Cinq à dix pour cent des wallons sont endettés. De plus en plus de factures d’électricité, de gaz, d’eau, de téléphone et désormais desoins de santé demeurent impayées. C’est le constat accablant réalisé par le dernier rapport d’évaluation de la prévention et du traitement dusurendettement en Wallonie. Véritable baromètre pour les acteurs de terrain, ce rapport1Jest réalisé chaque année par l’Observatoire du crédit et del’endettement2. Même si on peut s’y attendre, les chiffres laissent pantois.
Le multiendettement
Un constat général d’abord : le profil socio-économique des ménages fréquentant les services de médiation de dette indique une précaritéqui confirme une situation d’inégalité face au surendettement. Celui-ci s’appréhende par rapport à l’emploi, la situation familiale et les ressources desménages. 38% des chefs de ménage ont uniquement achevé le cycle du secondaire inférieur et 53% des ménages sont sans emploi, 40,5% bénéficientd’allocations de chômage, 5,9% bénéficient du minimex. Dans 71% des cas, les ménages bénéficient de revenus de remplacement, 84% d’entre euxperçoivent des revenus de remplacement uniquement. Le montant moyen des ressources s’élève à 51.069 FB. Pour 71,9% des ménages, les revenus sontinférieurs à 60.000 FB et 35,5% ont moins de 40.000 FB. En 2001, 31% des personnes qui sollicitent une médiation de dettes sont isolées. En 1994, il y en avait 21%. 22%des demandes sont aujourd’hui introduites par des familles monoparentales pour 12% en 1994. Remarquons également que 64% des personnes fréquentant les centres de médiationde dette (166 agréés en Région wallonne) ont entre 25 et 44 ans.
Autre constat inquiétant : le multiendettement des ménages en situation débitrice. Ils sont 77,8% à avoir au moins un crédit à la consommation, 22, % desménages ont un ou deux crédit(s) hypothécaire(s) en cours, 87,6% des dossiers font référence à des dettes autres que le crédit.
Un endettement lourd en termes absolus et relatifs
L’endettement moyen est loin d’être négligeable : les montants moyens empruntés et les soldes restant dus en matière de crédit à la consommations’établissent respectivement à 693.000 FB et 606.000 FB par ménage. Le nombre moyen de contrats par ménage est de 3,65. En moyenne, on trouve 7,7 créances pardossier. 19,2% des ménages ont une dette nette de crédit à la consommation de plus d’un million de FB !
L’endettement concerne souvent la satisfaction de besoins fondamentaux tels le logement : pour 35% des ménages, les dépenses de logement représentent plus de 30% desressources totales. Les dettes de loyer sont présentes dans 26,8 % des dossiers (en croissance). Plus d’un ménage sur trois ont une dette de gaz etd’électricité pour un montant moyen de 29.724 FB. Un ménage sur cinq est en retard de paiement de la facture d’eau. Plus préoccupant encore : 50,5% desménages ont une dette de soins de santé pour un montant moyen de 38.808 FB (en croissance). Les dettes de téléphone sont présentes dans 43% des dossiers. 24,7% desdossiers présentent des retards de paiement des primes d’assurance. Les dettes fiscales se retrouvent dans 69% des dossiers contre 47% sept ans plus tôt.
Dans ce contexte, on comprend que la médiation de dette retienne toute l’attention de l’Observatoire. Si elle s’est révélée possible dans 75,4% des cas,elle n’apparaît pas comme une mesure appropriée pour traiter le surendettement des 24,6% de cas restant, en raison de ressources insuffisantes dans le chef du débiteur(17,7%) ; de refus de collaboration des créanciers (0,8%) ; de refus de collaboration du débiteur (6,1%).
Profil moyen du surendetté
Un des problèmes soulevés par l’Observatoire est que lorsque les personnes se présentent dans un centre de médiation de dettes, elles sont déjàconfrontées à une série de difficultés. Ainsi, on constate que 47% des ménages présentent des retards de remboursement et 34,7% ont déjàreçu une lettre recommandée de rappel. 26,8% font l’objet d’une mise en demeure et 30,4% ont été sommés de payer par exploit d’huissier. 11,5% desménages subissent une saisie sur salaire et 6,5% une saisie immobilière. 7,6% des ménages doivent faire face à des coupures de gaz/électricité, detéléphone. Pour les plans d’apurement qui présentent une date d’échéance (21% des dossiers), la durée moyenne s’élèveà 48 mois tandis que les mensualités moyennes retombent de 19.378 FB (avant-plan) à 10.462 FB. Il apparaît enfin que 28,5% des personnes aidées par un centre demédiation nécessitent un suivi psychologique.
Faire de la prévention active
ýa croissance du surendettement s’explique selon Nadine Fraselle, directrice de l’Observatoire du crédit et de l’endettement, par différents facteurs : « Lespersonnes en situation déjà de précarité sont plus captives, plus vulnérables et donc constituent des proies faciles pour le marché du crédit.Celui-ci est d’ailleurs de plus en plus pénétrant, il utilise des méthodes de marketing telles qu’on en vient à confondre produit et crédit, celui-cidevenant l’attribut du produit et certaines personnes en arrivent à ignorer qu’en achetant tel produit par la même occasion elles souscrivent à un crédit. Lacomplexité de la matière rend aussi les choses plus difficiles ; il faut presque devenir expert pour pouvoir maîtriser ses opérations de crédit. Il estd’ailleurs symptomatique de remarquer que nombre de personnes ignorent quel taux d’intérêt est appliqué. Il ne faut pas non plus minimiser l’aspect psychologique: le crédit permet d’acheter des produits qui donnent l’illusion de l’égalité, malgré le peu de revenus dont la personne dispose, et confèrent unecertaine forme de reconnaissance dans la société. Cette illusion est d’ailleurs utilisée clairement dans les méthodes marketing. » Que faire alors ? « Renforcer laprévention, répond Nadine Fraselle. Il faut responsabiliser le prêteur pour qu’il soit plus diligent. Les prêteurs expriment la volonté de répandre lescodes de bonne conduite mais cela ne suffit pas. Un certain nombre d’entre eux jettent l’opprobre sur toute la profession. Il est évidemment difficile de demander à unvendeur de voiture, pour prendre un exemple, de commencer à faire de la pédagogie sur le crédit auprès du consommateur. Une fois, les clients dans son garage, il estdéjà trop tard. Mais la prévention, c’est aussi le rôle des syndicats, des mutuelles, des associations, des
mouvements de jeunesse, de plus en plus d’ailleurss’y emploient. Ceci dit, il existe en Belgique un dialogue entre les associations de consommateurs et les prêteurs, on se parle.
