Est-ce parce que nous étions si pressés que tout cela s’est passé par téléphone? Quand ma compagne m’annonça le résultat de son test de grossesse, j’étais perdu au beau milieu de la campagne, en plein reportage sur un sujet vague comme le terrain sur lequel avait lieu notre discussion. Nous étions à l’automne 2015, et des attentats endeuillaient la France. J’étais à la moitié de ma vie, je venais d’en créer une, et la mort rôdait.
Tout s’est arrêté subitement alors dans ma tête. Est-ce parce que je n’avais contrôle sur rien? Que cette vie, à peine formée, allait se prendre le monde sur le coin de la gueule? Mon premier réflexe, pour rassurer le vieux social-démocrate qui sommeillait en moi, ne fut pas d’appeler un parent ou je ne sais qui, mais d’appeler la mutuelle.
⁃ Monsieur, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer. Je viens d’apprendre que je vais devenir papa…
⁃ Toutes mes plus sincères félicitations, Monsieur. Que puis-je faire pour vous?
De mon côté, journaliste indépendant, j’allais aussi découvrir que ce congé de paternité était une fable.
C’est alors que je débitai la situation de ma compagne. Même si nous étions en couple depuis quelques années, nous venions de nous installer ensemble quelques mois auparavant. Elle avait quitté son Italie natale pour s’installer à Bruxelles, où «le ciel est désespérément blanc». Elle réalisait de petits travaux de traduction, qu’elle facturait via Smart, et n’était pas encore inscrite auprès d’une mutuelle en Belgique, continuant de bénéficier du système sanitaire italien lors de ses retours dans le «Bel Paese». Après avoir raconté ces détails, le monsieur de la mutuelle me rassura sur l’inscription de mon épouse auprès de son institution; par contre, il m’indiqua qu’elle n’aurait peut-être pas droit à un congé de maternité. Il évoqua un nombre, celui de 400 heures pendant six mois pour pouvoir en bénéficier. Si elle avait été salariée ou chômeuse à temps plein, en ayant travaillé 120 jours pendant six mois, elle aurait également pu en bénéficier, mais là, même si ma compagne travaillait pas mal, on savait tous les deux qu’elle n’avait pas atteint ce seuil de 400 heures depuis son arrivée en Belgique et qu’il fallait faire une croix dessus. De mon côté, journaliste indépendant, j’allais aussi découvrir que ce congé de paternité était une fable. Ce n’est que depuis 2019 que ces dix jours de congés payés sont accessibles, sans être encore obligatoires, autant aux pères salariés qu’aux pères indépendants.
Pour accueillir un nouveau-né, il y avait mieux comme programme. Depuis, nous avons découvert, en devenant tous les deux employés et une deuxième fois parents, la nécessité et le bienfait de ce congé, certes trop court, pour accueillir un enfant, même si ce fut en plein confinement. Mais là, c’est une autre histoire…
L’économie de l’accouchement
Lors de l’accouchement, une des grandes questions existentielles parmi toutes les autres qui se posent concerne la chambre qui accueillera la mère et le nouveau-né: sera-t-elle commune ou individuelle? C’est un véritable business qui se joue là: tous les honoraires hospitaliers, y compris l’accouchement, sont majorés en fonction de ce petit détail… En effet, s’il s’agit d’une chambre individuelle, le médecin et les personnes qui auront porté assistance autour de l’accouchement sont autorisés à pratiquer des honoraires libres. Ces suppléments sont assez salés et varient d’un établissement à un autre, alors que, pour un accouchement dans une chambre commune, la patiente réglera 251 euros, tandis que l’Inami prendra en charge l’essentiel de la facture, soit 3.094 euros.
Le temps passé en maternité est bref également: trois jours, et on était déjà chez nous. Ma compagne était soulagée de quitter l’hôpital, mais, moi, j’avais l’impression d’être jeté dans le vide… Ces dernières années, la tendance est nettement au raccourcissement des durées de séjour en maternité au profit de soins effectués à domicile par des sages-femmes ou des assistantes maternelles. Entre 2000 et 2016, la durée moyenne pour un accouchement normal est passée de 5 à 3,1 jours. L’objectif est simple: en allant plus vite, les hôpitaux dégagent des bénéfices sur cet acte.
Premiers soins
Qu’à cela ne tienne, que ce soit lors du suivi prénatal ou de l’accouchement, mais aussi de retour à la maison, le citoyen en bonne santé découvre sans doute pour la première fois de sa vie toute la petite mécanique de la sécurité sociale. Et ce, sans même parler des primes de naissance (1.122 euros à Bruxelles, 1.100 en Wallonie) comme des allocations familiales (153 euros par enfant à Bruxelles, 155 en Wallonie) qui deviendront très vite un nouvel apport mensuel dans votre vie de famille, d’autant bienvenu qu’un enfant coûterait en moyenne 1.344 euros par mois selon une étude de la KU Leuven réalisée en 2018.
