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Regard critique · Justice sociale

Culture

Le statut d’artiste sens dessus dessous

Le statut d’artiste est un aménagement des mesures concernant le chômage des artistes. Plus que d’autres encore, les voilà dans le viseur. A tort ou àraison ?

18-12-2011 Alter Échos n° 329

Le statut d’artiste est un aménagement des mesures concernant le chômage des artistes. Plus que d’autres encore, les voilà dans le viseur. A tort ou àraison ?

Directives de l’Onem, réactions des artistes, questions parlementaires à la ministre de l’Emploi, pétition lancée par Smart recueillant plus de 21 000signatures électroniques, résolution au Parlement fédéral proposée par le PS, proposition de loi Ecolo, sans parler des nombreuses séancesd’information aux artistes tous azimuts… Le débat sur le statut de l’artiste s’est réinvité dans le débat politique en cette find’année.

Au départ, de nouvelles directives de l’Onem le 6 octobre 2011… D’une interprétation large de l’application du statut d’artiste, l’Onem passeà une application stricte, car si la loi-programme du 24 décembre 2002 créant un statut d’artiste a modifié l’accès à la sécuritésociale, elle n’a pas modifié les règles de l’assurance-chômage. Interpellée à ce sujet à la Chambre le 23 novembre, Joëlle Milquet, alorsencore ministre de l’Emploi, rappelle l’esprit de l’époque. « La loi sur l’ONSS a été modifiée par la loi-programme du 24décembre 2002, avec effet au 1er janvier 2003. Celle-ci visait en premier lieu la fin de l’insécurité juridique en matière de statut – salarié ouindépendant – des artistes-interprètes. Ce n’était pas avec un objectif de s’appliquer aux réglementations de chômage. En voie subsidiaire,l’assujettissement des artistes-créateurs à la sécurité sociale des travailleurs salariés a été dès lors rendu possible.L’exposé des motifs ne cite, en aucune manière, d’éventuelles modifications de la réglementation du chômage », répond-elle à latribune.

Tout le monde n’est pas du même avis. Ecolo estime que la loi a beaucoup d’avantages, mais qu’il y a manqué des arrêtés d’application. Maisà situation nouvelle, réponse nouvelle. Le 23 novembre, Ecolo-Groen ! annonce le dépôt d’une nouvelle proposition de loi. « Notre proposition de loi apour objectif d’obliger au débat. Elle peut être un levier pour permettre à la nouvelle ministre de l’Emploi– Monica De Coninck (SP.a) remplace de Joëlle Milquet(CDH) – de modifier ces directives de l’Onem. Ce sera une question de positionnement politique. En ce domaine, la marge personnelle de la ministre est très importante »,soutient Zoé Genot1. Pour sa part, le PS a préféré, vu la situation politique de formation gouvernementale, proposer une résolution au Parlement,portée par la députée carolo Ozen Ozlem.

L’Onem : une forte administration

Dans la foulée, la puissante asbl Smart2, qui dispose de 43 000 membres relevant essentiellement des professions artistiques, se mobilise. Elle fait circuler une pétitionqui a déjà recueilli 21 000 signatures. Cette pétition appelle à une concertation et à la suspension de la note de l’Onem dans l’intervalle. Sur leterrain, la situation est en effet grave. « Il y a des artistes dont le dossier est désormais à l’examen depuis plusieurs mois. Ces gens ne reçoivent plus leursallocations ! constate Zoé Genot. En sécurité sociale, on pratique peu par la loi en fin de compte. Les prérogatives de l’Onem sont doncénormes ». Julek Jurowicz, administrateur délégué de Smartbe, ne dit pas autre chose. « L’interprétation de l’Onem varie selon ses bureauxrégionaux. Smart dit depuis longtemps que cette marge d’interprétation est large, mais l’Onem a fait son boulot correctement pendant longtemps en adoptant des pratiques dansl’esprit de la loi. C’était plutôt au législateur de faire évoluer celle-ci et de la préciser. Cette proposition de loi est utile pour recadrer leschoses », estime-t-il.

Mais quelle mouche a donc piqué l’Onem pour revoir son interprétation en pleine négociation gouvernementale (admettons qu’elle fut longue…) ? Ledébat ne date pas d’hier. En creusant un peu, on découvre que le Conseil national du travail, en sa séance du 13 octobre 2010, s’était emparé du dossier« Statut de l’artiste ». On y lit ceci : « Compte tenu de ces exemples d’usages inappropriés dénoncés, le Conseil est d’avis qu’unefois la question du statut réglée sur le plan du droit du travail, il faudra réexaminer le dispositif applicable dans la réglementation chômage de manièreà dégager une réponse adéquate qui permette de concilier le statut spécifique de l’artiste avec une application raisonnable de la réglementationchômage en termes d’acquisition et de maintien des droits. Enfin, afin d’éviter autant que faire se peut la confusion au niveau de la notion de prestation artistique, le Conseil demandeaux organismes chargés de l’application de réglementations spécifiques liées au statut social de l’artiste, tels que l’Onem et l’ONSS d’aligner leurs pratiques quantà la notion de prestation artistique de telle manière que cette notion soit interprétée de la même manière »3.