Aujourd’hui, les services de médiation de dettes pourtant en croissance sont débordés. De plus en plus de gens se rendent chez l’avocat, le notaire. C’estpourquoi, il nous faut aussi surtout mettre l’accent sur le développement de la prévention active, sur la consommation en elle-même. La consommation est trèsliée au plaisir, à l’image. Il faut se questionner sur nos rapports à l’argent, la manière dont on fonctionne, notre manière de consommer. On peut lefaire à travers des animations culturelles, déjà bien avant dix ans chez les enfants mais aussi chez les adultes qui se questionnent sur le crédit. Les brochures ont quantà elles peu d’efficacité dans ce domaine. »
Une centrale positive pour 2003
Autre initiative dont l’Observatoire attend avec impatience le démarrage : la centrale positive. « Il existe déjà une centrale négative gérée par laBanque centrale, mais il faut aller plus loin, c’est-à-dire intervenir avant qu’il ne soit trop tard. Cette centrale positive permet de savoir le nombre de créditsdéjà souscrits par la personne. La loi est votée depuis ce mois d’août, c’est également la Banque centrale qui enregistrera les contrats de créditmais on attend toujours les arrêtés d’exécution… »
Renseignements pris auprès du cabinet Picqué3 en charge de cette matière, il nous a été répondu que le comité d’accompagnement avaitété créé, que l’arrêté principal d’exécution allait aller sous peu au Conseil d’État et que donc la centrale positive devraitêtre opérationnelle pour mars 2003. » Quant au fonds du traitement du surendettement lui aussi très attendu dans le secteur de la médiation de dettes, il a étévoté décembre 2001 à la chambre. Ici aussi il faudra attendre quelques mois avant de le voir réellement sur pied. Pour rappel, ce fonds lié à la loi durèglement collectif de dettes de 1998 a été prévu pour financer la médiation de dettes lorsque les revenus du débité sont insuffisants. Il devraitêtre alimenté en fonction du nombre de créances enregistrées dans le fichier négatif. Patience donc.
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Et en Europe ?
Les 13 et 14 novembre derniers, à l’initiative du ministre des Affaires économiques, Charles Picqué, 300 représentants des professionnels du crédit,d’organisations sociales et des consommateurs de 26 pays européens se sont réunis à Charleroi pour traiter de l’harmonisation communautaire des créditsà la consommation. Une constatation s’impose : 5 à 10% de la population européenne est directement concernée par la problématique du surendettement. Mais lesdonnées statistiques relatives à l’endettement et au surendettement des ménages sont fragmentaires et peu comparables et l’étude systématique de cesphénomènes est insuffisante. Et pourtant, l’encours total du crédit des ménages s’élève au niveau de l’Union européenne à3.034 milliards d’euros dont 490 milliards d’euros concernent seulement le seul crédit à la consommation. Si l’offre de crédit ignore de plus en plus lesfrontières, il en est malheureusement de même du surendettement. D’où la nécessité d’harmoniser quelque peu les pratiques en matière deprévention et de médiation de dettes. Certains pays européens n’ont aucune législation au niveau de la prévention du surendettement. Autre exemple proche :nos voisins français sont actuellement farouchement opposés à un quelconque fichage. « L’Europe s’occupe actuellement de dynamiser les marchés mais ne sepréoccupe pas du surendettement, commente Nadine Fraselle. Le marché s’est développé, il faut revoir la directive européenne sur le crédit. On peutmaintenant souscrire à des crédits dans d’autres pays européens, les TAEG ne sont pas identiques. Il faut créer des fichiers enregistrant à la fois lesdéfaillances de paiement mais aussi les contrats de crédit en cours. La reconnaissance de ces fichiers et leur interconnexion dans l’espace européen sur la base de laréciprocité doivent permettre d’ouvrir le marché. Nous avons décidé d’ailleurs d’insister dans nos recommandations finales pour que l’oncrée un cahier des charges commun à ce point de vue. Nous devons également mieux faire circuler l’information, échanger les bonnes pratiques. Nous avonsproposé à cet effet la création d’un observatoire européen de l’endettement. »
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1 L’analyse des dossiers de surendettement traités dans les centres de médiation de dettes permet de dresser le profil des personnes en difficulté et d’évaluerla nature et le niveau de leur surendettement. Parmi les 166 centres de médiation agréés en région wallonne, 49 ont participé à l’élaboration dela base de données. 992 dossiers ont été examinés.
2 Observatoire du crédit et de l’endettement, av. Général Michel 1A à 6000 Charleroi, tél. : 071 33 12 59, fax : 071 32 25 00.
3 Cabinet Picqué, square de Meeûs, 23 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 506 51 11, fax : 02 514 46 83.
Archives
"Le surendettement en Wallonie : de plus en plus lourd"
catherinem
17-12-2001
Alter Échos n° 111
catherinem
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