Si les initiatives en termes de lutte contre l’analphabétisme ont démarré dans les années 1960 en Belgique, l’asbl Lire & Écrire1 a pousséofficiellement son premier cri d’alarme il y a près d’un quart de siècle. Durant toutes ces années, bénévoles et statutaires ont tenté de résorber lefléau de l’analphabétisme en remplissant la mission principale de l’association: l’accès à la lecture et l’écriture pour tous. Pourtant, d’année enannée, les mêmes estimations reviennent comme un mauvais refrain : un adulte sur dix ne sait ni lire ni écrire. Alors que le nouveau décret relatif aux EFT-OISP entrera envigueur le 1er janvier 2008, Lire & Écrire se penche, une nouvelle fois, sur les difficultés rencontrées par le secteur de l’alpha en Wallonie.
Petit rappel des chiffres : on estime à près de 300 000 le nombre de personnes analphabètes en Wallonie2 et seules 7 500 sont effectivement prises en charge par lesstructures d’alphabétisation, dont la moitié par Lire & Écrire. Pour parvenir à toucher un plus vaste public, les centres de formation devaient résoudre unpremier écueil: les personnes concernées au premier chef étant, par définition, celles qui ont le plus de difficultés à accéder aux sourcesd’information, il était nécessaire de collaborer avec des personnes relais qui puissent les identifier et, au besoin, les orienter vers un centre d’alphabétisation. «Nous nous trouvons aujourd’hui face à un paradoxe: nous avons formé des travailleurs sociaux dans les CPAS, les Forem, les mutuelles, habituellement confrontés à unpublic précarisé, pour faire remonter les demandes d’alphabétisation. Mais nous sommes incapables d’y répondre faute de moyens pour engager des formateurssupplémentaires. Dans certains centres, comme à Liège, il faut parfois attendre un an pour pouvoir commencer une formation d’alphabétisation, tant les inscriptions sontnombreuses », souligne Anne-Hélène Lulling, directrice de Lire & Écrire pour la Région wallonne.
Pour l’asbl, il existe un effet pervers supplémentaire à cette inadéquation entre les moyens et les besoins, celui de concentrer les efforts uniquement sur les personnes quis’inscrivent dans un projet d’insertion socioprofessionnelle, comme le prévoit le nouveau décret. « Involontairement, on risque de renforcer la dichotomie entre ceux qui ont deschances de trouver un emploi et ceux qui vivent dans une très grande précarité. Ce n’est pas notre vision de l’alphabétisation, d’autant plus que 52% des apprenantsne sont pas concernés par l’insertion socioprofessionnelle. Je pense aux personnes pensionnées ou aux mères au foyer. Ce décret risque de laisser les plus fragilesau bord du chemin. »
Faire du long avec du court
Autre souci récurrent des asbl d’alphabétisation : le financement public. « Nous devons gérer un problème structurel avec des moyens, pour leur plus grandepart, conjoncturels. Le hiatus est particulièrement handicapant et nous devons compenser avec des appels à projets. Ce n’est pas inintéressant, mais cela distrait de nosobjectifs sociaux premiers. L’énergie que l’on consacre aux projets ne peut plus être mise dans le travail de terrain, qui est la base même d’une action àlong terme », précise Véronique Dupont, coordinatrice du projet Equal23.
Même active depuis plus de vingt ans, Lire & Écrire n’est pas épargnée par une certaine précarité. « Les retards de paiement – 221 jourspour Lire & Écrire Région wallonne en 2006 – nous obligent à avoir recours à des lignes de crédit afin, notamment, d’assurer le paiement dessalaires. La charge des intérêts n’étant pas financée dans les budgets, cela fragilise encore quelque peu notre comptabilité », souligneAnne-Hélène Lulling.
La crainte du secteur alpha quant aux applications du nouveau décret concerne également le cadre normatif, jugé trop restrictif, des formations. « Parler de formation en 18mois ou 2 100 heures, ne correspond à aucune réalité dans notre secteur. Il y a tellement de paramètres à prendre en compte qu’il est impossible dedéterminer le temps nécessaire pour qu’une personne accède à l’alphabétisation. C’est variable d’un individu à l’autre, laseule constante, c’est le long terme », rappelle Véronique Dupont.
C’est sur la base de cette constante et par une approche globale du phénomène d’illettrisme que Lire & Écrire souhaiterait voir les politiques publiquess’articuler, notamment à travers des dispositifs territoriaux permanents comme autant de maillons essentiels de la lutte contre l’exclusion.
1. Lire et Écrire Communauté française asbl :
– adresse : rue Antoine Dansaert, 2 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 502 72 01 ou 0479 71 62 15
– courriel : lire-et-ecrire@lire-et-ecrire.be
– site : http://communaute-francaise.lire-et-ecrire.be
2. Ces chiffres sont mis en doute, notamment par l’économiste Ecolo Philippe Defeyt qui rappelle qu’aucune étude récente de terrain n’a étéfaite sur le niveau d’alphabétisation de la population francophone de Belgique. Les chiffres sont donc une extrapolation établie sur la base des situations dans les régionsou pays proches, en Europe.
3. Le projet Equal2 de « Dispositifs territoriaux pour le droit à l’alphabétisation et la prise en compte des personnes illettrées » vise à mettre enréseau les partenaires publics et privés, dont les bénéficiaires eux-mêmes, de l’alphabétisation. Il a été lancé en 2005 etprolongé jusqu’à fin 2007. L’une des revendications majeures des associations d’alphabétisation est de poursuivre et pérenniser cette action.