Voilà non seulement que la « fraude » serait pointée par une noble institution où les syndicats sont représentés. Pour Didier Gilquin,responsable de la cellule Culture au sein de la CSC-Transcom, il est certain que les nouvelles directives relèvent de la réponse au développement du système.« La responsabilité de Smart qui ratisse trop large est importante. Il fallait resserrer certains boulons, mais les directives de l’Onem y vont fort. Rappelons qu’unedirective ne doit pas passer au comité de gestion de l’Onem où les syndicats et les patrons peuvent émettre un avis », souligne-t-il.

Nicola Donato est militant syndical et artiste de spectacle. « Smart se vante d’avoir augmenté le nombre d’artistes ayant accès aux allocations dechômage, ceux qui ont un C1 artistes4. De son côté, l’Onem veut chasser la fraude. Il est dangereux de faire le lien », résume-t-il en montrantdes chiffres de la fin des années ’90 qui mentionnent plus d’artistes chômeurs qu’aujourd’hui. « Les statistiques de l’Onem et de Smart sont peufiables et même erronées », soutient-il. Il critique vertement les directives de l’Onem. « La directive est totalement incohérente. Exemple : elledit qu’un décorateur peut être considéré comme un artiste s’il suit le spectacle
en tournée. Vous connaissez ce genre de situation ? C’est absurde! », explique-t-il avant de conclure son propos. « Fondamentalement, c’est surtout une mauvaise loi. Le Conseil national du Travail avait émis un avisnégatif à l’unanimité, soit syndicats et employeurs réunis, et la loi-programme de 700 pages n’a pas été soumise au Conseild’Etat », rappelle-t-il en annonçant que la FGTB étudie la possibilité de mettre cinq aménagements de l’assurance-chômage pouraméliorer et clarifier la situation, mais sans nous en révéler la teneur.

Pour Julek Jurowicz, cette version d’une fraude à grande échelle organisée et encouragée par son association ne tient pas la route « Ce n’est passérieux. Il y a sans doute des cas isolés. Mais, rappelons que chaque dossier individuel est analysé par l’Onem. Quant à l’enrichissement dénoncéde notre structure, rappelons que les recettes couvrent uniquement les frais de fonctionnement de la structure et le développement de nouveaux services », se défend-il.Concernant l’avis du Conseil national du Travail, il ne croit pas que cela ait eu une influence sur l’Onem. « Au contraire, cet avis donnait une perspective à une suiteà la loi de 2002. Je ne crois pas qu’il y ait un lien entre cet avis et les directives un an plus tard », estime-t-il.

Le 116 § 5

L’article 116 § 5 de la loi sur la sécurité sociale permet aux travailleurs engagés dans des contrats de courte durée de maintenir leur allocation à unchômage maximal. Dans la pratique, un contrat par an suffit. Sérieux débat. Anne Rayet expliquait dans nos colonnes (voir Alter Echos n° 328 du 28 novembre 2011 :« Ceci n’est pas un statut ») que, selon elle, l’application de l’article 116 § 5 devait être invoquée par les artistes dans leurscontacts avec l’Onem.

L’Onem a décidé de restreindre l’application de cette règle à certaines catégories, or celle-ci n’est pas prévue pour les artistes, maispour tous les travailleurs qui travaillent dans des contrats de courte durée. Des recours devraient être introduits. Tout le monde semble estimer la directive illégale sur cepoint. « J’espère qu’on aura rapidement une jurisprudence. Il faut encourager les artistes à aller au tribunal du travail », estime Zoé Genot.Nicola Donato affirme quant à lui que la jurisprudence ne s’applique qu’aux techniciens et artistes de spectacles. Difficile à vérifier.

