La notion de territoire peut recouvrir beaucoup de choses. Au point de venir gentiment interroger un secteur tout entier. La conférence « Economie sociale et territoire » a réalisé cet (intéressant) tour de passe-passe
Intéressant et parfois iconoclaste, voilà comment résumer le contenu de la conférence organisée par Saw-b (Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises, la fédération d’économie sociale) le 26 avril dernier à Monceau-sur-Sambre. Pourtant, le thème du jour aurait pu laisser penser que l’on se dirigeait vers une matinée ronronnante. Il n’en fut (presque) rien. A parler territoire, les différents intervenants qui se sont succédé ont en effet plus abordé et interrogé, presque sans avoir l’air d’y toucher, une bonne partie de la « carte mentale » du territoire de l’économie sociale plutôt que la stricte question de son ancrage local. Relations et collaborations avec le secteur de l’économie « classique » et le politique, « modèle » économique, possibilité d’association entre acteurs du secteur, on a beaucoup parlé de certains « tabous » du secteur. Avec, dans les interventions de certains orateurs, une volonté affichée de les interroger, de les bousculer.
Un constat pas si étonnant que cela finalement puisque l’on sent depuis quelque temps une volonté à ce niveau du côté de Saw-b. « Et puis « territoire » cela peut vouloir dire beaucoup de choses, c’est ce qui amène aussi ce type des réflexions variées », nous dira Quentin Mortier, coordinateur d’une étude sobrement intitulée « Economie sociale et territoire » (voir encadré), publiée par Saw-b et qui a en quelque sorte amené à la mise sur pied de la conférence. « On dit toujours que l’économie sociale est ancrée dans le territoire. Or la question du territoire est un sujet trop peu discuté qui décloisonne le monde politique, économique et qui pose les questions de la relocalisation de l’économie, de la gestion du bien commun, de la transition écologique », lancera en guise d’introduction Marie-Caroline Collard, directrice de Saw-b.
A.E. : Pourquoi avoir réalisé cette étude ?
Q.M. : Il s’agissait notamment de rappeler à l’économie sociale qu’elle est sur un territoire et qu’elle peut interpeller les pouvoirs locaux et co-construire avec eux. C’est un sujet qui peut paraître évident, mais qui est souvent mis de côté.
A.E. : Comment l’avez-vous réalisée ?
Q.M. : Nous avons notamment organisé des tables rondes avec le secteur en Belgique et en France.
A.E. : Cette conférence se situe dans la lignée de l’étude ?
Q.M. : Oui, nous voulions la concrétiser. La notion de territoire a beaucoup de facettes, l’idée était que les participants repartent avec des lunettes de lecture sur ce sujet.
A.E. : Vous parlez de facettes. Les intervenants français ont présenté une approche et des projets originaux.
Q.M. :C’est en effet une question qui y est plus débattue qu’ici. Il y a aussi plus de dispositifs.
L’étude est disponible sur le site de Saw-b.
Une économie de liens
Si les réflexions ont donc pu être parfois iconoclastes, on le doit en partie aux intervenants français qui composaient une part non négligeable des personnes appelées à prendre la parole. Si certains invités plaisantaient à propos de l’attachement de nos voisins d’outre-Quiévrain à leurs (sous) collectivités locales, ce sont ces mêmes Français qui bien souvent se sont montrés les plus originaux dans leur approche. Hervé Knecht, secrétaire général du groupe Altereos, un « ensemblier d’entreprises sociales » actives notamment dans les centres d’appels, la numérisation et le conditionnement, distinguera ainsi l’économie traditionnelle de l’économie sociale. « L’économie traditionnelle est une économie de biens où l’on vend des choses pour en obtenir de l’argent. L’économie sociale est une économie du lien, de la rencontre, de la solidarité, du maillage, elle se retrouve donc foncièrement sur un territoire », dira-t-il. Néanmoins, il le précisera, notre homme « fait du business. Nous sommes sur des marchés nationaux, voire internationaux. Mais l’utilité sociale de la coopérative fait que l’argent y reste. » Herve Knecht ne crache d’ailleurs pas sur les PME. « La majeure partie des PME sont propres, et nous ne sommes pas tous des bisounours dans l’économie sociale, lancera-t-il suite à une question concernant la responsabilité sociale des entreprises. Nous n’avons plus le temps de nous opposer. A Lille, nous nous sommes tapés dessus pendant vingt ans entre économie sociale et économie solidaire. Laissons la chance aux sociétés économiques traditionnelles de bouger, il faut que notre secteur puisse déteindre sur l’économie traditionnelle, il faut augmenter la porosité à ce niveau, sans perdre son esprit. »
Lui succédant au micro, Patricia Andriot, vice-présidente de la Région Champagne-Ardenne et administratrice du réseau des collectivités territoriales pour l’économie solidaire, abonde également dans le sens d’un certain décloisonnement. « Aujourd’hui l’économie sociale est au pied du mur, affirmera-t-elle. On en parle depuis des décennies, il y a des outils juridiques, mais ça ne décolle pas vraiment. » Face à la crise actuelle, face au système économique à bout du souffle, il y a pourtant pour Patricia Andriot « une fenêtre de tir pour l’économie sociale. On est en recherche de solutions et les statuts de l’économie sociale sont bons à ce niveau. On parle ainsi de trop grande financiarisation, de désindustrialisation, d’incapacité à réinvestir les profits dégagés dans le système. Or, le statut de la coopérative, par nature, joue sur le réinvestissement de l’argent. » Néanmoins, pour elle, il faut dans ce contexte que l’écosoc soit au rendez-vous : « On ne peut pas se contenter d’être à côté du système, il y a un enjeu à peser sur l’économie globale. »
Pour que l’économie sociale puisse, dans ces conditions, être portée par les politiques publiques et accompagnées par les élus, condition importante, il faut notamment un décloisonnement qui « s’opère d’autant mieux si on est dans le territoire, au niveau du bassin de vie, qui fait levier de développement économique. A ce niveau, on se soucie peu des débats de définition, il faut arriver à faire tomber les barrières qui consistent notamment à dire « Je travaille ou pas avec telle ou telle structure parce qu’elle est de l’ES ou pas. »
Des territoires immatériels ?
Lors d’un atelier nommé « Quelle coopération entre acteurs d’un même territoire ? Comment faire groupe ? » on aura encore l’occasion d’explorer ce type de démarche, notamment par le biais de l’expérience de la « Grappe d’entreprises beaurinoise », qui rassemble une dizaine d’artisans et d’entreprises (d’économie sociale) de la région ayant un projet commun : concevoir, rénover ou construire des maisons innovantes, économes en énergie et composées de matériaux écologiques et durables.
Enfin, le pôle territorial de coopération économique initiatives et cité permettra de s’interroger encore, outre les logiques de regroupement, sur la notion de territorialité puisque ce cluster regroupe des entreprises du développement local durable autour des métiers du conseil, de la formation et de la communication, dont une bonne partie sont actives dans le nord de la France, mais aussi à Lyon ou La Réunion. Une manière de créer une sorte de « territoire immatériel ». « C’est une erreur, dans le secteur de l’économie sociale, de ne penser qu’au niveau local. Je n’ai jamais autant appris dans mon métier de développeur local qu’en allant voir ailleurs », conclura Sandrino Graceffa, PDG du pôle.