Pour le nouveau-né, il a à peine le temps d’être chez lui qu’il bénéficie d’un dépistage d’une série d’anomalies congénitales. Quant aux vaccins qui débutent dès le deuxième mois, ils sont gratuits chez le pédiatre ou en centre ONE. Pour peu que vous trouviez une place dans une crèche, vous découvrirez aussi rapidement le sens caché de l’expression «bouillon de culture». Les maladies infantiles se comptent sur les doigts de la main et portent des noms pour le moins exotiques comme l’érythème infectieux aigu, la roséole ou la rubéole scarlatiforme. Les rendez-vous chez le pédiatre feront partie de votre routine tout aussi scarlatiforme. La plupart des mutuelles remboursent à 100 % le ticket modérateur légal, soit la part restant à la charge du patient, pour toutes les consultations médicales chez un généraliste comme chez un spécialiste d’un enfant de moins de 18 ans, s’il dispose d’un dossier médical global (la centralisation de toutes vos données médicales contre un meilleur remboursement).
Les chiffres de l’Agence intermutualiste (AIM) sont éclairants: 58 % des moins de 4 ans n’ont jamais recours au dentiste.
Si l’arrivée des dents d’un nouveau-né est souvent une épreuve redoutée par le parent néophyte, leur entretien ne l’est pas moins. Car la première visite chez le dentiste vers l’âge de 3 ans est davantage un moyen de contrôler la qualité des cordes vocales de votre petit que de soigner ses quenottes. Même si on l’ignore encore trop souvent, les soins dentaires sont gratuits jusqu’à 18 ans. À ce niveau, il reste du travail à faire. Les chiffres de l’Agence intermutualiste (AIM) sont éclairants: 58 % des moins de 4 ans n’ont jamais recours au dentiste. Ils sont encore 15 % jusqu’à 18 ans. Si la gratuité a été décidée en 2005, elle ne l’est pas par contre pour les soins orthodontistes pour lesquels l’Inami ne prend en charge en moyenne que 30 % du montant, tandis que l’assurance complémentaire d’une mutualité peut rembourser jusqu’à 50 % du montant.
Petits bobos et grands tracas
Le monde ne devient pas plus dangereux quand on devient père, mais notre rapport au monde se modifie. Si elle rend plus fort, la paternité rend aussi plus vulnérable. L’enfant, quant à lui, ignore bien des menaces qui l’entourent: se faire écrabouiller par une trottinette électrique, boire du lait d’amandes par inadvertance, abuser de la vitamine D comme un junkie qui n’aurait pas eu sa dose… La Sécu est en somme un jeu que les enfants pratiquent à merveille. Au royaume des incertitudes, entre un bras cassé (74,87 euros. L’Inami prend tout en charge) ou une opération de l’appendicite (676,85 euros. L’Inami prend en charge 656,85 euros et les parents 20 euros), il faut pouvoir réagir… Pour le plus grand, on a déjà eu droit à la case opération pour son premier anniversaire. Et c’est loin d’être une exception: un enfant sur dix est hospitalisé, selon une étude des Mutualités libres datant de 2018.
Naissances, vaccins, soins, dentiste, opération, allocations, la Sécurité sociale ne nous lâche plus depuis que nous sommes parents. Et si, aujourd’hui, la vie suit son petit bonhomme de chemin pour mes deux enfants – le plus grand a 4 ans, le second 4 mois –, il reste bien des chapitres encore à découvrir avec la Sécu, comme une fable sur laquelle on ne peut pas mettre le mot fin.
Si la couverture globale est théoriquement bonne pour la santé des enfants, la pratique révèle de fortes inégalités au sein des familles. Nombre plus élevé d’hospitalisations, suivi moins fréquent par un médecin ou un pédiatre, risques plus importants de caries… Pour les enfants de familles bénéficiant de l’intervention majorée (BIM), la situation est moins favorable, comme le confirme une étude des Mutualités libres réalisée en 2019: 34 % des enfants de 3 à 6 ans bénéficiant de l’intervention majorée se sont déjà rendus chez le dentiste, contre 46 % pour les autres enfants. L’étude des Mutualités libres montre aussi que de 0 à 2 ans, un enfant sur cinq dans une famille bénéficiant de l’intervention majorée n’est pas suivi par un pédiatre ou un médecin. C’est aussi chez les enfants de familles bénéficiant de l’intervention majorée que le nombre d’hospitalisations est plus élevé que pour les autres jeunes: 52 % en plus pour une admission classique et 38 % pour une hospitalisation de jour.