8Infini est une entreprise d’insertion (EI) créée il y a un an. Détail peu courant : elle est notamment active dans la numérisation d’archives audiovisuelles. Plongée dans les couloirs de cette EI finalement très vintage.
L’endroit aurait de quoi donner des vapeurs aux amateurs de vinyles. Dans un dédale interminable de couloirs dissimulés au sein des entrailles du « paquebot » de la place Flagey, les caisses de disques s’empilent, s’amoncellent un peu partout. L’envie est forte d’extraire l’une ou l’autre plaque, d’arracher ces albums à leurs classements incompréhensibles pour les faire revivre sur une belle platine bien luisante. Peut-être qu’alors, les travailleurs qui s’affairent derrière les baies vitrées de plusieurs studios finiraient par se lever pour faire voler en éclat l’ambiance quasi monacale des lieux. Tapis au sol, pas feutrés, GSM déposés à l’entrée, le volume sonore autorisé en ces lieux est relativement bas. Tout est fait pour y éviter l’intrusion d’interférences éventuelles.
Nous sommes ici dans les locaux de 8Infini, une entreprise d’insertion spécialisée entre autres dans la numérisation d’archives audiovisuelles (voir encadré) : disques, mais aussi cassettes vidéo ou DAT (Digital Audio Tape). Un travail de bénédictin qui peut se révéler très long. À titre d’exemple, les caisses de disques évoquées ci-dessus appartiennent à la Bibliothèque nationale de France. Le lot concerné est énorme, il faudra cinq ans pour le numériser, photos des pochettes et des labels incluses. Le tout en suivant une procédure quasi maniaque, établie avec le client selon son niveau d’exigence. Le boulot effectué est donc plutôt qualifié, ce qui ne va pas toujours de soi dans le milieu de l’économie sociale. Au menu des fonctions, pour la numérisation d’archives : « opérateur polyvalent », « renfort vidéo » ou encore, « responsable de studio ».
Au diable l’emballage
Pourquoi avoir choisi ce secteur d’activités bien spécifique ? « Nous nous sommes rendu compte que la crise touchait plus durement les métiers peu qualifiés. Faire de l’emballage ou de l’assemblage, pourquoi pas, mais même les entreprises de travail adapté ont du mal à effectuer ça à l’heure actuelle, explique Émilie Many, directrice ressources humaines chez 8Infini. Il s’agissait donc de se lancer dans une activité qualifiée. Et puis nous avions une volonté d’innover. » Si Émilie Many parle de « nous », c’est qu’elle n’est pas la seule à mener la barque 8Infini. Stéphane Emmanuelidis, administrateur délégué, est également de la partie. Les deux compères ne sont pas des novices dans le social. Il y a peu, ils étaient actifs au sein du Village n°1 qui opérait, entre autres, dans le domaine de la logistique documentaire. C’est de cette époque que datent leurs premiers contacts avec l’entreprise Memnon Archiving Services, spécialisée dans la numérisation d’archives audiovisuelles. Une entreprise avec laquelle 8Infini a développé un partenariat qui lui permet d’être active aujourd’hui. « Memnon nous sous-traite une partie de ses activités, qui est justement l’opérationnalisation, ou l’acte technique de numérisation », détaille Émilie Many. Une relation commerciale existe donc, mais selon la directrice RH, ce lien va plus loin qu’une simple offre de service. « Il y a aussi une volonté chez nos partenaires d’ajouter un volet social à leurs activités », argumente-t-elle avant de préciser que Memnon et 8Infini partagent leurs locaux.
De la couture à l’archivage
Malgré l’aspect social, le travail des employés de 8Infini est exigeant. Les procédures à suivre confinent à l’obsessionnel. Et le travail s’effectue en flux tendu jusque tard dans la nuit, par shifts de huit heures. « C’est un travail minutieux, continue Émilie Many. L’une de nos travailleuses a une formation de couturière. Rien à voir, à première vue. Mais la couture a ceci de commun avec la numérisation qu’il y a une procédure à respecter, une minutie dans le travail à posséder. »
Cela dit, beaucoup des travailleurs de 8Infini ont déjà une expérience dans l’audiovisuel en tant que projectionnistes de cinéma, cameramen ou ingénieurs du son. Avec pour tous, puisque l’on se trouve dans le cadre d’une entreprise d’insertion, une certaine période de chômage derrière eux. Pour certains, dont les ingénieurs du son, numériser des vinyles peut s’apparenter à un petit retour aux sources. Il suffit pour s’en apercevoir de pénétrer dans l’un des studios où ils officient au milieu de platines tournant simultanément. Détail amusant : celles-ci sont déposées sur des supports indépendants des meubles où se trouvent les ordinateurs. On n’est jamais trop prudent, un geste malheureux sur le PC, un petit saut d’aiguille, et tout le travail serait à recommencer. « Je dois écouter les disques pour voir si le rendu est bon, et jongler entre les différentes platines, nous explique l’un des ingénieurs. Avec l’expérience, on finit par savoir que faire en regard des différents styles de musique, que ce soit du classique ou du jazz. » Un autre travailleur comparera quant à lui son travail « au fait de retourner une vieille bouteille de vin dans une cave pour la conserver. La numérisation d’archives, c’est un peu ça ». Quand on vous parlait de travail de bénédictin !
« Ce n’est pas évident de tenir le coup »
Depuis sa création, 8Infini s’est développée. L’EI compte aujourd’hui 25 travailleurs public cible, pour la plupart sous contrat à durée indéterminée. Problème : d’après Émilie Many, la structure n’est pas financée par la Région à la hauteur de ce chiffre. « Nos subsides sont calculés sur base du nombre du public cible que nous avions en février 2013, c’est-à-dire. trois. Or aujourd’hui, nous en sommes à 25 travailleurs. Ce n’est pas évident de tenir le coup. Nous tenons sur fonds propres et parce que nous partageons les locaux avec Memnon. Mais il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps. »
8Infini est reconnue comme entreprise d’insertion. Officiellement, la structure se base sur huit types d’activités, mais n’est active à l’heure actuelle que dans l’archivage/numérisation, l’administratif/bureautique (pour Memnon et New-b, une coopérative dont l’objectif est de créer une banque « par et pour le citoyen ») et le nettoyage (pour l’asbl bruxelloise Relie-F). 8Infini est constituée en société coopérative à finalité sociale. Les travailleurs ne peuvent cependant pas encore acheter des parts de la coopérative. Cela pourrait-il se faire ? Émilie Many répond par l’affirmative, sans sembler toutefois complètement sûre d’elle. Pourquoi dès lors s’être constituée en coopérative ? « C’est un modèle qui correspond à notre volonté participative et sociale », justifie-t-elle. Notons que 8Infini est membre de l’Acfi (Association coordonnée de formation et d’insertion) et va effectuer une demande pour devenir membre de la Febisp (Fédération bruxelloise des organismes d’insertion socioprofessionnelle).
Les entreprises d’insertion (EI) sont des sociétés commerciales qui exercent une activité de production de biens ou de services visant l’insertion socioprofessionnelle de demandeurs d’emploi difficiles à placer.