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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Léa Frédeval, voix d’une jeunesse qui ne lâche rien

Léa Frédeval, auteure de l’ouvrage «Les affamés, chronique d’une jeunesse qui ne lâche rien», dresse le portrait à vif d’une génération dont on parle beaucoup mais qu’on entend finalement peu. Une «génération sacrifiée» qui aspire à plus de reconnaissance et de bienveillance de la part de ceux qui la précèdent.

21-10-2016
Léa Frédeval, voix d’une jeunesse qui ne lâche rien

Léa Frédeval, auteure de l’ouvrage «Les affamés, chronique d’une jeunesse qui ne lâche rien», dresse le portrait à vif d’une génération dont on parle beaucoup mais qu’on entend finalement peu. Une «génération sacrifiée» qui aspire à plus de reconnaissance et de bienveillance de la part de ceux qui la précèdent.

En 2014, Léa Frédeval a 22 ans. Elle vient tout juste d’achever ses études des sciences de l’information, vit à Paris et bosse comme serveuse, ouvreuse, baby-sitter, vendeuse, assistante. C’est l’année où elle publie «Les affamés, chronique d’une jeunesse qui ne lâche rien» (Bayard, 2014), portrait à vif d’une génération dont on parle beaucoup mais qu’on entend finalement peu. Une jeunesse qui trime, cumule étude et boulots, raconte sur les réseaux sociaux «les moindres détails de sa vie moisie», qui noie ses galères dans la bière et «tente toujours de paraître dix fois plus riche que ce qu’elle n’est». Une «génération sacrifiée» pour qui «non, ça n’est pas normal de vivre dans neuf mètres carrés, de travailler 75 heures par semaine, d’être embauché comme stagiaire pour 6 mois et de devoir en plus en être reconnaissant». Malgré des pages très sombres, la jeunesse que cette jeune auteure dépeint est aussi énergique, créative, résiliente et pleine d’espoir.

«Je ne suis ni la masse, ni un cas particulier»

Aujourd’hui, Léa Frédeval a fini ses études, est inscrite à Pôle Emploi, travaille sur l’adaptation de son livre au cinéma, et fait toujours du baby-sitting. Fille de classe moyenne au compte en banque souvent vide mais au capital culturel et social satisfaisants, Léa Fredeval refuse d’être «la porte-parole d’une génération perdue», ou la «revendicatrice d’une jeunesse mécontente». «Je ne suis ni la masse, ni un cas particulier, je n’aime pas parler au nom de tous», écrit-elle. Elle aspire avant tout à la reconnaissance des générations qui précèdent la sienne et qui, parfois, peinent à la comprendre.

Interview-abécédaire avec une fille bien dans ses baskets autours des mots qui façonnent notre époque, de A pour Adama à Y, la la lettre qu’on colle à cette génération née entre le début des années 80 et le milieu des années 90.

Adama
(Le 19 juillet 2016, Adama Traoré, 24 ans, est décédé à l’issue d’une interpellation à Beaumont-sur-Oise en banlieue parisienne)

Cette bavure policière a été été complètement ignorée. François Hollande s’est tu… On écoute certaines personnes et pas d’autres en raison de leur couleur de peau ou de leur religion. Il y a quelques années, il y a eu des émeutes dans les banlieues. Quand on prive des jeunes et des communautés de leur parole, faut pas s’étonner qu’ils aient recours à la violence. Je déteste cette inertie dans le chef de nos décideurs politiques.

La mort d’Adama et le silence qui l’entoure me révolte mais que puis-je faire à part manifester et signer des pétitions ? Je veux que la voix de ces jeunes soit entendue mais je ne peux pas parler en leur nom. J’en ai beaucoup discuté avec des amies afro- féministes. Elles préfèrent que ça prenne du temps qu’on les écoute plutôt que ce soit moi qui m’exprime publiquement.

Demain

Tout le monde nous dit que demain ça sera pourri, que le monde va s’effondrer. J’ai envie de résister, de ne pas me plier aux injonctions extérieures qui envoient du noir et de la haine. Même si Marine Le Pen est élue, même si c’est encore la guerre en Syrie, on trouvera toujours de la lumière quelque part.

Etat d’urgence

L’état d’urgence a de multiples visages. Pour moi, l’urgence concerne toutes les personnes perquisitionnées qui sont encore à la rue aujourd’hui. Ce qui m’inquiète surtout, c’est tout ce qui n’est pas géré : la stigmatisation d’un « autre », l’amalgame entre religion et terrorisme, la création d’une communauté bouc-émissaire. C’est l’inertie qui me dérange, plus que l’état d’urgence.

Famille

La famille n’aura pas le même visage qu’hier. C’est fini le « un papa, une maman » que défendent les «tarés» de la Manif pour tous. Il faut qu’on commence à comprendre qu’on peut vivre avec quelqu’un du même sexe, que des femmes ne veulent pas d’enfant. Mais la société n’avance pas aussi vite que les jeunes sur ces points-là. Je vais vous donner une anecdote des injonctions que je sens peser sur moi. Je vais avoir 26 ans. Depuis deux mois, chaque fois que j’ouvre Youtube, je tombe sur une publicité pour un test de grossesse Clearblue. C’est fou, le marketing me signale qu’il est temps de faire des enfants !

