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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Le secteur jeunesse connaît-il la crise ?

Le budget jeunesse augmente. Pourtant les associations se disent sous-financées…

Les chiffres le disent : le budget jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles ne cesse d’augmenter. Pourtant, le secteur jeunesse s’estime de longue date « sous-financé structurellement ». Explications.

En ces temps de régime sec budgétaire, le budget du secteur jeunesse continue d’augmenter. 23 % sur l’ensemble de la législature. Dans le même temps, le budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles augmentait de 12 %. « Pendant cette législature, nous avions la volonté de soutenir le secteur jeunesse, en respect des accords de la majorité précédente », affirme Alain Lising, le chef de cabinet de la ministre de la Jeunesse, Évelyne Huytebroeck (Écolo).

Certains verront dans cette augmentation le signe de relations presque incestueuses entre un cabinet ministériel composé d’anciens du secteur jeunesse et des représentants de ce même secteur. D’autres encore souligneront que les jeunesses « politiques » ont des relais efficaces et directs au sein des partis. Serait-ce aussi simple ?

Rappelons d’abord que le secteur jeunesse est un « petit poucet » dans le budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Un budget de 33 millions d’euros en 2013 contre 257 millions pour l’Aide à la jeunesse (NDLR une différence qui s’explique évidemment par les activités propres à ces deux secteurs. L’Aide à la jeunesse fournissant par exemple des hébergements à des mineurs en danger ou délinquants, dont le coût est important). « Des coupes dans ce maigre budget ne permettraient pas de faire de grosses économies », estime Coline Maxence, présidente de la Commission consultative des organisations de jeunesse.

Si le budget jeunesse augmente depuis une dizaine d’années, c’est tout simplement pour compenser les années de disette d’un secteur « sous-financé ». C’est ce qu’affirment de nombreux cadres de l’associatif jeunesse.

Rappelons qu’une bonne partie de la galaxie « jeunesse » s’est construite autour de bénévoles, dans une pure tradition associative. Ici, on ne parle pas de service public. Le secteur est plus récent et a longtemps été moins organisé que les poids lourds de l’Aide à la jeunesse et de l’enseignement.

Certains observateurs notent même que ces associations ont toujours chéri leur liberté, quitte à rechigner lorsqu’il s’agissait de réclamer des subventions pérennes, si celles-ci impliquaient une perte d’autonomie. « C’est un monde associatif où l’on ne réclame pas forcément un financement à 100 % si celui-ci implique un cahier des charges très strict », déclare Jean-François Guillaume, sociologue à l’Université de Liège. Une particularité qui puiserait ses sources dans l’immédiat après-guerre où l’on voyait avec méfiance toute intervention de l’État dans les affaires qui concernaient les jeunes.

Un secteur « à la lisière ». Une ambivalence vis-à-vis des pouvoirs publics pouvant expliquer que ceux-ci opèrent depuis longtemps par « rattrapages » financiers, par à-coups, plutôt que par financement structurel. Car en retour, ces derniers ne sont pas des plus friands de financements sans contreparties.

L’arbre qui cache la forêt

Depuis une grosse dizaine d’années, il existe une volonté de reconnaître l’associatif jeunesse. « Depuis le ministre Marc Tarabella », précise Pierre Evrard, directeur de la Fédération des centres de jeunes en milieu populaire 1.

Les centres et maisons de jeunes ont eu leur décret en 2000. Les organisations de jeunesse le leur en 2009. Dans les deux cas, ces décrets ont induit des rattrapages financiers impliquant une augmentation mécanique des budgets.

L’arbre qui ne doit pas cacher la forêt, selon les organisations. Car les temps ne sont pas à l’opulence. Les frais de fonctionnement, par exemple, n’ont pas été indexés cette année. Et le décret n’est pas respecté à 100 %. Comprendre : l’argent touché par les associations, en fonction de leur activité ou du nombre de leurs membres, ne correspond pas à ce qui est prévu. « Il y a un manque de 10 à 20 % », estime Pierre Evrard.

Un sous-financement structurel à mettre en relation avec le budget des services d’aide en milieu ouvert (AMO), qui dépendent de l’Aide à la jeunesse. C’est ce qu’explique Pierre Evrard : « La Communauté française finance un emploi en maison de jeune contre trois en AMO. Notre revendication est de nous calquer sur les AMO. Nous n’avons pas les mêmes missions, mais nous nous occupons des mêmes jeunes. »

Un coup de frein mis au développement du secteur

La plupart des membres d’organisations ou de centres de jeunes le concèdent : l’essentiel, pour l’instant, a été préservé. Mais ils notent tous le sérieux coup de frein mis au développement du secteur. « Cinq nouvelles structures avaient reçu un avis positif pour être reconnues comme organisations de jeunesse, mais elles n’ont pas reçu l’agrément », regrette Coline Maxence.

La Communauté française n’est pourtant pas la principale source de financement du secteur jeunesse, loin s’en faut. Selon Cédric Garcet, président de la Commission consultative des maisons et centres de jeunes, « l’agrément de la Communauté française ne correspondant pas à nos activités, nous devons aller chercher des points d’aide à la promotion de l’emploi (APE) auprès de la Région wallonne et consacrer de l’énergie pour obtenir des financements alternatifs ».

Pierre Evrard estime même que le secteur jeunesse est financé à « plus de 80 % » par des points APE. C’est notamment là que le bât blesse, car on sait que le dispositif de points APE ne couvre pas l’intégralité des salaires et ne prend pas en compte l’ancienneté. Résultat : les associations doivent puiser de plus en plus dans leurs fonds propres. Et c’est sans parler de l’inspection de la Région wallonne qui, à en croire Coline Maxence, « recherche les failles ». Cette dernière souligne enfin que « même au sein du budget jeunesse, des économies ont été faites. C’est le cas de certains « crédits facultatifs » en soutien à des projets jeunes – des actions locales portées par la jeunesse – rabotés de 50 000 euros ».

Bien sûr, certains arguent que le « discours de crise » est un discours récurrent chez les travailleurs sociaux qui pourraient « toujours demander plus ». Il n’empêche, même si le secteur jeunesse s’en tire à peu près dans cette crise budgétaire, il faut reconnaître qu’il revient de loin.

L’avenir pourrait même s’avérer plus rose pour les associations de jeunesse. C’est ce que dit Pierre Evrard, sur le ton d’un humour un peu grinçant : « En 2020, peut-être qu’on pourra tirer notre épingle du jeu, ou disparaître, tout simplement, avec la Communauté française. »

Petit tour des cabinets

Alter Échos a fait le tour des différents cabinets des matières que l’on couvre pour demander si des coupes sombres avaient été opérées ou les budgets maintenus. Quelques-uns seulement ont accepté d’ouvrir le livre des comptes. Quelques chiffres en vrac.

Chez Éliane Tillieux, en Région wallonne : sur la période 2009-2014, 90 millions ont été dégagés pour l’indexation des subventions action sociale et santé, 30 millions pour le service aux personnes, 208 millions pour des infrastructures. 6 372 000 euros ont été économisés sur la communication et des dépenses facultatives.

Chez Rachid Madrane, à la Cocof : 44 220 000 euros ont été alloués à la formation professionnelle en 2008, 52 739 000 euros en 2013.

Chez Christos Doulkeridis, à la Cocof : le subside logement atteint aujourd’hui 2 850 000 euros contre 2 700 000 euros en 2012. En ministre-présidence, le budget a connu une augmentation dans le courant de la législature pour atteindre 500 000 euros.

s.w.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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