Question(s) de définition(s)

C’est sans doute le point-clé de la discussion. Qu’est-ce qu’un artiste ? Interprètes, créateurs ? Quid des techniciens ? Selon Nicola Donato,l’article 1 bis ne définit pas ce qu’est un artiste. « Ce sont donc les fonctionnaires de l’Onem qui décident. L’Onem fait une distinction entreinterprètes et créateurs. Les listes qui circulent peuvent être absurdes. On en retire les techniciens d’un côté, mais on accepte les régisseurs. Pourquoi ?Parce que « régisseur » en néerlandais signifie « réalisateur ». C’est vraiment n’importe quoi », nous confie-t-il. Il cite les chiffres que l’Onem lui aconfiés : 773 C1 artistes ne seraient pas vraiment « artistes ». « Cela fait environ 10 %, mais tous les artistes sont loin d’avoir un C1 artistes. Sansdéfinition de l’artiste, il n’y a pas de loi possible. Continuer sur la piste de la loi-programme sans définition n’est pas une bonne piste »,soutient-il.
La proposition de loi Ecolo propose de redéfinir la notion d’artiste via une définition plus large du donneur d’ordre par une modification de l’article 1 bis de la loidu 29 juin 1969. « Paragraphe 4 : par donneur d’ordre, il faut entendre la personne qui commande une prestation artistique ou achète une œuvre artistiqueréalisée. » Ecolo espère ainsi éviter la distinction entre créateurs et interprètes à l’avenir. La CSC approuve. « Laproposition de loi Ecolo a le mérite de définir la notion de donneur d’ordre et de regrouper le monde artistique. Nous avons un a priori favorable », nous dit sonresponsable Didier Gilquin.

Un secteur débiteur à la communauté

Lors d’un débat, le scénographe Michel Boermans n’a pas caché ses doutes. « La communauté artistique est forte pour affirmer ses divergences.Elle est nulle pour défendre ses intérêts », affirme-t-il en rappelant néanmoins que l’assurance-chômage est d’origine associative avantd’avoir été instaurée dans l’après-guerre par le gouvernement. « Pour recevoir, il faut cotiser. Et il faut bien admettre que les artistes sontdébiteurs à la caisse générale de la sécurité sociale. En France, il existe un statut pour les intermittents du spectacle. Il ne s’agit pas d’unstatut accessible à tous les artistes », constate-t-il en marquant son désaccord avec la loi et la proposition Ecolo.
« Dans le spectacle, on achète du temps de travail. Il y a une vraie différence entre artiste de spectacle et créateur », estime-t-il. Il propose une visionplus large : une proposition avec un chapeau commun et la précision de droits particuliers. Il trouve insupportable que les artistes puissent être essentiellementrémunérés via des rétributions de droits ou des RPI (Régime des petites indemnités)5. « Le salariat, cela existe ! Le premierproducteur des arts du spectacle, c’est l’Onem. Le lendemain de la fête de la Communauté, on devrait créer la fête de l’Onem où tous les artistesjoueraient gratuitement pour tous les cotisants à la sécurité sociale », propose-t-il sur le ton de la plaisanterie.

Intermittence et climat social peu porteur

Pour Ecolo, le lien de subordination est ténu dans le domaine artistique et son application n’est plus d’actualité. La notion d’intermittent revient sur le tapis.« En la matière, la loi n’a pas donné que de bons résultats », soutient Nicola Donato décrivant la situation du monde du doublage.« Il existe quinze entreprises actives dans ce secteur à Bruxelles. Il n’y en a plus que trois qui passent par un secrétariat social normal. Les douze autres demandentà passer par un bureau social d’artistes dont le plus présent est Smart. Il est évident que les employeurs ont un rapport de force plus favorable dans un telcadre », affirme-t-il.
Du côté de la CSC, on rappelle que le climat est à la stigmatisation des sans emploi. «
 La situation est difficile et il serait faux de faire croire qu’elle serameilleure demain. Il n’y a pas que les artistes qui sont en jeu. L’existence d’abus dans le statut, la multiplication des RPI dans les institutions culturelles posentproblème », y dit-on.

Quant à la déclaration gouvernementale, elle est muette sur le sujet même si elle mentionne en sa page 89 que la dégressivité accéléréene s’appliquera pas aux personnes travaillant dans des contrats de courte durée. Plutôt positif, mais à confirmer. Laissons la conclusion à Zoé Genot.« Dans l’évolution actuelle, on ressent le début d’une rupture d’un consensus sociétal lié aux conditions de travail desartistes. » Une vision en phase avec le recul social qu’on observe à tous les étages de la société.

1. Texte disponible à l’adresse Internet suivante : http://www.zoegenot.be
2. Smartbe :
– adresse : rue Émile Féron, 70 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 542 10 80
– site : www.smartasbl.be
3. L’avis complet est disponible à l’adresse Internet suivante : www.cnt-nar.be/AVIS/avis-1744.pdf
4.Formulaire de l’Onem pour déclarer des activités artistiques. Plus d’infos: http://www.rva.be/D_Egov/Formulieren/Fiches/C1_Artiest/FicheFR.htm.
5. Le régime des petites indemnités s’applique uniquement si vous ne gagnez pas plus de 114,60 euros par prestation et 2291,99 euros par année civile pour l’ensemblede vos prestations artistiques.

Jacques Remacle

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