Féminisme

Je suis en train d’écrire une pièce de théâtre sur le sujet ! Selon moi, le féminisme ne marchera pas sans les hommes. Il faut avancer ensemble. Christiane Taubira (Ministre de la Justice démissionnaire dans le gouvernement Hollande) est mon modèle féministe. J’ai retenu cette phrase d’elle : « C’est en réglant la problématique hommes femmes qu’on pourra régler les autres inégalités». Elle est rassembleuses et humaniste. Taubira présidente !

Internet

Internet a changé notre manière de penser et de voir le monde. Ma génération n’a pas connu l’« avant » Internet. Je me rends compte que notre quotidien est multi-tâche, qu’on a la capacité de passer d’un boulot à un autre, d’une situation à une autre. Cette gymnastique de notre cerveau a été, selon moi, rendue possible par Internet. On apprend à penser comme les fenêtres qui s’ouvrent et se ferment sur nos écrans d’ordinateur. Internet a aussi des potentialités d‘ouverture extraordinaires. Il a effacé des frontières. Il nous a rapprochés du bout du monde.

Loi Travail

C’est une catastrophe, un écran de fumée. Cette loi fait partie de toutes ces mesures soi-disant mises en place en faveur de la jeunesse et qui ne font en réalité que nous mettre la tête sous l’eau. Ça participe de la grande déception que ma génération peut avoir à l’égard du président qu’on a élu. Cette Loi Travail a débouché sur le Mouvement Nuit Debout. Un jour, François Hollande en parlait et il a déclaré : «Les jeunes sont en colère et ils sont là pour ça, c’est normal ». Cette phrase est d’un mépris complet. Elle résume le regard que de nombreux adultes portent sur nous, et l’usage de notre âge comme excuse : «C’est normal qu’on ne soit pas d’accord puisqu’on est jeune ». Cette condescendance est abjecte.

Précarité

La précarité dont on a parlé à Bruxelles (Léa Frédeval participait au colloque sur la précarité des jeunes organisé par le FORUM-Bruxelles contre les inégalités, ndlr) n’est pas la mienne. J’ai un appartement, je ne suis pas à la rue. La jeunesse qu’on a évoqué lors de ce colloque est victime d’une précarité culturelle et psychologique que je ne connais pas. Un acteur social a dit quelque chose de fou : « C’est pas que les jeunes ne sont pas connectés au monde, c‘est qu’ils ne l’ont jamais été ». J’ai eu de la chance d’avoir une éducation, qui m’a donné accès à l’expression. C’est important de reconnaître ses privilèges, comme celui de s’appeler Léa. Je n’aurais pas eu les mêmes chances si je m’appelais Karima…

Uberisation

J’ai été concierge pour Airbnb. J’avais pas de patron, je gérais mon temps comme je voulais, au gré des réservations des touristes. Après 37 employeurs en 24 mois, ça m’a fait du bien. En plus, j’étais pas trop mal payée. Beaucoup d’adultes dénoncent l’uberisation du monde. Moi, j’adore. Uber ne paye pas d’impôt, bien sûr ça révolte. Mais c’est aussi grâce à Uber que je peux sortir le soir, parce que c’est moins cher, parce que les Uber sont partout. De plus, ils ont un caractère humain et chaleureux, ce qui n’est pas toujours le cas dans les taxis. Avec Uber, tu rencontres quelqu’un qui te ressemble, qui n’a pas une vie très simple, comme toi. Il ne faut pas négliger cette composante humaine dans ces nouvelles formes de services.

Génération Y

Je n’aime pas les étiquettes et les catégories. Quand on regarde la définition et les synonymes de «jeunes », des adjectifs comme crédule, naïf, inexpérimenté, reviennent souvent. On résume en un mot un groupe multiple. C’est pareil avec la « génération Y », qui évoque des gens mous du genou qui passent leur vie devant leurs ordis à chatter sur les réseaux sociaux.

 

Léa Frédeval ouvrait le Ted x Paris au Grand Rex le 13 septembre 2016

 

ETATS D’URGENCE IDENTITAIRES

Participez au débat organisé par l’Agence Alter avec le Festival des libertés !

En réaction à des événements fortement médiatisés qui touchent des questions d’identités et de sécurité, des plans politiques d’urgence sont mis en place à l’échelle locale. Quel est leur impact sur les identités d’un quartier, des jeunes ? Urgence et identité sont-elles compatibles pour garantir les droits sociaux, économiques et politiques dans une société de plus en plus diversifiée et inégale ? Quelles sont les pistes pour faire de ces identités multiples une force et non une désespérance ?

Forum autour des jeunes du médialab, Muriel Sacco (doctorante, experte des politiques publiques et de la mobilisation des acteurs privés dans les projets de développement urbain), Vital Marage (chargé de projet « relations interculturelles et accueil primo-arrivants » de la commune d’Anderlecht),Rachid Benzine (islamologue, politologue français) et Jacinthe Mazzocchetti(anthropologue, experte des migrations et des constructions identitaires en contexte de mondialisation). Modération : Aude Garelly (consultante en politiques sociales, ancienne directrice de l’Agence Alter).

La rencontre sera ponctuée par des capsules du work in progress de l’équipe des jeunes du médialab suite à leur visite interculturelle de Cureghem et ateliers. Les intervenants réagiront aux capsules et à la parole des jeunes.

Ce mercredi 26 octobre à 18h au Théâtre National. Infos : www.festivaldeslibertes.be

Manon Legrand

Manon Legrand

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