteurs et distributeurs actifs dans le commerce équitable en Inde, au Vietnam, au Laos, au Kenya, en Belgique ou dansd’autres pays européens, continue Joël Van Cauter. Nous avons par ailleurs questionné 17 entreprises de distribution du marché « classique » en Belgique. » Leshypothèses de base, avalisées par la plupart des interlocuteurs, mettent en avant un secteur économique mal outillé, fragile et sous-exploité. Point positif : leslacunes constatées ne seraient pas directement liées aux spécificités du secteur équitable que sont le paiement d’un prix équitable et l’accompagnement d’unepopulation active défavorisée…
Une série de faiblesses à corriger
La première des grosses faiblesses de l’artisanat équitable semble être son surcoût par rapport à la production dite « classique ». Ainsi, le chiffrede 45 % à payer « en plus » pour un produit équitable par rapport à son homologue « classique » est cité dans la recherche-action. Mais plus encoreque ce point, c’est le modèle économique du secteur de l’artisanat équitable qui semble aujourd’hui relativement inefficace et peu compétitif : inadaptation des produitsaux besoins des marchés européens, qualité aléatoire, capacité de production réduite, problème au niveau de la continuité d’approvisionnement,faible approche marketing… Autant de talons d’Achille auxquels viennent s’ajouter certaines contraintes comme le préfinancement (le producteur peut demander à l’importateur defournir à l’avance une partie du prix de sa future production, ce qui lui évite de s’endetter pour pouvoir commencer à travailler) ou l’importance des coûts fixes et quientraînent une sorte de cercle vicieux : le cumul des « inconvénients » diminue la profitabilité du secteur, donc l’attrait pour de nouveaux investisseurs, et lesecteur progresse ainsi très lentement… Une lenteur à laquelle vient s’ajouter un faible niveau de coopération, voire une compétition, entre les acteurs dusecteur.
Partant de ces différents constats, la recherche-action pointe une série de priorités. « La première d’entre elles est de réduire le surcoûtéconomique de l’artisanat équitable, commente Joël Van Cauter. 45 %, c’est beaucoup trop. Ainsi, dans l’alimentaire, le produit équitable coûte 20 % plus cher que leproduit dit « classique ». Il y a donc sûrement moyen de faire descendre le prix de l’artisanat équitable à un niveau comparable ; niveau accepté par les consommateurspuisque le succès de l’alimentaire équitable montre que ceux-ci sont prêts à payer un peu plus cher pour un produit équitable. » Et si les consommateurs sontprêts, le circuit de la grande distribution semble l’être également. « Notre enquête sur le terrain nous montre que les grands distributeurs sont prêts àgarnir leurs rayons de produits artisanaux et à faire preuve de souplesse au niveau des prix. Mais pour cela, ils demandent que certaines conditions soient remplies. Ainsi, à l’image dece qui se fait dans l’alimentaire, la mise en place d’un label de certification serait vue d’un bon œil. Or à l’heure actuelle, pour l’artisanat équitable, il n’existe pasvraiment de système comparable à celui de « Max Havelaar » pour l’alimentaire. Tout au plus l’IFAT (International Fair Trade Association), le réseau mondial des organisations decommerce équitable, définit-elle certains critères, mais ceux-ci sont peu précis et peu qualitatifs », ajoute Joël Van Cauter. Au rayon des «revendications » des distributeurs se trouvent également le besoin de disposer de produits adaptés et cohérents avec leur gamme, de fournisseurs crédibles sur leplan commercial ou encore d’une traçabilité et d’une communication claire à propos des produits.
Des solutions…
Afin d’endiguer le surcoût excessif des produits et de structurer le secteur, la recherche-action propose une série de pistes d’action. Soutien à la mise en place d’unefédération professionnelle du commerce équitable, dont le but serait de mettre en place une charte, des critères d’adhésion et un label de qualité ainsi quede servir d’adjuvant au développement économique (professionnalisation, économie d’échelle), soutien financier accru aux entreprises équitables, allègementdes charges qui pèsent sur elles grâce à la diminution du taux de TVA sont autant de voies à explorer. Dans les pays producteurs, la mise en place de centres dedéveloppement de produits et de suivi de production est également au rang des impératifs. « Il faut développer de véritables entreprises de commerceéquitable », renchérit Joël Van Cauter.
Une « formalisation » du secteur qui devrait permettre une plus grande efficacité, comme l’illustre la recherche-action. Ainsi, selon celle-ci, la vitalité du secteurserait amenée par de nouveaux acteurs, majoritairement des entreprises co
mmerciales, qui développeraient, au Nord comme au Sud, de nouveaux produits ou de nouveaux concepts. Enobservant ces dernières, les seules à atteindre des taux de profit de l’ordre de 10 %, la recherche-action identifie quatre caractéristiques communes majeures : une attentionparticulière donnée aux produits (design et contrôle de production), une taille critique de l’entreprise (un chiffre d’affaire d’au moins trois millions d’euros semblenécessaire), des moyens financiers suffisants et une clientèle issue du secteur équitable relativement importante.
Un geste du politique ?
Cependant, malgré ces bonnes résolutions, il semble clair qu’un coup de pouce du politique serait le bienvenu. Présent à la séance de présentation de larecherche-action, Jean-Claude Marcourt (PS), le ministre de l’Économie, de l’Emploi, du Commerce extérieur et du Patrimoine de la Région Wallonne5 s’est ainsiengagé à explorer plusieurs pistes en ce sens. Ainsi, afin de réduire les coûts et d’améliorer le soutien aux entreprises de commerce équitable, il propose deprévoir, au sein du décret APE (Aide à la promotion de l’emploi), une exception pour les entreprises actives dans le commerce équitable afin de leur permettre debénéficier d’aides à l’emploi. Rappelons qu’à l’heure actuelle, les entreprises ayant pour objet principal la vente au détail sont exclues du champ d’application dece dispositif. L’initiative serait d’autant plus bienvenue que le secteur génère très peu d’emplois en Belgique, « une toute petite centaine », nous préciseJoël Van Cauter. Plus loin, Jean-Claude Marcourt affirme également qu’il pourrait s’engager à soutenir un projet de fédération des acteurs du commerceéquitable pour autant que cette initiative soit suffisamment représentative de l’ensemble du secteur. Reste à voir comment tout cela se traduira dans les faits…
1. SAW-B asbl :
– adresse : rue Monceau-Fontaine, 42/6 à 6031 Monceau-sur-Sambre
– tél. : 071 53 28 30
– site : www.saw-b.be
2. Citizen Dream :
– adresse :rue du chimiste, 36 à 1070 Bruxelles
– tél.: 02 539 44 27
– fax : 02 534 33 72
3. SCRL Émile
– contact : Mélinda Servais, rue Saint-Denys, 76 à 5330 Sart-Bernard – tél. : 081 26 12 87 – courriel : melindaservais@yahoo.fr
– site : www.emile-justbe.com
4. Oxfam-Magasins du monde :
– adresse :rue Provinciale, 285 à 1301 Wavre
– tél. : 010 43 79 50
– site : www.madeindignity.be
5. Cabinet du ministre Jean-Claude Marcourt :
– adresse : place des Célestines, 1 à 5000 Namur
– tél. : 081 234 111
– courriel : info@marcourt.gov.wallonie.be
– site : www.marcourt.wallonie.be