Le 29 octobre, la Fondation Roi Baudouin1 présentait au public les résultats des travaux qu’elle a fait réaliser par quatre centres universitaires sur le secteur non marchanden Belgique. On y retrouve en plat de consistance une nouvelle présentation des statistiques économiques déjà élaborées par le Centre d’économiesociale de l’ULg2, mais l’ensemble des rapports compilés dépasse les mille pages. Des travaux qui ont d’ores et déjà trouvé des relais dans les institutions belgeset internationales pour améliorer la connaissance du non-marchand comme réalité économique à part entière.
1. Définir avant de compter
Le concept de secteur non marchand n’existe pas pour les économistes. Ils connaissent de très loin les débats liés à son financement ou au maintien de l’emploi. Leprojet interuniversitaire a donc dû passer par un travail de définition et de délimitation qui soit à la fois cohérent scientifiquement et opérationnel pourla récolte de données statistiques en exploitant au maximum l’existant.
Le première définition donnée est une définition du secteur non marchand au sens large : il s’agit de tous les acteurs économiques dont la forme juridique permet depréjuger de leurs finalités non lucratives et dont les ressources sont soit purement non marchandes (financement public ou contributions bénévoles), soit mixtes (en partiemarchandes et en partie non marchandes). On y retrouve donc les asbl, les associations de fait, les fondations, les mutuelles, mais aussi le secteur public (les administrations, les services publics,les entreprises publiques).
La seconde définition est obtenue en ajoutant un critère lié à l’activité : on exclut toute l’administration publique, et tous les acteurs économiques quiopèrent dans des secteurs d’activités essentiellement soumis au marché, comme l’industrie, le commerce, le transport, la finance).
On trouvera évidemment nombre d’exemples concrets qui ne cadrent pas complètement dans ce schéma. Mais il s’agit ici d’aller le plus loin possible dans la précision,expliquent les chercheurs, tout en constituant des statistiques macroéconomiques. D’où le parti que permet cette double définition : fournir pour chaque question deuxréponses, un chiffre maximum et un minimum. Les chercheurs parlent de bornes inférieures et supérieures.
Il faut aussi signaler qu’ils ont travaillé plus en profondeur sur quatre secteurs : l’enseignement, la santé, l’action sociale et le socioculturel.
2. « Les premiers chiffres exhaustifs sur le secteur non marchand en Belgique »
« La situation avant le début du projet permet de comprendre le chemin parcouru, commente Jacques Defourny, qui a dirigé le volet économique des travaux. Il y a dix ans, nousn’avions de chiffres précis que sur deux ou trois sous-secteurs. » Il rappelle que le projet présenté ici est en fait au départ venu prolonger un premier travaild’enquête effectué avec la KUL et achevé en 1997. Il avait consisté à inventorier les associations à Hasselt et à Liège pour ensuite extrapolerà toute la Belgique les résultats sur le nombre d’asbl et sur leur emploi salarié. « On n’en est plus là, ajoute-t-il. On peut aujourd’hui présenter les premierschiffres exhaustifs sur le non-marchand en Belgique. » Ils ont été produits grâce aux banques de données administratives, en particulier celles de l’ONSS pour l’année1998.
Ils ont été utilisés pour répondre à deux questions : le volume d’emploi du secteur non marchand et sa valeur ajoutée.
Les chiffres clés du secteur non marchand en Balgique – 1998
NM au sens large
NM au sens strict
%
%
Emploi salarié en ETP
TOTAL
1.058.765,0
583.444,1
asbl
349.294,3
335.193,9
mutuelles
11.584,0
1.158,4
service public
697.886,7
247.091,8
Bruxelles
213.366,5
20,4
86.404,5
14,8
Flandre
503.404,3
48,1
310.216,9
53,3
Wallonie
330.410,3
31,5
185.664,4
31,9
Education
280.825,4
26,5
280.825,4
48,2
Action sociale
122.374,0
11,6
122.374,0
10,8
Santé
114.801,0
10,8
114.801,0
19,7
socioculturel
26.809,0
2,5
26.809,0
4,6
Proportion de l’emploi salarié du pays
39,0
31,5
Valeur ajoutée
TOTAL
en millions de francs
1.880.378
1.052.470
Bruxelles
396.606
21,1
169.374
16,1
Flandre
909.300
48,4
559.775
53,2
Wallonie
574.472
30,0
323.321
30,7
En% de la VA du pays
23,1
13,0
Nous épargnons ici au lecteur une kyrielle de détails techniques et méthodologiques qu’il trouvera d’ailleurs clairement récapitulés dans la note de synthèseréalisée par la FRB.
