François Milis est le fondateur d’Echos communication et de l’Effet papillon, une asbl qui propose un coaching individualisé aux jeunes migrants. Miguel de Clerck est le directeur d’Echos communication. Depuis 2012, l’ONG mène avec succès un projet-pilote de coaching communautaire au Maroc. Interview croisée autour de la notion de « capacitation ».
A.E. : En langue Bantoue, Harubuntu signifie « à cet endroit, il y a de la valeur ». Comment est née l’idée de décerner un prix pour mettre en avant les porteurs d’espoir en Afrique ?
François Milis : J’ai commencé ma carrière dans la coopération comme agronome. J’ai été frappé par le fait que tout tournait autour de la production. Augmenter la production de biens, de services, d’eau, de nourriture… Dans les campagnes de sensibilisation, on dévalorisait systématiquement le public cible, les partenaires, pour survaloriser l’intervention de l’Occidental. Il m’a semblé que le jeu de rôles dans lequel s’était installée la coopération nuisait à l’expression des potentiels. On perpétue la logique de dépendance. Tant qu’on ne met pas l’homme au cœur du développement, qu’il doute de lui, il ne peut porter son destin. Dans de nombreuses ethnies d’Afrique, le mot développement se traduit par « la chose du blanc ».
De mon point de vue, le problème de la participation et de l’appropriation est une question de communication. Dans les médias, on présente toujours l’Afrique comme le continent des catastrophes, des manques et de la misère. Jamais comme celui du potentiel et des initiatives porteuses de développement. D’où l’idée de ce prix qui met en avant les talents du continent.
Miguel de Clerck : On peut faire un parallèle avec le social chez nous. Si l’on répète à un chômeur de longue durée qu’il n’est qu’un bon à rien, comment peut-il croire qu’il peut avoir un impact sur son avenir ? Il suffit parfois qu’une ou deux personnes croient en lui, pour qu’il se sente à nouveau acteur. Les neurosciences nous prouvent que, en situation de stress, on perd nos capacités de créativité d’innovation, notre lucidité.
A.E. : On n’a pas l’habitude de voir les mots coaching et coopération au développement se côtoyer. En quoi consiste votre démarche ?
M.d.C. : Le coaching, c’est l’outil qui permet de faire émerger, au sein d’une population, ce qui fait qu’elles ont les capacités d’atteindre leur propre rêve. C’est le contraire de ce que fait la coopération, dans ses aspects les plus caricaturaux, quand elle prétend savoir ce qui est bon pour les autres. Au Maroc, on teste une formule de coaching territorial en partenariat avec le Réseau marocain d’économie sociale et solidaire (Remess). Ce processus se déroule en trois étapes. Dans un premier temps, il permet d’identifier les acteurs, le type de relations qu’ils entretiennent, les conflits éventuels. Ensuite, on demande aux participants d’identifier leur rêve. Enfin, on leur demande de définir les actions à mettre en œuvre. Les premiers résultats sont très encourageants. La difficulté reste à intégrer ce processus, qui prend du temps, dans le système de la coopération qui a ses normes : impératives en termes d’exigence et de résultats attendus.
F.M. : Avec l’Effet papillon, ma démarche est la même au niveau de l’individu. Le coaching, fondamentalement, c’est aider la personne à se reconnecter à elle-même. Trop souvent, on poursuit des objectifs qui ne sont pas les nôtres. Courir le rêve d’un autre, celui de ses parents ou de ses grands-parents, n’amène nulle part. Une des lauréates du prix Harubuntu, Saly Wade, m’expliquait qu’un des problèmes des jeunes Sénégalais aujourd’hui, c’est qu’on leur reproche de pas être assez ambitieux. Ils doivent faire mieux que leurs parents. Mais quand un jeune a de l’ambition, on lui dit : « pour qui tu te prends, tu te crois mieux que nous ? ».
Les migrants sont souvent pris dans des conflits d’allégeance et de loyauté. Parce qu’ils vivent entre deux mondes, ce sont les sentinelles de la mondialisation. Ils intègrent deux types de rapport au monde, d’intelligence, de légitimité. Mon projet est d’accompagner ces jeunes, qui sont des interfaces culturelles, à identifier leur potentiel. Qu’ils arrivent à percevoir cela comme une richesse plutôt que comme un déracinement. Passer du « ni… ni… ». Je ne suis ni chez moi ici, ni ailleurs. Au « et… et… ». Je suis et Belge et migrant.
A.E. : Mettre l’humain au cœur de développement, c’est une belle idée. Mais ne comporte-t-elle pas un risque de porter la responsabilité sur les épaules de l’individu quand le problème incombe au système ?
F.M. : Changer le système de la coopération, c’est un objectif énorme ! Pour passer d’une gestion du manque à la gestion du potentiel, il faudrait changer les procédures, les financements, les modes d’identification des problèmes. Certains diront que c’est une vision libérale, peu sociale. Je ne sais pas. Mais je crois que la conscience est dans l’homme et que si les gens commencent à penser les choses autrement individuellement, puis collectivement, automatiquement se crée un changement de norme.
[e]Micro-dico
Empowerment : Avant de faire son entrée dans le champ des politiques de lutte contre la pauvreté ou de la coopération, l’empowerment est né dans le contexte de la lutte des femmes aux États-Unis pour la reconnaissance de leurs droits au début du 20e siècle. Mécanisme par lequel un individu ou une communauté acquiert le contrôle de son destin, cette notion peut être traduite en français par « capacité d’action » ou « capacitation ».[/e]
En savoir plus
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