Appelons-le Thomas.
Je l’avais rencontré dans le cadre d’une recherche sur les trajectoires d’usagers de drogues.
Il en avait consommé, Thomas, mais sur le tard. Voici son histoire, concise et rapide.
Thomas avait commencé des études de droit à Louvain-la-Neuve. Il avait brillamment réussi sa première année, et s’était profondément relâché à la seconde: moins d’auto-discipline et plus de laisser-faire. Une envie plus générale de profiter des multiples opportunités existantes sur un campus et dans la communauté étudiante. La session d’examens de juin s’était très mal passée et il lui fallait désormais «bloquer» intensément pendant les longues semaines de juillet et août. Juillet et août qu’il passait seul, dans son «kot»: comme chaque année, ses parents étaient partis revoir les familles respectives dans le pays d’origine.
Il s’est senti abandonné, m’avait-il dit, pendant ces quelques semaines. Laissé à lui-même…
Un cousin lui rendit visite. Un cousin qui appréciait la consommation d’héroïne. Un cousin qui en proposa à Thomas, et Thomas aima. Quelques années plus tard, Thomas me disait être facilement dépendant: il lui suffisait de peu, pour allumer le feu.
Il ne lui fallut pas plus de deux semaines pour être définitivement dépendant à l’héroïne. Il rata ses examens et passa quelques années à consommer intensément. Il put finalement initier un traitement de substitution, grâce à l’aide de ses parents, et ce malgré le stigmate que notre société fait porter à tous les usagers de drogues illégales…
Thomas me raconta tout cela, à moi qui étais jeune chercheur en sciences humaines, à peu près du même âge. Moi qui ai aussi étudié à Louvain-la-Neuve. Moi qui ai accompli un parcours universitaire fait d’échecs et de distinctions. Moi qui ai pu me sentir seul, à l’occasion. Moi qui ai pu rencontrer des personnes consommatrices de drogues illégales. Moi qui ai pu m’y intéresser et aurais pu y être initié.
Quelles différences entre Thomas et moi, me dis-je depuis? Bien peu, en vérité: il aurait pu être moi, j’aurais pu être lui. Il a suffi de peu, il aurait suffi de peu.
Stigmatisation de la consommation de drogues «illégales» dans une société qui tolère de multiples autres addictions (tabac, alcool, jeux vidéos…), origines historiques et politiques de cette criminalisation, mais aussi ses conséquences sociales: lisez dans son intégralité l’analyse de Sébastien Alexandre, directeur de la Fédito Bruxelles, sur la criminalisation des drogues1.
Sur le sujet, relisez aussi notre dossier: «Répression des drogues: peine perdue» (Alter Échos n°465, juillet 2018).
Et découvrez le dernier Focales, sur la salle de consommation à moindre risque, ouverte en septembre dernier dans la ville de Liège.
(1) Texte initialement publié dans son intégralité dans le numéro 91 de la Revue L’Observatoire (2017).