Il faut cependant dire un mot de l’enseignement, qui représente 26,5% de l’emploi non marchand au sens large, c’est-à-dire au minimum presque trois fois plus que n’importe quelautre sous-secteur.
Dans la répartition par type de structure juridique, c’est parmi les asbl qu’on retrouve l’enseignement subventionné (141.174 ETP).
À tous les niveaux du tableau, on inclut tous les réseaux d’enseignement, y compris l’enseignement public, dans le non-marchand au sens strict.
Les tableaux donnent aussi d’autres résultats.
En nombre absolus de travailleurs, le non-marchand au sens large occupe un total de 1.314.866 personnes, soit 2 salariés sur 5 en Belgique. Au sens restreint, on en dénombre 780.564,soit plus de 1 sur 5.
L’étude a aussi estimé que le non-marchand mobilise 1,6 million de bénévoles, pour un volume de travail d’au moins 100.000 ETP.
3. Des aspects qualitatifs
Un ders quatre volets du projet a été confié au Centre de sociologie du travail, de l’emploi et de la formation (TEF) de l’ULB.5 Les auteurs Philippe Dryon et Estelle Krzeslo yretracent l’histoire du secteur non marchand. Elle s’ouvre avec les coopératives et les mutuelles, puis avec la sécurité sociale et le pacte scolaire. Les années 70 serontcelles du développement des politiques publiques, notamment par la création d’emploi subventionné. La fédéralisatyion vient ensuite et son impact surdifférents secteurs est retracé.
Ils approfondissent surtout la question de la négociation collective dans le secteur non marchand. Qui sont les partenaires sociaux ? Comment se sont-ils constitués ? Quelle est leurreprésentativité ? Quelle est la logique des conventions conclues successivement ? Les questions d’actualité sont abordées, avec
une analyse de la conclusion des accords du non marchand de 2000 et de leur contenu,
ainsi que des résultats des élections sociales, y compris de 2000,
et avec un commentaire de la brève histoire de la jeune Commission paritaire du socioculturel.
Notons aussi que les deux derniers volets du projet interuniversitaire ont porté sur les statuts juridiques des acteurs du non marchand (VUB) et sur la préparation de comptes satellites(v. ci-dessous) du non marchand (KUL).
4. Vers des compléments à la comptabilité nationale
Depuis 1998, ces travaux statistiques ont été intégrés dans un projet de recherche mondi
al piloté par le Johns Hopkins Institute6, un centre de recherchesaméricain. Ils constituent la contribution belge à un projet international qui consiste notamment en comparaisons entre différents pays du poids et de la composition du nonprofit.
On avait ainsi appris l’an dernier que la Belgique se classait en troisième position pour l’importance de son secteur non marchand, après l’Irlande et les Pays-Bas. (On prenait alors encompte la définition du non-marchand au sens large, dont était retenue uniquement la composante privée et dont était soustrait l’enseignement.)
Mais l’ambition de ce projet international est plus large. Il s’agit de mettre au point des outils de récolte et de traitement des données qui soient durablement intégréspar les différents niveaux de pouvoir, ainsi que par la comptabilité nationale. La comptabilité nationale est un dispositif statistique organisé par la Banque nationale etl’Institut des comptes nationaux : elle synthétise et publie les statistiques économiques nationales comme le produit intérieur brut (PIB) et les taux de croissance. C’estpourquoi la FRB a en 98 confié la présidence du comité de pilotage du projet interuniversitaire à Jan Smets, directeur à la Banque nationale.
Lors de la présentation du 29 octobre, ce dernier a insisté sur les problèmes rencontrés ou encore à surmonter pour donner un prolongement à ces recherches:
l’émiettement des niveaux de pouvoir et de décision rend fastidieuse la collecte de données, et pose surtout de grandes difficultés pour leur intégration;
la nécessité de tenir compte des besoins réels des utilisateurs des résultats, en particulier les responsables politiques et administratifs.
Pour contourner ces obstacles, l’Institut des comptes nationaux se lance dans un programme d’adaptation de la méthode utilisée par les chercheurs de l’ULg pour arriverà produire un compte satellite de la comptabilité nationale. Il s’agit d’un compte publié annuellement qui reprendra les principaux chiffres du non-marchand,élaborés avec une méthode uniforme.
Ce travail sera toujours mené avec les chercheurs de l’ULg et s’inscrira, en parallèle avec des travaux similaires dans quelques autres pays. Ils participeront à une nouvelleétape du projet international du Johns Hopkins Institute. L’objectif est d’arriver à une méthodologie internationale d’élaboration de comptes satellites du non-marchandqui soit à terme arrêtée une fois pour toutes au sein des Nations unies et introduite dans les standards de la comptabilité nationale de tous les pays du monde.
Pour la Belgique, Jan Smets a annoncé la première publication du compte satellite pour 2003. Il concernera l’année 2001.
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Nouveaux projets du Centre d’économie sociale
C’est notamment par ses travaux sur le poids économique du non-marchand que le Centre d’économie sociale de l’ULg3, dirigé par le Pr Defourny, s’est rendu incontournable dans lepaysage universitaire belge aussi bien que dans le secteur de l’économie sociale. Avec une équipe de recherche composée de dix économistes et de deux juristes, le Centreentend résolument miser sur la traduction de ses résultats de recherche à l’attention des décideurs.
Il ouvre cette année plusieurs nouveaux chantiers.
Grâce à un important financement fédéral, il démarre un projet de recherche sur le commerce équitable. « C’est vraiment une première en Belgique, seréjouit Jacques Defourny. On va utiliser les outils de l’analyse économique pour comprendre comment fonctionne cette réalité et appréhender son ampleur. »
Le Centre continue à piloter un réseau européen de chercheurs sur les entreprises sociales, EMES4, qui développe simultanément plusieurs projets, dont l’uncoordonné par le Cerisis de l’UCL à Charleroi, sur les performances sociales et économiques des entreprises sociales dans le domaine de l’insertion. « L’enjeu en est, entreautres, précise Jacques Defourny, de produire un corpus européen de données sur l’économie sociale alors que c’est un domaine essentiellement dominé par leschercheurs américains et leurs approches. »
Autre événement important cette année, le démarrage de la chaire CERA, qui comporte un volet enseignement : un cours de 30 heures, ‘Entrepreneuriat et management enéconomie sociale’, qui débutera en janvier 2002, et dont la leçon inaugurale a été donnée ce 23 octobre par le ministre de l’ÉconomieCharles Picqué.
Enfin, ajoute Jacques Defourny, les travaux du Centre sur le bénévolat, sur les entreprises sociales, sur les comptes satellites, sur l’économie sociale en Afrique, etc.,continuent évidemment.
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1 Fondation Roi Baudouin, rue Brederode 21 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 549 02 92. Les différents rapports seront disponibles sur Internet fin novembre : http://www.kbs-frb.be
2 Les chiffres de l’ULg sur l’emploi et la valeur ajoutée des asbl avaient été présentés par la Fondation en mars 2000.
3 CES de l’ULg, Sart Tilman B33 — bte 4 à 4000 Liège, tél. : 04 366 28 85, fax : 04 366 28 51, e-mail : economiesociale@ulg.ac.be, site Web : http://www.econosoc.org/centres/frameset_centres.htm
4 Voir sur Internet : http://www.emes.net
5 5 TEF/ULB, ave Jeanne 44 – CP 124 à 1050 Bruxelles, tél. : 02 650 91 14, fax : 02 650 01 18, e-mail : tef@ulb.ac.be ; site web : http://www.ulb.ac.be/project/tef
6 Voir sur Internet : http://www.jhu.edu/~cnp/
Archives
"Le secteur non marchand fournit un quart de la richesse nationale"
Thomas Lemaigre
05-11-2001
Alter Échos n° 108
Thomas Lemaigre
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